Le vendredi 8 septembre 2023 à 23 h 11, la terre a tremblé. Violemment. Berceau du choc principal, la province d’Al Haouz et ses plus de 6000 douars s’ébranle. Passé l’effroi des premières secousses qui ont fait vaciller de nombreuses villes à plusieurs kilomètres de l’épicentre, la sidération domine.
Au dernier décompte, le séisme d’une magnitude de 6,8 à 7 sur l’échelle de Richter a fait presque 3000 victimes (selon les données alors que nous écrivions ces lignes) et privé quelque 300 000 personnes de leur foyer. Depuis plus d’une semaine, les images de désolation, de détresse humaine, défilent sur les écrans des smartphones. L’esprit peine à faire sens de cette catastrophe que l’arbitraire dispute à l’injuste.
Pour l’instant, les corps d’intervention de l’État, avec au premier chef, l’armée et sa logistique avancée, mènent une course contre la mort et la montre. Dans cette première phase, le focus est placé sur la découverte de survivants sous les décombres, la mise à l’abri des rescapés et la poursuite non-stop des recherches.
Soutenues pas les ONG et les équipes de secours nationales et étrangères, notamment des brigades cynophiles venues de pays comme l’Espagne, les autorités progressent certes, mais difficilement, tant elles sont confrontées à une géographie quasi impénétrable.
L’essentiel des habitations ayant été érigées à flanc de montagne, le séisme a non seulement détruit les lieux de vie, mais a provoqué des éboulis, rendant impraticables les routes sommaires qui donnent accès aux douars. Sur le terrain, les acteurs en place doivent composer avec de multiples contraintes, dont l’enchaînement de répliques sismiques.
Cependant, leur enthousiasme ne faiblit pas. A l’instar de celui de tout un peuple. Pieux et fatalistes, les Marocains se sont vite sortis de la torpeur du premier choc pour évaluer les dégâts et se mettre à l’œuvre.
Jamais dans l’histoire de ce pays millénaire, la solidarité ne s’est exprimée avec une telle amplitude. D’interminables convois de particuliers chargés de provisions sillonnent les routes nationales sans interruption pour ravitailler les zones affectées. Aider, contribuer, soulager la douleur, acheminer des vivres, prêter main forte aux autorités et aux ONG, tout sauf rester inactif, inutile.
Pour sa part, l’État, sur instructions du roi, se projette déjà dans la phase de reconstruction. Un programme de réhabilitation de plus de 50 000 logements est dans le pipe. Ce dispositif sera assorti à des enveloppes d’indemnisation pour les ménages sinistrés en fonction du dommage subi. Des aides directes allant de 80 000 à 140 000 dirhams seront mises à disposition pour couvrir les travaux des logements partiellement détruits.
Plongé dans le deuil, le pays tout entier, avec ses citoyens, sa société civile et ses autorités, a fait la démonstration fascinante d’une rare empathie collective. Cet esprit de corps, de communauté de destin, a été l’un des constats les plus notables de cette première semaine d’après-séisme. Mais des constats, il y en a eu en grand nombre. En voici quelques-uns.
Désenclaver sans logique rentable
L’État, ces vingt dernières années, a consacré des ressources importantes au désenclavement des populations spatialement marginalisées. Mais, pays essentiellement rural, le royaume peine à assurer une connectivité optimale aux citoyens les plus excentrés.
Avec la régionalisation avancée, des péréquations budgétaires sont à trouver pour justifier des investissements contre-intuitifs sur le plan de la rentabilité : par exemple déployer une route goudronnée pour desservir un village de moins de 100 personnes dans le Haut Atlas, hors de toute notion de retour sur investissement.
À présent, nous le savons, cette région repose sur des failles sismiques pouvant se réveiller d’un instant à l’autre. Leur traitement en matière de politiques publiques d’aménagement doit répondre à des exigences de protection plutôt que de rentabilité.
Reconstruire ou relocaliser ?
Pour autant, cette attention accordée aux populations enclavées est relativement nouvelle. L’État marocain ne délaisse plus ce Maroc oublié. Cela est advenu avant le Covid-19 mais s’est accéléré avec la pandémie. La mobilisation immédiate des FAR, de la Gendarmerie royale, de la Protection civile, de l’ensemble des corps pouvant porter assistance, en fournit un exemple vivant.
