L’heure est aux honneurs et au faste cette nuit du lundi 7 décembre à Abu Dhabi. L’émirat le plus riche et le plus grand de l’État fédéral –il concentre 95% du pétrole du pays– accueille Mohammed VI et l’entoure des décideurs émiratis les plus éminents. A gauche du souverain marocain est assis Mohammed bin Rashid Al Maktoum, émir de Dubaï et Premier ministre des Émirats arabes unis (EAU). A la droite du roi, son ami d’enfance, l’influent Mohammed bin Zayed Al Nahyan, prince héritier d’Abu Dhabi, pressenti à la succession de son frère Cheikh Khalifa, président de l’État fédéral, affaibli par la maladie depuis janvier 2014. L’ensemble des convives immortalisent le moment en se pliant au jeu des photographes officiels. Les traits sont détendus. Le cliché diffusé dans la presse résume à lui seul l’importance de la visite d’« amitié et de travail » de Mohammed VI, qui a débuté le 2 décembre et coïncide avec la fête nationale des Émirats. C’est la deuxième visite du roi cette année après celle effectuée en mai. « Une confiance lie le Maroc aux Émirats depuis longtemps. C’est une histoire de famille », commente un connaisseur du sérail. Les liens se sont en effet étoffés à l’époque de Hassan II.
Une affaire de famille
Dans la famille régnante de ce richissime État, demandez le père. Cheikh Zayed était évidemment un proche de la monarchie marocaine. En signe de gratitude et d’amitié pour le généreux donateur qu’il était, le plus prestigieux hôpital du Maroc et une dizaine d’orphelinats portent son nom. Un deuil national a même été décrété par Mohammed VI en 2004 à la mort de l’ancien président émirati, intime de son père. Aujourd’hui, les attaches familiales perdurent. Dans l’actuelle dynastie Al Nahyan, la plus influente des épouses du père fondateur, Sheikha Fatma, est présentée comme la « mère de la nation et des Émirats », chez elle mais aussi chez nous. C’est en ces termes que la princesse Lalla Salma a évoqué sa convive il y a deux ans, lors de l’inauguration du centre d’oncologie gynéco-mammaire de Rabat, baptisé du nom de Sheikha Fatma, aussi présidente du Fonds de développement familial de son pays. Cette femme « qui est considérée comme un membre de la famille royale marocaine », selon notre source, est aussi et surtout la mère de six sheikhs influents. Quatre d’entre eux –Mohammed, Hazaa, Mansour et Abdellah– sont proches de Mohammed VI. Ils ont grandi ensemble et les liens sont fraternels. Au point que Mohammed VI n’hésite pas à troquer sa djellaba officielle pour un jean et des bottes en caoutchouc quand il reçoit son ami, le prince héritier d’Abu Dhabi, qui lui rend la pareille avec un bonnet vissé sur la tête et un jean de circonstance. Alors forcément, quand ils en viennent à parler affaires et intérêts nationaux, les oreilles sont attentives et les créances accordées.
Cap sur le tourisme
Le pays de Sheikh Mohammed investit à tour de bras dans le royaume. Le dernier investissement en date concerne des projets agricoles au Maroc pour lesquels les EAU s’engagent pour un total de 407 millions de dirhams. Mais l’une des enveloppes les plus importantes pour le Maroc est le fonds Wessal, créé en 2011 et doté de 2,5 milliards d’euros pour investir dans le secteur touristique. Ce bras financier regroupe cinq fonds souverains: marocain (FMDT), saoudien (Public Investment Fund), qatari (Qatar Holding), koweïtien (Al Ajial Investment) et bien sûr émirati (Aabar Investments, dirigé par Sheikh Mansour, de la fratrie proche de Mohammed VI). Le ticket d’entrée pour chaque fonds: 500 millions d’euros. « Que des fonds souverains se réunissent autour d’un projet aussi important, c’est assez inédit. Les dirigeants du Golfe ont fait un acte de confiance », nous indique Tarik Senhaji, DG du Fonds marocain pour le développement touristique (FMDT) et membre du conseil d’administration de Wessal Capital, société de gestion du fonds. Mais quand il s’agit d’argent, la bonne entente entre les dirigeants émiratis et marocains n’explique pas à elle seule l’importance accrue des investissements de ce pays du Golfe dans le royaume. « Après le 20-Février, le Maroc a prouvé sa stabilité. Nous avons vécu le scénario catastrophe et aujourd’hui nous sommes les seuls dans la région MENA à présenter un attrait pour les investisseurs touristiques », nous explique une source familière des négociations entre le Maroc et les pays du Golfe. Notre source précise que le Maroc « a de moins en moins besoin d’aller discourir sur la stabilité de son modèle ». Les investisseurs émiratis en sont donc convaincus et, comme leurs riches voisins, « ils voient dans le Maroc des opportunités d’investissements, et dans le cas de Wessal, ils entrent dans un secteur d’avenir de manière structurée, avec de bons standards pour des investisseurs institutionnels », affirme Tarik Senhaji, pas peu fier de cette initiative qui parie sur le potentiel de développement du Maroc. Car pour l’heure, Wessal n’a pas vocation à remonter des dividendes aux fonds investisseurs, « c’est une vision à long terme, il est important pour eux de positionner d’abord la destination Maroc », précise Senhaji.
Des dons et des soldats
La contribution et l’aide des Émirats arabes unis ne s’arrêtent pas qu’au domaine du tourisme et au fonds Wessal. L’aide émiratie accompagne le développement économique et social du Maroc, en appuyant les chantiers chers au souverain. Depuis 30 ans, le Fonds Abu Dhabi pour le développement (ADFD), dirigé aussi par Sheikh Mansour, a accordé près de 2 milliards de dollars de dons au Maroc, selon l’agence de presse émiratie WAM. En septembre 2013, le pays de Cheikh Khalifa a donné 100 millions de dollars au Maroc pour financer le développement du royaume dans le domaine des énergies solaire et éolienne. Un autre don a permis de financer la construction du plus grand hôpital privé du Maroc, l’hôpital Cheikh Khalifa Bin Zayed, à Casablanca. Un établissement d’une superficie de 39 000 m², disposant de 205 lits, 46 salles de consultation, 85 salles d’exploration et de traitement ainsi que huit salles d’opération.
La tradition familiale est ainsi perpétuée. Et la monarchie sait être reconnaissante. L’année dernière, une dépêche de l’agence officielle MAP nous apprenait que « plusieurs centaines de militaires marocains avaient précédemment, et sur plusieurs décennies, été déployés sur le territoire émirati, dans le cadre de contributions à la formation et à la sécurité de l’émirat d’Abu Dhabi ». Le Maroc s’est alors engagé dans la guerre contre le terrorisme auprès des Émiratis et leur a fourni formation et aide sur « des aspects militaires opérationnels et de renseignement ». C’est sur le sol émirati que six F-16 appartenant aux Forces armées royales (FAR) ont été stationnés fin 2014 pour participer aux frappes sur les positions de l’État islamique. Ces mêmes F-16 ont participé aux bombardements contre les rebelles houthistes au Yémen dans le cadre de l’opération « Tempête décisive », menée par l’Arabie Saoudite. Une opération à laquelle les FAR, dont le roi est le chef suprême, participent aux côtés des forces émiraties. De quoi équilibrer les relations avec le premier investisseur arabe au Maroc.
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