Les promesses du 9 Mars ont-elles été tenues?

Telquel.ma vérifie si les sept fondements des réformes annoncées le 9 mars 2011 par le roi se sont bien concrétisés.

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Photo : MAP

Cet article rentre dans le cadre d’un projet de fact-checking (vérification des faits) propulsé par l’association Cap Démocratie Maroc et mené par l’équipe de Telquel.ma. Un site exclusivement dédié au projet verra bientôt le jour. Le projet s’appelle L’Arbitre.

Il y a quatre ans, en mars, 2011, le roi Mohammed VI prononçait un discours dans lequel il annonçait la mise en place d’une nouvelle constitution. Un nouveau texte que le souverain souhaitait voir élaboré autour de fondements majeurs parmi lesquels « la pluralité de l’identité marocaine », « la consolidation du principe de séparation […] des pouvoirs » ou encore la « constitutionnalisation des mécanismes de la moralisation ». Quatre ans plus tard, Telquel.ma examine ce que sont devenus les sept « fondements majeurs » du discours royal : ont-ils été mis en œuvre, traduits par des réformes ?

Premier fondement : « La consécration constitutionnelle de la pluralité de l’identité marocaine […] au cœur de laquelle figure l’amazighité »

Le Maroc dispose de 5 600 professeurs  enseignant l'amazigh alors que le système éducatif en requiert 12 000.
Le Maroc dispose de 5 600 professeurs enseignant l’amazigh alors que le système éducatif en requiert 12 000. Crédit : DR

Les progrès

Dans l’article 5 de la constitution promulguée le 30 juillet 2011, la langue amazighe est reconnue comme langue officielle du royaume. Et dans son préambule, le texte indique également que l’« unité » du Maroc est le fruit de « la convergence de ses composantes arabo-islamique, amazighe et saharo-hassanie [….] enrichie de ses affluents africain, andalou, hébraïque et méditerranéen ».

Les lacunes

La langue amazighe est néanmoins privée de cadre officiel car la loi organique qui doit lui être consacrée n’a toujours pas été adoptée. Il est donc impossible d’officialiser l’intégration de cette langue « dans l’enseignement et dans les domaines prioritaires de la vie publique ».

Ce vide juridique a été étalé au grand jour à l’occasion d’une session de question orale du parlement le 1er mai 2012. Ce jour-là, la députée du Rassemblement national des indépendants (RNI) Fatima Chahou a interpellé, en amazigh, le ministre de l’Éducation nationale, Mohamed El Ouafa, et créé un débat au sein du parlement. Celui qui est désormais ministre des Affaires générales avait répondu à la représentante en arabe avant de la remercier en amazigh. Le débat n’aurait pas eu lieu si des traducteurs n’avaient pas été présents au parlement.

Mise à l’écart par les institutions publiques, la langue amazighe l’est aussi des bancs des écoles ou seulement 5 600 professeurs enseignent cette langue alors que le système éducatif en requiert 12 000. Pire, seulement 10% des enseignants de la langue amazighe sont spécialisés dans l’enseignement de cette langue. Le Maroc forme 80 professeurs spécialisés dans l’enseignement de l’amazigh par an.

Verdict : La constitution de 2011 a marqué l’officialisation de la langue amazighe au royaume. Toutefois, le manque de textes législatifs qui l’entourent ne lui permet pas d’avoir une place au sein des institutions publiques tandis que les écoles souffrent d’un manque flagrant. Ce fondement n’est donc toujours pas complètement concrétisé.

Deuxième fondement : « La consolidation de l’État de droit et des institutions, l’élargissement du champ des libertés individuelles et collectives »

Plus de 40 réunions de l'AMDH ont été interdites en 2014. Crédit: AFP
Plus de 40 réunions de l’AMDH ont été interdites en 2014. Crédit: AFP

L’État de droit

Les progrès

Le 23 juillet 2014, la Chambre des représentants adopte à l’unanimité un projet de loi relatif à la justice militaire. Un texte qui marque, selon plusieurs médias, la consolidation de l’État de droit (Rechtsstaat). Un état dans lequel, pour reprendre la définition de la jurisprudence allemande, l’exercice du pouvoir gouvernemental s’appuie sur la rectitude morale et se base sur l’éthique, la rationalité, la loi, la loi naturelle, la religion, ou l’équité et s’oppose à la notion d’État fondée sur l’utilisation arbitraire du pouvoir (Obrigkeitsstaat).