De l’électrification des villages à leur fourniture en eau potable, en passant par les services télécoms financés par un fonds dédié, le Maroc de “derrière le soleil” clignote désormais dans les cadrans de l’État.
L’engagement doit s’accélérer. Il faudra compter sur les ressources propres de l’État mais également sur l’aide publique au développement et les dons de pays amis pour parachever ce chantier. Enfin, il existe un angle mort dont peu parlent. Les populations locales sont à ce point attachées à leurs racines et à leurs terres que, bien souvent, elles refusent de s’installer dans des endroits plus sûrs, à l’image des vallées au pied des montagnes.
Cette osmose avec le lieu d’origine donne lieu à des constructions sommaires, en torchis, en paille et en poutres de bois à des milliers de mètres d’altitude. L’exposition au risque d’éboulement ou d’avalanche en cas de neige sur les cimes est maximale. L’État devra faire preuve de doigté et d’un grand sens de persuasion pour les inciter à revoir leur logique d’implantation.
Les milliers de villages détruits n’ont pas vocation à être entièrement reconstruits in situ. Un mix entre la réhabilitation de logements partiellement détruits, comme le prévoit l’État à la faveur de budgets conséquents, et le déplacement des populations vers des lieux d’habitation plus sûrs serait sans doute à envisager.
Un communiqué du cabinet royal datant du jeudi 14 septembre (au moment où nous mettions sous presse) met l’emphase sur “le caractère extrêmement urgent de l’opération de relogement” .
Les ONG, une bénédiction
État centralisateur, autoritaire sous Hassan II, le Maroc a quand même eu le bon réflexe de ne jamais empêcher l’action et la présence des ONG sur le territoire. La bonne santé de la société civile procure une bouffée d’oxygène aux populations dans le besoin.
Houspillées de loin en loin pour de supposées tentatives d’entrisme financées par l’étranger, les ONG ont démontré la centralité de leur rôle en ces funestes circonstances. La Banque alimentaire de Karim Tazi, forte d’une expérience forgée dans une présence permanente sur le terrain, et notamment à l’occasion du séisme d’Al Hoceïma en 2004, a pu organiser les aides de façon rationnelle.
A noter qu’en dépit des fritures brouillant les relations Maroc-France, les ONG françaises comme Médecins sans frontières, la Croix rouge et le Secours populaire ont pu s’interfacer avec leurs homologues marocaines pour investir le terrain et porter secours aux rescapés.
Agissant en appoint des autorités, les ONG sont partie prenante de l’effort collectif. Leur apport est décisif. Il faudra non seulement préserver cette exception marocaine, mais lui donner les moyens de s’épanouir financièrement et d’occuper plus d’espace dans une répartition des rôles bien réfléchie avec l’autorité centrale.
Vive la “Tamaghribit” !
Une succession d’évènements récents ont donné à voir l’originalité de l’ADN marocain, mélange de force, de courage, de bienveillance, de résilience et, surtout, de générosité. Le Covid-19 a fait ressortir notre abnégation devant une adversité sanitaire globale et inattendue.
Le Mondial étincelant des Lions de l’Atlas a catalysé notre combativité, notre bonne foi (Niya) et le surcroît d’amour que nous éprouvons pour notre pays. Le séisme d’Al Haouz a secrété en notre peuple un déluge de bonté qui transcende l’âge, l’appartenance régionale, religieuse ou sociale.
De Tanger jusqu’à Laâyoune, toutes les villes ont constitué les points de départ pour des expéditions chargées de vivres. Objectif : mettre vite le cap sur les communes injustement frappées par le séisme. “La richesse du Maroc, ce sont les Marocains”, s’est justement exclamé l’homme politique français natif de Tanger Jean-Luc Mélenchon, dans une émission consacrée à la tragédie sur France2.
Symbole parmi tant d’autres de cet élan, ce jeune startupper Ali Lakrakbi qui, utilisant les réseaux Space X et Starlink, a éclairé des zones sinistrées tout en les dotant d’une connexion Internet.
