Résilience : dans les zones sinistrées, revivre s’envisage en pointillés

Dans les régions touchées par le séisme, l’idée de la reconstruction paraît 
trop lointaine. Alors que l’on compte toujours les morts, les rescapés, qui pansent 
à peine leurs plaies, envisagent avec anxiété les mois à venir.

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Sur les hauteurs d’Amizmiz, les habitants de Tizgui Oubelaïd ont bénéficié de l’aide des autorités et de l’élan de solidarité citoyen. Mais les habitants sont encore dans le besoin. Crédit: Yassine Majdi / TelQuel

Reconstruire ? Ce n’est pas pour maintenant. Depuis que l’hôpital militaire a ouvert ses portes (lundi 11 septembre, ndlr), nous avons accueilli près de 600 personnes le premier jour et 500 le deuxième. Il faut d’abord panser les plaies”. La deuxième journée de travail des médecins de l’hôpital de campagne militaire d’Asni touche à sa fin.

Des tours de garde sont assignés dans chacun des services où affluent les victimes du séisme d’Al Haouz. Venus pour assister les secouristes de la Protection civile, les premiers éléments des Forces armées royales sont arrivés sur place quelques heures après le drame. Ils ont déjà une idée claire des enjeux de la région.

Pour eux comme pour les sinistrés, il est encore trop tôt pour penser à un “rebuild” dans le Haouz et ce, même si les esprits s’activent du côté de Rabat. Alors que l’on compte toujours les morts, les rescapés pansent leurs plaies. Tout en vivant dans la crainte de l’hiver qui arrive, un hiver très rude dans les montagnes du Haut Atlas.

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Pas de temps pour la nostalgie

à quelques encablures de l’hôpital de campagne des FAR, de grandes tentes bleues accueillent les victimes du tremblement de terre. Devant l’une d’entre elles, un septuagénaire tire vigoureusement une dernière latte sur sa cigarette. Mohamed regarde au loin ce qui était jusqu’à il y a quelques jours encore sa maison.

Pour de nombreux rescapés, l’hôpital de campagne d’Asni constitue une première étape vers le retour à une vie normale.Crédit: YASSINE MAJDI:TELQUEL

Sur son téléphone, il nous montre ce foyer hérité de ses parents et dans lequel il a vu grandir ses enfants et ses petits-enfants. C’est d’ailleurs le cas de la plupart des maisonnées de la région qui accueillent en général des familles étendues (parents-enfants- petits-enfants).

Mohamed est indemne : il était à Marrakech au moment du séisme. Quant aux membres de sa famille, ils ont été extraits, secoués mais vivants, par les secouristes de la Protection civile. Aujourd’hui, Mohamed n’a pas le temps pour la nostalgie, ses soucis sont plus pressants. Des intempéries ont été annoncées par la météo.

Les pluies et le froid qui accompagnent l’automne et l’hiver approchent aussi à grands pas. “Comment allons-nous faire avec le froid, la pluie et l’eau qui s’introduit dans les tentes ? Nous sommes dans l’inconnu le plus total”, demande le septuagénaire avant de relativiser : “Mais au moins, nous sommes vivants”.

Quelques tentes plus loin, c’est l’heure du thé. Un autre Mohamed – un pur hasard – nous invite à prendre un verre. Ce père de famille veut parler à la presse. “Il est nécessaire de porter notre parole. Il faut que le monde entier connaisse notre situation pour nous venir en aide”, nous dit-il avant de nous inviter à jeter un coup d’œil dans sa tente. Le confort y est sommaire et la tristesse presque palpable.

Mohamed vient du même douar que son homonyme, quelques tentes plus loin. Le soir fatidique, il était dans sa maison. Il a réussi à s’en échapper et à sauver sa fille, touchée par une pierre au pied. “Nous avons tout perdu en 30 secondes”, résume-t-il.

Mohamed craint lui aussi les intempéries à venir. “Mes vêtements sont sous les décombres. Certes, nous avons des tentes mais les températures ici descendent parfois jusqu’à zéro degré”. Mohamed place ses espoirs dans les aides. Il liste ses besoins, notamment des vêtements chauds et imperméables pour affronter les rigueurs du climat montagnard.

Un parcours risqué

Mais pour rallier Asni et l’hôpital des FAR, il faut emprunter la R203, cette route qui relie Marrakech à Taroudant en passant par Ouirgane et Tinmel. Le long de cet axe routier, se trouvent certains des douars les plus sévèrement touchés par le séisme, comme Tlat N’Yaâkoub. Du coup, la R203 est le théâtre d’un triste chassé-croisé d’ambulances allant à la rescousse et/ou acheminant des victimes vers l’hôpital de campagne.