Les lacunes

Néanmoins la consolidation de l’État de droit souffre de nombreux manques. Certains textes de lois et pratiques juridiques manquent de clarté. C’est notamment le cas des « hautes instructions » royales qui ne figurent dans aucun texte de loi et qui ont notamment permis la mise en place d’une enquête pour l’affaire CGI, ou encore la libération de 61 détenus poursuivis pour des actes de vandalisme ayant eu lieu après un match opposant le Raja de Casablanca aux FAR de Rabat et aussi connu sous le nom de « Jeudi noir ».

Autre cas de confusion, l’article 49 de la Constitution qui permet au Conseil des ministres de délibérer « des orientations stratégiques de la politique de l’État ». On rappellera qu’en vertu de l’article 48 de la Constitution, « le roi préside le Conseil des ministres ». La confusion régnant autour des termes « orientations stratégiques » a notamment permis au roi de prendre en charge les questions relatives à l’éducation et de nommer son conseiller Omar Azziman a la tête du Conseil supérieur de l’Enseignement. Le roi avait justifié la création du Conseil par le fait qu’il « n’est affilié a aucun parti et ne participe à aucune élection » dans son discours du 20 août 2013. En clair, ces « orientations stratégiques » aux contours flous peuvent, éventuellement, permettre au roi de s’emparer de domaines qui devraient relever de la politique gouvernementale.

Libertés individuelles

Les progrès

Dans son discours, le souverain a également mentionné le « renforcement du système des droits de l’Homme dans toutes ses dimensions ». Plusieurs avancées dans ce domaine ont été enregistrées depuis 2011. On peut notamment citer la nouvelle politique migratoire mise en place suite au communiqué du palais royal du 9 septembre 2013. Une politique qui a permis le dépôt de 27 130 demandes de légalisation parmi lesquelles plus de 17 000 ont été acceptées. Autre progrès notable enregistré, l’abrogation du deuxième alinéa de l’article 475 du Code pénal, qui permettait à une personne ayant « enlevé ou détourné » une « mineure nubile » d’échapper à des poursuites.

Les lacunes

Certains droits ont néanmoins été mis à l’épreuve depuis le discours royal du 9 mars 2011. En 2014, le ministère de l’Intérieur a interdit plus de 40 réunions de l’Association marocaine des droits humains (AMDH). Il faut néanmoins rappeler que le département de Mohamed Hassad a été condamné, par la justice, au versement d’une amende 100 000 dirhams au titre de dédommagement à l’AMDH après avoir empêché la tenue d’une activité de l’ONG. Une interdiction qui a également frappé Amnesty International, qui signale dans son rapport de l’année 2014 que les « autorités ont bloqué les tentatives de plusieurs organisations de défense des droits humains en vue d’obtenir un enregistrement officiel leur permettant de mener leurs activités dans la légalité ». Une restriction qui a notamment touché l’association Freedom Now.

Les  libertés de la presse et d’expression ont également connu des entraves depuis le 9 mars 2011. Le 17 septembre 2013, le directeur de publication du site d’informations Lakome Ali Anouzla est arrêté pour aide matérielle, apologie et incitation au terrorisme. Une arrestation qui faisait suite à la publication d’un lien vers un article contenant une vidéo d’Al Qaïda au Maghreb consacrée au Maroc. Cette vidéo était pourtant qualifiée par Lakome de « propagande ». A ce jour, Ali Anouzla est toujours poursuivi pour ces faits. Le 9 août 2014, le rappeur Mr Crazy, âgé de 17 ans, est accusé de « détournement des paroles de l’hymne national », « insulte à corps constitués », « propos immoraux » et « incitation à la consommation de drogue » suite à la diffusion de trois clips dans lesquels il simule des scènes d’agression et raconte le quotidien difficile dans les quartiers défavorisés de Casablanca. Il est resté derrière les verrous durant trois mois.

Verdict : L’instauration de l’État de droit n’est pas encore complète car certains textes ou pratiques juridiques ne sont pas encore clairs et permettent plusieurs interprétations qui peuvent mener à une utilisation arbitraire du pouvoir. En 2014, les libertés individuelles, notamment celles de réunion ou d’expression, ont été entravées. On notera tout de même l’évolution affichée concernant les droits de la femme et le droit à l’immigration.