Au fond, nous en avons la preuve concrète : si le pays tient malgré des filets sociaux rares, voire inexistants jusqu’à il y a peu, c’est précisément grâce à cette redistribution officieuse des ressources qui ne s’inscrit dans aucun bilan comptable, ni registre budgétaire, et qui ne réclame ni médaille ni reconnaissance. Juste un élan du cœur qui repêche les plus faibles.
Le Maroc dispose donc d’un citoyen étranger à l’égoïsme, volontaire, empathique et actif. Tous les ingrédients pour bâtir une nation émergente. Il suffirait de fédérer cette énergie et de l’aiguiller dans la bonne direction.
À l’exemplarité du citoyen, l’État doit répondre avec des politiques axées sur le respect et l’égalité des chances doit prévaloir
À l’exemplarité du citoyen, l’État doit répondre avec des politiques axées sur la dignité et de l’égalité des chances. La décision du roi Mohammed VI de prendre en charge immédiatement les enfants orphelins et leur octroyer le statut de pupilles de la nation, verse précisément dans le sens de cet esprit de “care”. Idem pour la décision de trouver des structures d’hébergement appropriées aux rescapés et de hâter leur relogement.
Les médias en roue libre
Tout avait pourtant bien commencé. Au lendemain de l’effroyable tragédie, les médias internationaux ont procédé à une couverture exhaustive du séisme. Et particulièrement, les chaînes d’information en continu françaises. BFMTV, propriété du groupe Altice dont l’actionnaire de référence est le Marocain Patrick Drahi, réserve la totalité de ses heures d’antenne au drame marocain.
Au début, le ton est bienveillant. Il s’agit d’abord d’informer et de recueillir les témoignages de personnalités françaises, sincèrement attristées par la tragédie. Mais peu à peu, à l’aune de l’enchaînement des faits, une petite musique a entamé son pernicieux tempo. “Mais où est le roi du Maroc?” ; “Pourquoi le Maroc refuse-t-il l’aide proposée par la France ?”…
L’infobésité de ces canaux d’information où le but est de meubler le temps d’antenne avec du contenu accrocheur, finit par tourner à vide et se mordre la queue. D’un partage de deuil sincère donnant la part belle à l’action humanitaire, le script a vrillé, se détournant de l’essentiel pour empiéter sur le superflu.
Des spécialistes se sont alors succédé pour décrypter le “refus de l’aide française” par le Maroc et l’ “invisibilité” supposée du roi. Un angle pour le moins spécieux, puisque dès le lendemain du séisme, Mohammed VI a présidé une réunion de crise où, entre autres mesures fortes, l’armée a été déployée pour aider les survivants et fouiller les décombres à la recherche de rescapés.
Quelques jours plus tard, le gouvernement annonçait une indemnisation intégrale des personnes sinistrées, et le roi s’est rendu au chevet des blessés au CHU de Marrakech. Le royaume a sa spécificité qui échappe à la culture du tweet française. Or, c’est par le prisme de cette frénésie de paroles que certains médias français nous ont jugés.
Une erreur parfaitement relevée par l’ancienne directrice de l’information de 2M, Samira Sitail, en masterclass de debunking sur le plateau de BFMTV.
https://x.com/BFMTV/status/1700913452963725553?s=20
Toujours est-il que les dérives secondaires des médias français, et franchement obscènes de journaux comme Le Parisien et Libération, ou encore le journal satirique Charlie Hebdo qui remporte la palme de la vulgarité, ne peuvent ni ne doivent détourner l’attention sur l’empathie du peuple français, de ses élus, de ses personnalités et de l’essentiel de ses politiques.
En témoigne, parmi tant d’autres initiatives d’appel aux dons, ce concert de solidarité, diffusé le mercredi 13 septembre en soirée sur la chaîne M6, et ponctué par un vibrant hymne national marocain. En témoignent, également, ces 2 millions d’euros recueillis, en trois jours, par la Fondation France auprès de citoyens français soucieux de soutenir le Maroc en ces temps troubles.
Comme l’a appuyé Jean-Luc Mélenchon, “Les Marocains n’ont pas un problème avec la France et les Français mais avec Macron”. N’était-ce le mauvais voile que le président actuel fait flotter sur les liens franco-marocains, cette épreuve aurait raffermi davantage l’alliance historique qui lie nos deux pays.