Et la longue procession de véhicules empruntant cette route est souvent ralentie. Les éboulements sont réguliers sur la R203 qui est pourtant déblayée régulièrement par des services publics devant gérer une situation de crise dans une zone dont la superficie est équivalente à celle des Pays-Bas et de la Belgique réunis et dont les routes sont particulièrement risquées.

Parmi elles, la P2009 qui traverse Amizmiz et mène elle aussi vers certains des douars les plus impactés par le séisme. La P2009 est une route typique de la région, sinueuse, escarpée et très étroite. Des difficultés auxquelles viennent s’ajouter les dégâts, éboulements et effondrements causés par le séisme. L’arrêt d’un véhicule peut provoquer de longues minutes, parfois même des heures d’immobilisation.

D’autres routes que nous avons empruntées sont si fissurées qu’elles ne semblent tenir que par la grâce de Dieu. De quoi s’interroger sur d’éventuels drames quand certaines voies connaissent une circulation hors norme en raison de l’élan spontané de solidarité citoyenne. Ainsi, au-dessus d’Amizmiz, des secours et des aides ont pu être acheminés. L’arrivée de chaque voiture provoque l’excitation des enfants des douars qui affluent en masse vers un véhicule dès que son coffre s’ouvre.

C’est le cas dans la localité de Tizgui Oubelaïd, où les habitants ont bénéficié du soutien de la Protection civile et de celui de nombreux Marocains venus des quatre coins du pays. Mais malgré leurs tentes érigées en contrebas des décombres du douar, les habitants ont encore besoin d’aide. Car les besoins sont innombrables : tentes, matelas, couvertures, vêtements, chaussures ou encore produits d’hygiène leur permettraient d’affronter l’hiver dans de meilleures conditions.

Saïd espère pouvoir compter sur l’aide de l’Etat pour reconstruire sa maison, entièrement détruite par le séisme.Crédit: Yassine Majdi / TelQuel

Douar fantôme

“La reconstruction, j’y pense. Je veux retrouver un toit sur ma tête au plus vite surtout que le gouvernement s’est engagé à dédommager les victimes du séisme”

“La reconstruction, j’y pense. Je veux retrouver un toit sur ma tête au plus vite surtout que le gouvernement s’est engagé à dédommager les victimes du séisme”, nous confie Saïd, la quarantaine. Mais Saïd se fait rapidement tancer par certains de ses amis : ses propos semblent d’autant moins crédibles qu’ils sont prononcés au-dessus des décombres de sa maison. Nous sommes à une cinquantaine de kilomètres d’Amizmiz, à Zaouiat Nahailiya, un douar situé non loin de la commune de Sebt Mzouda (qui relève de la province de Chichaoua).

Si Zaouiat Nahailiya n’est pas répertoriée dans les services de cartographie en ligne, elle reste relativement accessible après un parcours qui nous mène à travers une route semi-goudronnée, une piste dure puis sablonneuse. La zone fait partie des moins touchées par le séisme. Ici, les dégâts sont surtout matériels. Une chance que n’ont pas eue d’autres douars situés à proximité de Zaouiat Nahailiya.

A l’horizon, Saïd pointe des villages dont l’accès est tout simplement bouché par des éboulements. Des localités où le cheptel est plus nombreux que les hommes. “Ces douars ne comptaient pas plus de dix habitants. Ils n’ont pas pu être secourus, ils sont tous morts. Ils ont totalement disparu… Ils vont être rayés de la carte”, affirme le quadragénaire dans un silence pesant.

Au plus grand bonheur des enfants d’Asni, les militaires ont réparé un trampoline. Qui sera au centre d’une nouvelle aire de jeux dédiée aux enfants.Crédit: Yassine FERNANE/TELQUEL

Le trampoline du bonheur

Dans un océan de malheur, quelques lueurs d’espoir montrent parfois que tout n’est pas perdu. A Asni, dans la matinée du 12 septembre, nos confrères de H24info sont partis à la rencontre de Philippe, un citoyen français vivant dans la région, qui a pris l’initiative de mettre du baume au cœur des enfants.

Philippe s’est rendu au centre hospitalier avec des biscuits, mais surtout un trampoline qui fait, un temps, la joie des enfants présents sur place. Sauf que lorsque nous arrivons dans l’après-midi, le trampoline – sans doute mis à rude épreuve par les enfants – est en pièces détachées, au grand dam des bambins présents sur place.

Visiblement touchés par leur tristesse, des éléments des FAR s’attellent à le réparer. Quelques minutes plus tard, les rires des enfants retentissent pratiquement dans tout l’hôpital de campagne. Un moment immortalisé par TelQuel Arabi.

Une vidéo qui aura contribué à améliorer la vie des enfants d’Asni. Un espace de jeu dédié a été créé au niveau de l’hôpital de campagne. Elle est sans doute là, la première étape – et sans doute l’une des plus belles – de la reconstruction.

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