Troisième fondement : « Ériger la Justice au rang de pouvoir indépendant et de renforcer les prérogatives du Conseil constitutionnel »

Manifestation de magistrats. Crédit: DR
Manifestation de magistrats. Crédit: DRCrédit: DR

Indépendance de la justice

Les progrès

Cette volonté s’est notamment traduite par l’adoption de la loi organique relative au Conseil supérieur du pouvoir judiciaire (CSPJ). Un conseil qui sera présidé par le souverain, et qui aura le pouvoir d’intervenir auprès des juges lorsque leur indépendance sera menacée. Il devra également veiller à l’application des garanties « accordées aux magistrats, notamment quant à leur […] nomination, leur avancement, leur mise à la retraite ».  Le CSPJ sera également chargé de remettre des rapports sur l’état de la justice et du système judiciaire.

Point positif, en 2014, le Conseil supérieur de la magistrature a puni 14 juges, leur infligeant des sanctions allant de la suspension provisoire à la radiation pour des fautes professionnelles graves ainsi que des implications dans des affaires de corruption. De plus, contacté par Telquel.ma, le directeur de l’Instance centrale de prévention de la corruption (ICPC) affirme qu’une action a été menée au sein du département de Mustapha Ramid « afin d’écarter les juges corrompus ».

Les lacunes

Cependant, sur les 20 personnes qui siègeront au CSPJ, présidé par le roi, neuf seront nommées de manière directe ou indirecte par le souverain. Autre inquiétude relative au système judiciaire, l’indépendance du parquet. En effet, l’article 110 de la Constitution stipule que « les magistrats du Parquet sont tenus à l’application du droit et doivent se conformer aux instructions écrites émanant de l’autorité hiérarchique », ce qui peut être interprété de différentes manières. Cette question n’a d’ailleurs toujours pas été tranchée comme en témoigne un communiqué publié le 9 mars par les partis de l’opposition qui ont exprimé « leurs doutes légitimes quant au maintien du Parquet sous la tutelle du ministère de la Justice et des libertés ».

En outre, la Fédération internationales des ligues des droits de l’Homme a souligné, dans une étude rendue publique le 25 novembre et consacrée au Maroc que plusieurs catégories de personnes traduites devant la justice sont « directement visées par les autorités marocaines ». 

Cour constitutionnelle

Les progrès

La Constitution promulguée le 31 juillet 2011 renforce les pouvoirs de la Cour constitutionnelle, connue auparavant sous le nom de Conseil constitutionnel. Celle-ci peut, en vertu de l’article 132 du texte, émettre des décisions relatives aux « lois [et] engagements internationaux ». La Cour est aussi « compétente pour connaître d’une exception d’inconstitutionnalité soulevée au cours d’un procès, lorsqu’il est soutenu par l’une des parties que la loi dont dépend l’issue du litige, porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution ».

Les lacunes

Si l’institution a vu le jour et que les candidatures pour remplir ses sièges sont ouvertes, la loi organique lui accordant ces dernières prérogatives est toujours au stade de projet.

Verdict : A ce jour, encore, les magistrats manifestent pour l’indépendance de la Justice. Autant dire que la Justice marocaine n’est pas encore indépendante malgré une volonté de se débarrasser de la corruption qui la ronge. En vertu de la Constitution, les prérogatives de la Cour constitutionnelle ont été renforcées mais celle-ci ne peut toujours pas trancher dans les questions relatives aux exceptions d’inconstitutionnalité car la loi organique relative à cette attribution est encore au stade de projet. Ce fondement ne s’est pas concrétisé.

Quatrième fondement : « La consolidation du principe de séparation et d’équilibre des pouvoirs et l’approfondissement de la démocratisation, de la modernisation et la rationalisation des institutions »

Le roi Mohammed VI a nommee Abdelilah Benkirane au poste de chef du gouvernement en novembre 2011. Crédit: DR
Le roi Mohammed VI a nommé Abdelilah Benkirane au poste de chef du gouvernement en novembre 2011. Crédit: DR

Dans son discours, le roi Mohammed VI suggère cinq bases sur lesquelles doit reposer ce fondement.

Première base : « Un parlement issu d’élections libres et sincères »

La Chambre des représentants est issue des élections législatives de 2011 dont la transparence a été saluée par la communauté internationale.

