Hicham El Moussaoui, économiste: «il faut instaurer la culture du résultat dans l'administration»

Pour le professeur d'économie Hicham El Moussaoui, le manque de liberté et de transparence des décisions et de responsabilisation des technocrates expliquent les performances limitées de l'économie marocaine.

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Crédit: DR/Facebook

Hicham El Moussaoui, professeur d’économie à l’Université Moulay Slimane de Béni Mellal est directeur de Libre Afrique, un site d’inspiration libérale en matière d’économie, qui traite de la question du développement de l’Afrique francophone. Telquel.ma l’a interrogé sur le bilan du gouvernement sortant et les réformes à mener pour booster la croissance de l’économie marocaine. Selon cet économiste, le temps est venu de faire sauter des verrous en matière de marché du travail et de réglementation en général. D’après lui, le modèle de croissance marocain essentiellement fondé sur la consommation intérieure doit être repensé, la place aux investisseurs privés enfin donnée.

Telquel.ma: Quel bilan faites-vous du gouvernement sortant en matière d’économie ?

Hicham El Moussaoui : Ces cinq dernières années, comme les précédentes, nous n’avons pas eu une véritable vision pour la stratégie de développement du pays. Si je me limite au quinquennat 2011-2016, on peut dire qu’on est tombé dans une gestion comptable qui consiste à préserver les équilibres macroéconomiques. C’était nécessaire puisque le gouvernement a hérité d’une situation difficile et que tous les indicateurs macroéconomiques étaient dans le rouge. Mais on aurait quand même pu espérer que ce gouvernement, surtout après le Printemps arabe, rompe avec la façon de gérer la politique économique du pays. Est-ce que l’économie marocaine est condamnée à courir derrière des équilibres macroéconomiques et comptables ? Je pense qu’elle mérite mieux que d’être toujours dans une logique de transition.

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Alors a-t-il réussi à améliorer ces équilibres ?

Il est vrai que les finances vont mieux : réduction du déficit budgétaire et du déficit commercial, amélioration de la balance des paiements et augmentation des réserves de change. Mais ce réajustement est surtout du à une conjoncture très favorable : prix du baril de pétrole en chute à partir de 2014, pluviométrie au dessus de la moyenne pendant deux ans, dons du golfe élevés en 2012 et 2013
Les lignes de précaution du FMI ont été renouvelées en 2012, 2014 et 2016. Le gouvernement présente cela comme une confiance du FMI mais j’en fais une autre lecture : si notre économie était suffisamment solide, nous n’aurions pas besoin de reconduire pour la troisième fois la ligne de précaution et de liquidité, ce qui témoigne de la vulnérabilité de l’équilibre. Le bilan comptable reste donc fragile.

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Le gouvernement a quand même réussi à réformer la caisse de compensation et les retraites des fonctionnaires. Qu’en pensez-vous ?

C’est un mandat blanc en matière de réforme structurelle. Benkirane dit que son gouvernement a fait preuve de courage mais il n’y pas eu de véritable réforme de la caisse de compensation. Nous sommes dans un nouveau système où les pauvres et les riches paient plus cher alors que l’objectif devrait être de distribuer des aides ciblées aux populations les plus démunies. Le plan de ciblage de Najib Boulif [alors ministre délégué chargé des Affaires générales, NDLR] était annoncé comme prêt avant que le gouvernement ne se rétracte. S’il était vraiment courageux, il aurait décompensé le butane et la farine.
Pour les retraites, nous n’avons pas non plus eu de véritable réforme. Il faut en finir avec ce système par répartition basé sur la solidarité intergénérationnelle et géré de manière centralisée, où les gens gèrent l’argent des autres et n’ont pas intérêt à bien le gérer. L’alternative existe : la retraite doit être basée sur un choix personnel : il faut redonner la liberté aux retraités, sinon on tombe dans l’assistanat, sans parler du risque du déficit structurel. Il faut que les personnes épargnent pour avoir un revenu une fois arrivées à la retraite, comme avec le système des fonds de pension aux États-Unis par exemple.

Mais il n’y a donc aucune redistribution, c’est du chacun pour soit, et cela suppose que les personnes soient en capacité d’épargner…

Bien sûr, le système de capitalisation a un risque (lié au système financier), mais moins que celui par répartition. Cela suppose que les gens aient un emploi. On peut imaginer parallèlement un régime spécial ciblé, destiné aux plus démunis.

