Vendredi 8 septembre. Tu glandes devant ta télé, tu rentres d’un apéro. Tu as comme unique préoccupation quelle tenue choisir pour le lendemain. Quelle tenue choisir pour le mariage d’un de tes meilleurs potes. Ça te semble être d’une importance capitale. Choisir la tenue parfaite. Alors, en attendant ce lendemain qui doit être parfait, tu glandes affalée devant ta télé en regardant d’un œil un replay d’une émission de cuisine, tu écoutes les notes vocales de Zee qui raconte ses déboires. Elle est encore dans une histoire foireuse avec un mec à moitié beau gosse et totalement foireux.
Tu souffles sur tes doigts. Tu ne veux pas t’endormir avant que ton vernis ne soit parfaitement sec. Ta deuxième grande préoccupation du soir. Il est 23h, tu es en pyjama sur ton lit, tu trouves qu’il fait un peu trop chaud et que tes voisins écoutent la musique un peu trop fort. Ça t’agace.
Un grand bruit vient du salon. Tu penses que ta machine a décidé de lancer l’essorage. Tu te lèves, tu vas dans ton salon et là tu vois tes tableaux qui bougent et tu entends des bibelots qui cliquettent. Tu ne comprends pas vraiment ce qu’il se passe. Tu ne réalises pas ce qu’il se passe. Tu sens tes jambes qui vacillent. Tu chancelles. Tu regardes par la fenêtre. Tu as l’impression que ton balcon tremble. C’est la terre qui vient de trembler.
Il y a eu un séisme. Tu entends ta voisine hurler. Il faut descendre. Tu enfiles un jean et sors de chez toi sans réfléchir. Dans les escaliers, ton voisin est en pyjama, il a les yeux pleins de sommeil et de peur. Il te demande pourquoi on descend. Tu ne sais pas quoi lui répondre. Tu descends. Ça te semble juste être le truc à faire.
Il y a eu un séisme. Il est 23h 11. Tes murs et tes peurs ont tremblé. Tu es en bas de chez toi avec tous tes voisins. Dont certains que tu n’as jamais vus avant. Les téléphones sonnent. “Oui ça va.” “Mais c’est où ?” “Tu t’es fait mal ?” “J’ai eu peur.” “Non, hamdoullah, ça va on y était pas.” “Quoi ? la piscine s’est vidée ?” “Et maman, elle a pas eu trop peur ?” “J’entends rien.” “Tu es où ?” “Tous les tableaux sont tombés ?” “J’arrive pas à joindre mamie, je suis inquiète.” “Ne bougez pas si vous êtes à l’abri”. “Oh la la ces images, c’est en live ?!” “C’est la médina ?!!!!!” “P***** c’est horrible”. “Oui aamti, ça va” “Non, j’arrive pas à la joindre”.
Autour de toi, tous tes voisins. Avec les mêmes têtes ahuries. Tu vis dans le même immeuble que ces gens. Tu ne les as jamais croisés. Tu n’en as jamais eu rien à foutre de savoir qui ils étaient. Tu te sens si proche d’eux, là. Tu ne connaîtras pas leur prénom mais tu vas passer la nuit avec eux. Tu es inquiète. Tes jambes tremblent.
Tu penses à ta mère. Tu espères qu’elle n’a pas eu trop peur. Tu penses à ta cousine enceinte. Tu te demandes où se trouve l’épicentre. Tu reçois de plus en plus d’images sur WhatsApp. Tu es sidérée. Tu te demandes si les morts ont senti la terre qui tremble. Tu finiras par t’endormir chez ta voisine du rez-de-chaussée, à 6h du matin, épuisée.
« Si l’émotion est immense, la mobilisation l’est encore plus. Pas une personne qui ne tente d’aider, à son échelle »
Le pays s’est réveillé devant des images d’horreur. Des villages dévastés. Des familles décimées. La situation a l’air effroyable. Tu es tellement loin de l’épicentre. Tu te sens tellement inutile. Tu as envie de te rendre utile. Et tout le monde autour est pris du même élan. Très vite, tu reçois des dizaines de messages. Des appels aux dons. Des cagnottes. Le café en bas de chez toi organise une collecte de vêtements et de produits de première nécessité. En quelques heures, des centaines de sacs sont déposés.
Partout dans le pays, des chaînes de solidarité se forment spontanément. Chacun donne de son temps, de son argent ou de son sang. Les entreprises s’impliquent. Les associations vont sur le terrain. Si l’émotion est immense, la mobilisation l’est encore plus. Depuis, ça n’arrête pas. Pas une personne qui ne tente d’aider, à son échelle. C’est beau. Beau et puissant. Comme ce peuple uni qui a le pouvoir de sauver des montagnes.