La Chambre des conseillers est, quant à elle, plus contestée car ses membres y ont été élus en 2009, soit deux ans avant la réforme constitutionnelle. Bien que les élections régionales soient prévues pour le mois de septembre, les membres de la Chambre des conseillers y siègent en toute légalité en vertu de l’article 176 de la Constitution, qui indique que « jusqu’à l’élection des Chambres du Parlement prévues par la présente Constitution, les Chambres actuellement en fonction continueront d’exercer leurs attributions, notamment pour voter les lois nécessaires à la mise en place des nouvelles Chambres du Parlement ». On note néanmoins que depuis 2012, un tiers de la chambre est arrivé au terme de son mandat, ce qui signifie que certains conseillers siègent à la chambre haute depuis plus de neuf ans alors que la Constitution de 2011 prévoit un mandat de six ans.

Deuxième base : « Un gouvernement élu, émanant de la volonté populaire exprimée à travers les urnes, et jouissant de la confiance de la majorité à la Chambre des représentants »

Troisième base : « La nomination du Premier ministre au sein du parti politique arrivé en tête des élections de la Chambre des représentants et sur la base des résultats du scrutin »

Dans cette vidéo, on voit le roi Mohammed VI nommer le chef du gouvernement : Abdelilah Benkirane, secrétaire général du PJD, qui a remporté les élections législatives de 2011.

Quatrième base : « Le renforcement du statut du Premier ministre en tant que chef d’un pouvoir exécutif effectif, et pleinement responsable du gouvernement, de l’administration publique, et de la conduite et la mise en œuvre du programme gouvernemental »

Constitution de 1996 Constitution de 2011
Le gouvernement n’incarne pas le pouvoir exécutif  (Titre IV) Le gouvernement « exerce le pouvoir exécutif »  (Article 89)
« Le Roi peut, après avoir consulté les présidents des deux Chambres et le président du Conseil Constitutionnel et adressé un message à la Nation, dissoudre, par dahir, les deux Chambres du Parlement ou l’une d’elles seulement. » (Article 71) « Le Roi peut, après avoir consulté le Président de la Cour Constitutionnelle et informé le Chef du Gouvernement, le Président de la Chambre des Représentants et le Président de la Chambre des Conseillers, dissoudre par dahir, les deux Chambres ou l’une d’elles seulement. La dissolution a lieu après message adressé par le Roi à la Nation ».  (Article 96)
« Le Conseil de régence est présidé par le premier président de la Cour Suprême. Il se compose, en outre, du président de la Chambre des Représentants, du président de la Chambre des Conseillers, du Président du Conseil régional des oulémas des villes de Rabat et Salé et de dix personnalités désignées par le Roi intuitu personae. »  (Article 21) « Le Conseil de Régence est présidé par le Président de la Cour Constitutionnelle. Il se compose, en outre, du Chef du Gouvernement, du Président de la Chambre des Représentants, du Président de la Chambre des Conseillers, du Président-délégué du Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire, du Secrétaire général du Conseil supérieur des Oulémas et de dix personnalités désignées par le Roi intuitu personae » (Article 44). Note : Aucune loi organique n’a, pour le moment, été approuvée à ce sujet
[Absent] « Il est créé un Conseil Supérieur de Sécurité, en tant qu’instance de concertation sur les stratégies de sécurité intérieure et extérieure du pays, et de gestion des situations de crise[…] Le Roi préside ce Conseil [qui] comprend […] le chef du gouvernement » (Article 54)
« Sous la responsabilité du Premier ministre, le Gouvernement assure l’exécution des lois et dispose de l’administration. » ( Article 61) « Sous l’autorité du Chef du Gouvernement, le gouvernement met en œuvre son programme gouvernemental, assure l’exécution des lois, dispose de l’administration et supervise l’action des entreprises et établissements publics. » (Article 89)
[Pas d’équivalent] «Le Chef du Gouvernement nomme aux emplois civils dans les administrations publiques et aux hautes fonctions des établissements et entreprises publics, sans préjudice des dispositions de l’article 49 de la présente Constitution. Il peut déléguer ce pouvoir » (Article 91)[/encadre]
On note que malgré le renforcement visible des prérogatives du chef du gouvernement, le roi intervient sur des questions relevant des compétences gouvernementales. Ainsi, le 9 août 2012, le souverain a organisé, en l’absence du chef du gouvernement, une réunion avec plusieurs ministres et hauts fonctionnaires en vue de traiter des plaintes relatives au mauvais traitement des Marocains résidant à l’étranger et à la corruption exercées par les services de sécurité aux frontières. Cette enquête a conduit à l’interpellation de plusieurs policiers, douaniers, et membres de la Gendarmerie royale qui ont été présentés devant les juridictions compétentes. Dans un communiqué, le palais royal indique que « le Roi va suivre personnellement ce dossier, qui ternit l’image du Maroc et des Marocains, afin d’empêcher que de tels agissements nuisibles se reproduisent ». On rappellera également que l’article 49 de la Constitution permet au roi de définir les « orientations stratégiques ».