Emmanuel Macron et les aides internationales
Le tremblement de terre d’Al Haouz a provoqué une réaction naturelle de la part du président d’un allié traditionnel. Au lendemain du drame, Emmanuel Macron s’est dit “bouleversé” et a assuré le Maroc de la mise à sa disposition de toute l’aide dont il aurait besoin. La réponse du Maroc n’a pas fusé.
Dans l’intervalle, la polémique enfle. Le Maroc refuserait-il l’aide de la France ? Le 10 septembre, un communiqué du ministère de l’Intérieur apporte de la clarté : les autorités ont établi un “diagnostic exact des besoins sur le terrain”. C’est sur la base de cette évaluation que les équipes de sauvetage des “pays amis”, que sont le Qatar, les Emirats arabes unis, l’Espagne et le Grande-Bretagne, ont pu rejoindre le terrain des opérations.
Les autorités souhaitent à tout prix éviter les scénarios indonésien et haïtien, où la convergence brouillonne d’ONG et d’États souhaitant apporter leur aide a provoqué le chaos sur le terrain des opérations.
L’approche nationale s’est, en vérité, caractérisée par un sage recul. Le Maroc n’est pas un pays failli. C’est une puissance émergente qui dispose de moyens humains et financiers importants et d’une longue expertise dans la gestion de catastrophes similaires. Il y a eu Al Hoceïma et le Covid, mais nos contingents militaires ont souvent eu à prêter main forte à des pays en proie à ce type de tragédie.
Le rapide déploiement d’hôpitaux de campagne et de centres de centralisation et de dispatching des contributions matérielles, tentes, vivres, médicaments, en atteste vivement. Il fallait donc d’abord déterminer les exigences logistiques d’une zone touchée équivalant à la superficie du Benelux, avant de sélectionner les pays proposant leur concours en fonction des besoins identifiés.
Il faut à ce titre saluer l’action du ministère de l’Equipement dont les équipes n’ont eu de cesse de déblayer les voies d’accès aux douars touchés. Toujours est-il que les autorités n’excluent pas de faire appel à une seconde vague d’aide logistique provenant d’autres pays, si le besoin s’en ressentait. Le raisonnement des autorités est limpide.
Pourtant les médias français s’emballent et expliquent la réticence marocaine par le froid polaire qui souffle entre Paris et Rabat. Résolution du parlement européen pilotée par le parti présidentiel, soutien a minima sur le dossier du Sahara, et, s’il l’on en croit l’écrivain Tahar Ben Jelloun, une conversation téléphonique entre le roi et Emmanuel Macron qui aurait mal tourné… les motifs de la brouille sont multiples.
Et c’est peu de dire que la diplomatie humanitaire marocaine a intégré cette donne. De nombreux experts en géopolitique font l’analyse suivante : l’insensibilité actuelle de Rabat vis-à-vis des appels du pied français s’explique, en partie du moins, par cette brouille. Mais cette fin de non-recevoir, comme l’a rappelé à CNN le directeur de l’immigration et de la surveillance des frontières au ministère de l’Intérieur, Khalid Zerouali, pourrait prendre fin à l’occasion des phases de reconstruction à venir.
Le Maroc aura besoin de toute l’aide internationale qu’il pourra réceptionner. À ce propos, le communiqué du cabinet royal du 14 septembre évoque la mobilisation des “moyens financiers propres de l’État et des organismes publics.” Mais pas seulement.
Le secteur privé sera appelé, à travers le fonds spécial de solidarité, lancé par Mohammed VI, de faire montre de sa générosité
Le secteur privé marocain sera appelé à travers le fonds spécial de solidarité (numéro 126) lancé par Mohammed VI, à faire montre de sa générosité. Ainsi que, toujours selon le cabinet royal, “les acteurs associatifs, les pays frères et amis qui le souhaiteraient”.
Le coût de la reconstruction est d’ores et déjà estimé à 8% du PIB, autrement dit 100 milliards de dirhams. C’est l’équivalent de trois fois le montant collecté par le Fonds Covid. Le Budget de l’État seul et la dette publique ne pourront combler ce besoin en financement d’une dimension sans précédent. Déjà, la Banque Mondiale, la BAD et le FMI se sont dits prêts à aider. Toujours est-il que le Maroc est déterminé à redonner une vie décente aux populations sinistrées. Quoi qu’il en coûte.