Séisme d'Al Haouz : mode hamla activé

Par Réda Allali

L’heure est grave, les amis. Une catastrophe a frappé notre paisible contrée, vendredi soir, elle nous a ramenés à la faiblesse de notre condition, et elle nous a aussi révélé à nous-mêmes. C’est dans ce genre de moments, exceptionnels, quand tout se passe en même temps, l’horreur et l’amour, le déchirement et la noblesse, avec une telle intensité qu’on se sent comme hébété, c’est bien dans ces moments qu’on se rappelle qui nous sommes.

Les Marocains, ce sont ces gens qui, lorsqu’ils activent le mode hamla, sont capables de déplacer des montagnes, littéralement, de se priver de tout pour aider leur prochain, de déblayer à mains nues un immeuble effondré, et de découvrir à chaque fois qu’ils tournent la tête que les bouteilles d’eau surgissent pour désaltérer les sauveteurs et que de nouvelles mains se sont jointes à la cohorte des volontaires, au mépris du danger.

Zakaria Boualem sait tout cela, mais à chaque fois que le formidable spectacle d’une mobilisation générale, spontanée, se présente sous ses yeux, c’est plus fort que lui, il se sent plus fort, et même plus beau, presque irrésistible.

Oui, chez nous, il y a une énergie phénoménale. On a demandé aux Marocains de donner leur sang, et ils ont saturé les centres de collecte. On leur a dit que les malheureuses victimes dormaient dehors, et ils ont envoyé – littéralement encore une fois – toutes les tentes disponibles sur le marché. Ils ont vu qu’on manquait de vivres et nos supermarchés ont explosé devant l’affluence des bienfaiteurs.

Le tout dans l’urgence, car tel est le secret du succès du redoutable mode hamla. Nous avons expérimenté cela, lors des attentats terroristes par exemple, où de braves gens, désarmés, avaient pris en chasse des illuminés farcis d’explosifs.

“On parle de rallier ces zones comme s’il s’agissait d’astéroïdes d’une galaxie lointaine. Ce sont certes des régions montagneuses, mais elles ne sont pas perchées au sommet de l’Himalaya”

Réda Allali

Cette constatation rend la suite de cette page encore plus amère. Car il faut se poser la question : comment diable avons-nous fait pour laisser autant de douars “enclavés” ? Depuis le début de la catastrophe, on parle de rallier ces zones comme s’il s’agissait d’astéroïdes d’une galaxie lointaine. Ce sont certes des régions montagneuses, parfois escarpées, mais elles ne sont pas perchées au sommet de l’Himalaya, d’après ce qu’on en sait.

N’aurait-il pas été possible, au cours des décennies précédentes, de construire de meilleures routes? Ces populations, à chaque fois qu’elles surgissent dans l’actualité, sont dans le rôle de la victime. Du froid à Anefgou, il y a deux décennies, et maintenant d’un séisme. Avec le temps, n’aurions-nous pas pu améliorer leur sort, qui semble voué à la souffrance ? Le Boualem n’y connaît rien, bien entendu, mais il a le droit de poser cette question, même s’il est conscient que ce n’est qu’un exercice de style, pas un appel à réponse.

Car il y a chez nous un colossal problème de communication. Pendant les premières heures, pour ne pas dire les premiers jours, personne ne comprenait vraiment ce qui s’était passé, pourquoi les secours traînaient, l’ampleur de la tragédie, et c’est bien logique puisque personne ne nous a rien expliqué. C’est d’autant plus rageant que le Boualem n’a aucun doute que le maximum a été fait par tout le monde, responsables ou non, pour soulager la terrible souffrance de nos compatriotes.

Conclusion : le jour où nous serons capables d’anticiper, de communiquer, de déclencher le mode hamla avant d’y être contraints, nous serons invincibles. Il ne reste plus à Zakaria Boualem qu’à présenter ses condoléances aux familles des victimes, Allah y rhamhom, et à vous saluer fraternellement, car il est désormais évident que nous sommes une seule famille.