Verdict : Bien que le gouvernement soit considéré comme incarnation du pouvoir exécutif et que son chef représente le parti qui a remporté les élections législatives, la séparation des pouvoirs n’est pas effective comme en atteste la prise de contrôle du souverain sur des « orientations stratégiques » ou son intervention dans des questions relevant du gouvernement. Fondement non concrétisé.

Cinquième fondement : « La consolidation du rôle des partis politiques dans le cadre d’un pluralisme effectif, et l’affermissement du statut de l’opposition parlementaire et du rôle de la société civile ».

hémicycle
Crédit : Yassine Toumi

Les progrès

Vis-à-vis de la Constitution, il n’y a pas eu de développement majeur concernant la consolidation du rôle des partis politiques. Ces derniers disposent néanmoins de nouvelles attributions, comme l’indique l’article 7 du texte. Ainsi ils « œuvrent à l’encadrement et à la formation politique des citoyennes et citoyens, à la promotion de leur participation à la vie nationale et à la gestion des affaires publiques ». Suite à la promulgation de la Constitution de 2011, les partis politiques ne peuvent également plus « être suspendus ou dissous par les pouvoirs publics qu’en vertu d’une décision de justice ».

Les lacunes

Néanmoins les partis politiques sont toujours soumis à certaines restrictions. En effet, la loi organique relative aux partis politiques, publiée le 22 octobre 2011, soumet la création d’un parti à une autorisation préalable du ministère de l’Intérieur. Depuis la promulgation de la nouvelle Constitution seulement un parti a été créé, le parti néo-démocrate.

Verdict : Il est difficile de consolider le rôle des partis politiques dans le cadre d’un pluralisme effectif lorsque la création d’un parti relève du ministère de l’Intérieur. On notera néanmoins que les partis politiques disposent de nouvelles attributions.

Sixième fondement : « Consolidation des mécanismes de moralisation de la vie publique et nécessité de lier l’exercice de l’autorité et de toute responsabilité ou mandat public aux impératifs de contrôle et de reddition des comptes »

La président de l'arrondissement Anfa sur les lieux de l'effondrement. Photo : DR
La présidente de l’arrondissement d’Anfa, Yasmina Baddou. Photo : DR

Lors de son discours prononcé à l’ occasion de l’ouverture de la session d’automne, le 10 octobre 2014, Mohammed VI a appelé à la mise en place d’une « charte éthique de l’action politique » qui devait être adoptée par les deux chambres du parlement et qui complèterait le règlement intérieur de l’hémicycle. Cette charte n’a toujours pas vu le jour.

Autre aspect de la moralisation de la vie publique, la lutte contre la corruption. La lutte contre la corruption, principal argument de campagne du PJD lors des élections législatives de 2011, n’a pas connu d’évolution substantielle. En effet, le fléau est toujours ressenti par la population marocaine comme l’indique l’étude effectuée conjointement par TNS et Telquel selon laquelle la corruption est le problème le plus important du royaume. Une inquiétude reflétée par une recherche encore non-publiée par l’Instance centrale de prévention de la corruption (ICPC) selon laquelle 45,1% des Marocains pensent que la corruption a augmenté entre les années 2012 et 2014.