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Quels sont les principaux problèmes structurels alors ?

L’économie n’est tirée que par la demande intérieure (la consommation des ménages) et les investissements publics. L’effet d’entraînement est donc limité : ce n’est pas avec 2 % de croissance que nous allons résoudre le problème du chômage. Il faut miser sur les investissements, particulièrement privés. Les gens pensent que les investissements publics créent de la richesse mais pas forcément : ils ne font souvent que transférer la richesse. Au Maroc, pour obtenir un point de croissance, il faut investir sept unités de capital, contre seulement quatre au Chili par exemple. Au Maroc, l’investissement public représente 30 % du PIB contre 28 % en Turquie, pays qui enregistre une croissance de 6 %.

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Comment se fait-il que les investissements publics aient des rendements si faibles ?

Ceux qui prennent les décisions ne sont pas ceux qui en assument les conséquences, contrairement aux investisseurs privés. Il n’y a aucune responsabilisation des choix, donc certaines décisions sont prises sur une base approximative et souvent suivant une logique politicienne qui est incompatible avec la logique d’efficience économique. Je ne dis pas que les investisseurs privés ne se trompent jamais, mais ils doivent assumer les conséquences de leur choix alors que dans le public, il y a toujours un filet de sécurité : le budget de l’ État. On le voit bien avec les entreprises publiques qui, entre 2010 et 2014, ont payé moins d’impôts qu’elles n’ont reçu de l’Etat. Il faudrait instaurer dans le public la culture du résultat avec un bonus et un malus par exemple. Ce serait être en cohérence avec l’esprit de la Constitution de 2011 et le renforcement de la reddition des comptes.
Aussi, il n’y a pas encore au Maroc de culture d’évaluation des politiques publiques. Sans oublier les problèmes de délits d’initiés et de conflits d’intérêts. Certains sortent de temps en temps, comme l’assurance agricole, mais il y en a plein d’autres. Les deux ministres de l’Industrie et de l’Agriculture doivent quitter le gouvernement [l’interview a été réalisée le 7 octobre, NDLR], même si je reconnais leurs compétences. Enfin, il y a le problème du manque de transparence et le fait que les décisions sont parachutées, élaborées ailleurs… Il faut sortir de l’ambiguïté aussi bien en politique qu’en économie: comme on ne sait pas qui fait quoi, il n’y aucune responsabilisation sans laquelle point de bonne gouvernance et encore moins de rentabilité.


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Que pensez-vous du climat des affaires pour les investisseurs privés ?

On dit que les Marocains n’ont pas le goût du risque mais on fait tout pour mettre des bâtons dans les roues des investisseurs privés. Le Maroc souffre d’un manque de liberté économique. Le premier obstacle est la bureaucratie (même si nous avons fait des progrès pour l’obtention des permis de construire et le paiement des impôts). Les points noirs sont les procédures d’insolvabilité ou encore le commerce transfrontalier : le passage à la douane est toujours un parcours du combattant.
Il y aussi le problème de l’instabilité des règles du jeu : chaque année, la loi de finances change donc il est impossible de se projeter sur trois ou quatre ans. La réglementation du marché du travail doit être assouplie. Par exemple, il est aberrant que le montant du smig soit le même dans une usine à Casablanca ou dans le Maroc profond, c’est comme si on voulait imposer le smig français au Maroc ! Enfin, il y a le problème de l’Etat de droit. Pour moi, la réforme prioritaire est celle de la justice.

Il n’est jamais évident de réformer…

Oui, le rythme de réforme est lent mais dans un contexte de mondialisation, on ne peut pas être lent. Les gagnants du statu quo ont toujours intérêt à bloquer les réformes ou les vider de leur substance. Il faut donc voir avec ces gens là comment les compenser, adopter une approche maline pour les inclure et ne pas se limiter à une approche de répression ou d’exclusion. L’Asie a bien réussi à trancher avec l’ambiguïté, à changer de manière radicale. Même la Chine, pourtant pays communiste, a choisi la liberté économique, ce qui lui a permis de bénéficier d’une croissance extraordinaire. Il faut revenir à deux fondamentaux qui ont été à l’origine de la prospérité de plusieurs nations : plus de liberté et de responsabilisation des acteurs.

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