Retour à la case départ. Le communiqué conjoint du 8 janvier par lequel le RNI, l’UC, l’USFP et le MP demandent au chef du gouvernement désigné d’étendre la majorité a provoqué une réaction en chaîne, laissant à nouveau planer le doute sur l’issue des tractations pour la formation du prochain exécutif. Au cours des trois mois de tractations, et après avoir repris les rênes du RNI, Aziz Akhannouch était parvenu à s’imposer, notamment dans l’espace médiatique, comme un acteur incontournable des négociations avec Abdelilah Benkirane. Et ce en dépit du faible score du RNI aux législatives. Sa quatrième place aux élections avec seulement 37 sièges (9,37%) avait d’ailleurs coûté son poste à l’ancien président du parti, Salaheddine Mezouar. Aziz Akhannouch avait notamment réussi à écarter le Parti de l’Istiqlal (46 sièges) de la majorité, après la sortie controversée de Hamid Chabat sur la Mauritanie. Après l’éviction de l’Istiqlal, le blocage observé depuis des mois autour de la constitution d’un gouvernement semblait alors dépassé. Mais Aziz Akhannouch a-t-il eu les yeux plus gros que le ventre?
Alors qu’Abdelilah Benkirane attendait une réponse du chef du RNI dans les 48 heures à sa proposition de former un gouvernement composé de la même majorité que la précédente mandature, le RNI, l’UC, l’USFP et le MP demandaient conjointement à être intégrés. La nouvelle requête a provoqué l’ire du chef du gouvernement désigné qui a décidé de rompre les négociations avec Akhannouch, sur le motif que la proposition de former le prochain gouvernement ne concernait pas d’autres partis que le RNI et le MP qui faisaient partie de la majorité sortante.
« Le RNI n’a pas respecté les règles »
Pour plusieurs faucons du PJD, Akhannouch est allé trop loin. Mohamed Yatim, membre du secrétariat général du parti de Benkirane, a écrit sur son compte Facebook que le chef du gouvernement voulait dire « basta » suite aux demandes du RNI. « Ce que j’ai compris [du communiqué de Benkirane, ndlr], c’est qu’on ne peut pas transiger sur un minimum de valeurs » et que « les tractations ont dévié de leur méthodologie et se sont transformées en une tentative de chantage et d’humiliation », écrit Yatim.
Même son de cloche du côté d’Abdelali Hamieddine, également membre du secrétariat général du PJD. « Ils devaient donner une réponse définitive après deux jours. À présent, nous avons été surpris par le communiqué des quatre partis. M. Benkirane n’a pas négocié avec l’USFP et l’UC, ce qui veut dire que le RNI et le MP ne respectent pas les règles et les traditions des négociations, » a expliqué Hamieddine à l’AFP. « En déclarant l’arrêt des négociations, M. Benkirane veut dire ‘stop’ et en finir avec ce surréalisme« , a-t-il ajouté.
Du côté du RNI, on ne l’entend pas de cette oreille. « Si c’est lui [Benkirane, ndlr] le chef du gouvernement désigné, eh bien qu’il forme une majorité et qu’on en finisse« , défie Moncef Belkhayat, membre du bureau politique du RNI, considérant au contraire que la stratégie du RNI s’inscrit bel et bien dans une logique de négociation et non de blocage. Il la compare d’ailleurs à celle adoptée par les hommes d’affaires. « On négocie tout le temps, que ce soit dans le milieu politique, ou économique. Les actionnaires par exemple, négocient un pacte avec leur conseil d’administration. Il y a des techniques de négociation pour cela. Aujourd’hui, ces techniques ont mené à l’arrêt des négociations pour la formation d’un gouvernement, mais je suis persuadé que ça reprendra dans quelques jours« , confie l’ancien ministre des Sports, interrogé par TelQuel.ma.