Lire aussi : Sondage exclusif: Les Marocains aimeraient croire en la politique, mais…

On notera que plusieurs événements relatifs à la moralisation de la vie publique ont été organisés à travers le royaume. L’un d’entre eux, tenu à Rabat entre le 25 et le 27 novembre 2013, a rassemblé des responsables du CNDH, de l’ICPC ainsi que le président de l’institution du Médiateur, Abdelaziz Benzakour. Sa conclusion, selon une dépêche de l’agence de presse MAP, est que « la moralisation de la vie publique […] constitue un chantier permanent et global impliquant des dimensions législative, sociale et culturelle ». Contacté par Telquel.ma, le directeur de l’ICPC, Abdeslam Aboudrar, a affirmé que « la Constitution, la réforme de la justice, ainsi que des actions menées au sein du ministère de l’Intérieur » constituaient des actions allant dans le sens de la moralisation de la vie publique.

Ces stratégies de moralisation de la vie publique ont notamment été constatées lorsque le ministre de l’Intérieur a procédé, au mois de janvier 2015, au licenciement d’une dizaine de responsables communaux pour des raisons de mauvaise gouvernance.

Lire aussi : 12 juges sanctionnés par le Conseil de la magistrature

On notera également que certains responsables publics se sont soumis à la reddition des comptes. Récemment, la justice a condamné l’ex-directeur général de l’Office national des aéroports (ONDA), Abdelhanine Benallou, à une peine de cinq ans de prisons et une amende de 50 000 dirhams. La Cour d’appel de Casablanca a également condamné l’ancien responsable de l’ONDA à verser des compensations financières à l’État. Pour rappel, l’affaire ONDA a éclaté suite à la publication d’un rapport de la Cour des comptes qui faisait état de problèmes de recrutement, de malversations, de déplacements fictifs, de cadeaux et d’attribution de marchés publics.

Autre responsable public soumis à la reddition des comptes : Khalid Alloua. L’ancien patron de la banque publique CIH avait été mis en détention en juillet 2012 après avoir été poursuivi pour dilapidation de deniers publics. Toutefois, suite à la mort de sa mère, et à une haute instruction royale, l’ancien responsable a bénéficié d’une permission de sortie de quatre jours. Deux semaines plus tard, le 20 mars 2013, Khalid Alioua s’est vu accordé la liberté provisoire par le juge instruisant son affaire.

Toutefois, la reddition des comptes des responsables politiques se fait toujours attendre. En effet l’actuelle élue de l’Istiqlal de la circonscription d’Anfa et ancienne ministre de la Santé, Yasmina Baddou, n’a fait l’objet d’aucune mesure de la part de la justice malgré un rapport de la Cour des comptes révélant des irrégularités dans une transaction relative à l’achat de vaccins contre le rotavirus et le pneumocoque. Une opération qui avait couté 550 millions de dirhams au contribuable.

Verdict : La moralisation de la vie publique est encore au stade de chantier. Certains sont responsables politiques et publics se sont soumis à la reddition des comptes tandis que d’autres n’ont toujours pas fait face à la justice qui pourrait éclaircir certaines affaires et révéler l’innocence ou la culpabilité de ces responsables.

Septième fondement : « La constitutionnalisation des instances en charge de la bonne gouvernance, des droits de l’Homme et de la protection des libertés »

La nouvelle Constitution consacre sept institutions en charge de la bonne gouvernance des droits de l’Homme et de la protection des libertés. Dans cette liste figurent le CNDH, le Médiateur, la Haute autorité de la communication audiovisuelle, l’Instance nationale de probité et de lutte contre la corruption, le Conseil supérieur de l’éducation, le Conseil consultatif de la famille et de l’enfance, le Conseil de la jeunesse et de l’action associative.

A noter que les lois organiques relatives aux deux dernières institutions sont toujours au stade de projet.

Verdict : La constitutionnalisation des instances en charge de la bonne gouvernance, des droits de l’Homme et de la protection des libertés est encore incomplet. Fondement non concrétisé.

 

Jugement de l’Arbitre

Carton rouge. Aucun des sept fondements énoncés par le roi ne s’est encore concrétisé. La langue amazighe n’a pas de cadre officiel, l’État de droit n’est pas consolidé et les libertés sont bafouées. La justice manque selon les magistrats d’indépendance tandis que la séparation des pouvoirs n’est pas effective. La vie publique n’a pas encore été moralisée et certains responsables doivent encore rendre des comptes. Enfin, la constitutionnalisation de certaines instances n’est pas encore achevée. Ce carton rouge est adressé à la Cour constitutionnelle, aux membres du parlement ainsi qu’au gouvernement.

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