Faites attention où vous mettez les pieds, il y a peut-être des morts sous les décombres que nous foulons.” L’avertissement provient de Rachid, 28 ans, habitant de Douar Targa, accroché à la montagne, dans le Haut Atlas, à quelques kilomètres de la commune d’Ijoukak, et de la route reliant Marrakech à Taroudant.
Dans la nuit du vendredi 8 au samedi 9 septembre, le tremblement de terre de 6,8 à 7 sur l’échelle de Richter a détruit nombre des villages pittoresques que l’on aperçoit le long de la R203, qui passe par le spectaculaire col du Tizi N’Test. Près de 24 heures après le séisme, la province du Haouz est méconnaissable. La catastrophe naturelle a frappé le cœur du Haut Atlas, l’épicentre étant situé, à une vingtaine de kilomètres au sud d’Amizmiz.
“À l’endroit même où vous vous tenez, nous avons sorti le corps d’un collégien accolé à sa maman”, ajoute, désolé, celui qui tient à nous montrer l’ampleur des dégâts dans son douar.
Targa, deuils et endurance
Targa, c’est près d’une cinquantaine de maisons typiques de la région, réunies autour d’une mosquée sur les hauteurs de l’oued N’Fis. Les riverains sont des éleveurs, et leur cheptel n’a pas réchappé du séisme. Aucune demeure n’a résisté, pas même celles qui ne comprenaient pas d’étage, avec une construction de plain-pied, autour de la traditionnelle terrasse intérieure.
Le regard triste, une autre habitante du douar, Fatima, nous raconte que “vingt personnes ont trouvé la mort” dans son proche entourage, et que “six autres sont encore coincées sous leur maison démolie”. Pansement autour de la tête, Rachid précise que le soir du drame, certaines personnes ensevelies sous les débris “arrivaient quand même à faire entendre leurs appels au secours”.
Pour nous montrer ce qui reste de leur domicile, les habitants doivent escalader des amas de pierres, de briques, de bois et de roseaux. Les murs, effondrés, bloquent l’accès dans les ruelles.
Les sinistrés avancent pas à pas, prenant soin d’éviter les éboulements alors qu’ils tentent de récupérer ce qui pourrait être utile dans les gravats : couvertures, ustensiles de cuisine, bonbonnes de gaz, en attendant les aides qui n’arrivent que petit à petit, ce samedi 9 septembre, dans les zones montagneuses les plus touchées par le séisme, soit le Haouz et la province limitrophe de Taroudant. Car la route reliant Targa à Ijoukak a également subi de sérieux dégâts, et le relief très accidenté n’arrange pas les choses.
Tinmel, les téméraires
Un peu plus haut sur la R203, on retrouve à Tinmel, 1200 m d’altitude, la même détresse, mais aussi la même volonté de surmonter collectivement la catastrophe. Pour s’y rendre, les véhicules sont obligés d’emprunter le cours de l’oued N’fis. La route goudronnée, elle, a été partiellement enfoncée par d’immenses blocs de roches détachés des sommets.
Sur la place principale du village multiséculaire, berceau de la dynastie almohade, quelques volontaires s’activent. Des habitants tentent de sortir des corps des décombres.
Portant des masques anti-Covid, des jeunes cherchent et tombent sur le corps d’une victime. La dégager des décombres est une opération périlleuse, qui nécessite la contribution de tous, dont les travailleurs du chantier de rénovation de la mosquée, bijou architectural du XIIe siècle qui n’a, hélas, pas résisté aux secousses.
Avant le tremblement de terre, ils étaient dix travailleurs fixes sur le chantier. Au lendemain du drame, il n’en restait que cinq. Ismaïl, l’un d’eux, vient de Meknès. Père de famille, très loin de ses proches, il porte secours aux plus vulnérables du village et participe, aux côtés des jeunes de Tinmel, aux fouilles au milieu des débris. “J’étais sur le point de m’endormir lorsque la terre s’est soulevée très brutalement”, nous raconte ce quinquagénaire, visiblement très affecté par la situation.
Houssine, un autre survivant du chantier de la mosquée, veille à ce que personne ne s’approche des murailles du monument, en raison des risques d’effondrement.
“Il nous restait six mois avant la fin de la rénovation, sur un projet d’une durée de 18 mois”, se désole l’homme, qui a donc passé toute une année sur le chantier. Originaire d’un douar voisin, il estime que c’est à Tinmel que sa présence est le plus utile. Les canalisations qui relient les deux grands puits à la mosquée représentent en effet un sérieux danger pour les enfants et les curieux qui s’approchent trop des murailles en équilibre instable.
Talat N’Yaâkoub, tout un village à reconstruire
Toujours sur la route R203, nous nous arrêtons à Talat N’Yaâkoub, visiblement l’une des communes les plus endommagées par le tremblement de terre dans la zone. Habitations, établissements pédagogiques et internats, édifices administratifs et commerces… tout s’est écroulé, ou presque. La station d’essence est également dévastée. Talat N’Yaâkoub est “à reconstruire” de fond en comble. À l’image de tout le Haouz, les habitants n’ont plus aucun toit sous lequel s’abriter.
Juste derrière le collège et le lycée en ruines, les Forces armées royales et la Gendarmerie royale ont transformé la place centrale du village en base d’opération à ciel ouvert. Camions citernes, pick-ups, engins militaires et civils sont stationnés. Arrivés de Marrakech, ils se sont regroupés sur ce terrain où se déroulent d’habitude des matchs de football afin d’organiser les interventions.
Petites et grandes ambulances sont dispatchées vers les douars sinistrés. Au milieu de la place, des hélicoptères participent à l’évacuation des blessés. Car au lendemain du séisme, la circulation s’est densifiée à Talat N’Yaâkoub. Outre les premières aides parvenues au lendemain du drame, des bénévoles se sont déplacés, tentant de porter de l’aide aux sinistrés, aux blessés.
Si aucun commerce n’est ouvert, les visiteurs, bénévoles et secouristes, se voient offrir de l’eau, du pain et du thé, offerts par les habitants des villages, aidés par les équipes de secours qui ont amené des produits de première nécessité. Pour l’instant, c’est aux abords des voies goudronnées que les habitants de Talat N’Yaâkoub sont le plus en sécurité. Si leur domicile n’a pas été démoli, les fissures sont telles que des familles entières n’ont d’autre choix que de passer jour et nuit dehors.
Des tentes bleues, livrées par hélicoptère, vont leur servir d’abri provisoire. Et après? Les habitants de la région n’y pensent même pas. Le Haouz est encore en état de choc. Sans-abris, pleurant des êtres chers, les habitants ne font que parer au plus pressé: trouver de quoi se couvrir, de quoi manger, soigner les blessés, localiser et enterrer les morts… et se repasser en boucle le film de cette nuit, quand tout a basculé.