Meilleurs ennemis
C’est l’expérience économique des membres du RNI qui pourrait expliquer pourquoi Benkirane a laissé Akhannouch prendre autant de place dans les négociations. « Benkirane a mené durant cinq ans une guerre contre le PAM. Ce dernier est maintenant affaibli politiquement et donc l’enjeu de la prochaine mandature portera sur la manière de gérer les affaires, notamment économiques. Benkirane sait que le PJD n’a pas de profil de technocrate dans ses troupes. C’est notamment pour ça qu’il tenait au concours du RNI« , analyse Abderrahim Manar Slimi, professeur de droit constitutionnel. « La proximité d’Akhannouch avec les cercles de pouvoir et l’administration a également poussé Benkirane à ne pas rompre avec lui, » ajoute-t-il.
« Abdelilah Benkirane a commis plusieurs erreurs dans la conduite des négociations depuis trois mois. Il avait abattu toutes ses cartes en déclarant vouloir intégrer l’Istiqlal à la majorité, et se retrouvait dos au mur, alors qu’il aurait pu mener des négociations avec la majorité sortante dès le départ et garder l’Istiqlal comme une solution de recours« , analyse Manar Slimi. Selon lui, la force politique du PJD, dont la jauge était au maximum au sortir des élections, s’érodait progressivement avec les erreurs de Benkirane. Si la manœuvre d’Akhannouch a permis de rebattre les cartes, cette fois c’est au tour du président du RNI de s’emmêler les pinceaux, selon l’universitaire.
« Akhannouch a commis une faute politique en continuant d’élever les conditions de négociations. Cela permet à Benkirane de retrouver la force politique qu’il avait acquise lors des élections et qu’il avait progressivement perdue pendant ces trois mois de négociations« , juge-t-il.
L’USFP, pomme de discorde
Benkirane semble donc s’en tirer à bon compte. Toutefois, si le chef du gouvernement affirme que le communiqué a été rédigé avec des partis auxquels il n’a fait aucune proposition », la surprise n’en est pas vraiment une. Le RNI et l’UC font équipe depuis le début des négociations, avec la création du « Rassemblement constitutionnel ». Par ailleurs, le MP fait partie de la majorité sortante.
En fin de compte, la manoeuvre d’Akhannouch avait donc pour but de faire entrer l’USFP (20 sièges) dans la partie, ce dont Benkirane ne veut pas entendre parler. Des voix proches du palais ont soufflé à l’oreille de l’entourage de Benkirane qu’il fallait laisser une porte ouverte à la formation de Lachgar, mais autour du chef du gouvernement, on est catégorique. « Il est impossible de renoncer à Chabat pour le remplacer par Lachgar. Ça sera la majorité actuelle ni plus ni moins« .
Retour à la case « impasse » pour l’heure donc, trois mois après les élections législatives. Trois scénarios de sortie de crise se profilent, selon les sources contactées par Telquel.ma. Le premier verrait l’une ou l’autre des forces en présence faire des concessions pour la reprise des négociations, c’est-à-dire que le PJD concède à l’intégration de l’USFP, ou que le RNI y renonce.
Dans le cas de figure, Benkirane abandonnerait définitivement le RNI et se tournerait à nouveau vers l’Istiqlal. Peu probable, d’autant plus qu’il en résulterait un gouvernement sans majorité parlementaire. Ce dernier pourrait souffrir d’un vote de confiance défavorable, ce qui conduirait à de nouvelles élections.
Benkirane pourrait dans la dernière hypothèse, déposer sa démission afin que le roi charge une autre personnalité du PJD de former un gouvernement. Il y aurait même songé après avoir annoncé à ses alliés de l’Istiqlal que le gouvernement se ferait sans eux. D’après des sources proches des négociations, lorsque Benkirane a évoqué cette possibilité devant Akhannouch, le patron du RNI lui aurait rétorqué que c’était irresponsable et contraire à l’intérêt de la nation. Akhannouch aurait également déclaré qu’il « ne lui adresserait jamais plus la parole s’il faisait cela« .
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