Si elle existe depuis le 1941, la caisse de compensation fait beaucoup parler d’elle ces dernières années, encore plus depuis que le gouvernement a annoncé vouloir mettre fin à son cœur de métier. Mais de quoi parle-t-on? Salima Bennani, directrice de l’institution tenait une conférence le 12 mai à l’Université internationale de Casablanca. Une occasion de revenir sur le rôle de la caisse de compensation, ses effets (parfois pervers) et surtout la progressive décompensation qui attend les Marocains.
A quoi devait servir la compensation ?
« On dit que la compensation a pour rôle de sauvegarder le pouvoir d’achat des Marocains mais c’est faux, ce n’est pas le rôle qui lui a été attribué lors de sa création », explique Salima Bennani. A l’origine, le mécanisme a été mis en place pour stabiliser les prix et assurer l’approvisionnement des marchés, dans un contexte de post Guerre mondiale où les prix flambaient à cause de la pénurie. « On se disait que la subvention était justifiée parce qu’elle incitait à la consommation interne et donc soutenait la croissance économique du pays ».
Comment le mécanisme fonctionne-t-il ?
A l’heure actuelle, la caisse de compensation verse des subventions à la filière sucrière, à celle de la farine de blé tendre et celle du butane. Un prix fixe est établi par l’Etat. Si le prix du cours est supérieur à celui-ci, la caisse paie la différence au professionnel (l’importateur de sucre par exemple).
A quoi a finalement servi la compensation ?
En plus de son rôle premier, le mécanisme de compensation a eu comme des « effets collatéraux », certains positifs, d’autres non. Elle a soutenu certains secteurs, à l’aide de subventions directes ou indirectes (en subventionnant les intrants par exemple). Aussi, la compensation a eu une fonction de marketing, en subventionnant des produits nouveaux sur le marché marocains. Salima Bennani donne l’exemple de l’huile végétale, qui a remplacé l’huile d’olive des cuisines marocaines, parce qu’elle était moins couteuse puisque subventionnée.
Quels en sont les effets pervers ?
« Quand on met une stratégie en place, nous partons avec un idéal mais nous arrivons à une situation différente. La compensation a des effets pervers, provoque des dérapages, qui ont été constatés au Maroc mais aussi ailleurs », explique Salima Bennani. Parmi les dommages collatéraux relevés par la directrice : la contrebande, le gaspillage, le non respect des règles de la concurrence ou encore le « système de rente » (les institutions et entreprises subventionnées ne sont pas incitées à innover). Aussi, la compensation bénéficie finalement plus aux riches qu’aux pauvres, puisque ce sont ceux qui consomment le plus.
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Quel a été le déclic pour y mettre fin ?
Comme l’explique Salima Bennani, le mécanisme ne posait pas de problème avant 2008. Mais au moment de la crise économique mondiale et de la flambée des prix des produits pétroliers, la compensation est devenue un véritable gouffre financier. « L’aspect social n’aurait jamais été abordé s’il n’y avait pas eu ce coût économique », avoue la directrice. En effet, à cette époque, les subventions représentaient 7 % du PIB marocain, alors que d’après les chiffres avancés par la directrice de l’institution, la moyenne mondiale est de 0,7 %. En 2013, la compensation coûtait encore 40 milliards de dirhams, c’est-à-dire plus que le budget d’investissement de l’Etat. Bref, cette course au financement a provoqué une dégradation des agrégats économiques (balance des paiements, dette publique…).
Carburants : sur la voie de la libéralisation
En juin 2012, le gouvernement a décidé d’augmenter le prix de vente du gasoil et du super sans plomb. A partir de 2013, ces prix ont été indexés sur les cours mondiaux. Depuis fin 2014, le carburant (gasoil, super et fuel) n’est plus subventionné par l’Etat marocain, qui encadre toujours les prix. Leur libéralisation totale est prévue pour novembre 2015. Les subventions du carburant sont les principales dépenses de la caisse de compensation. Ainsi, en 2014, l’organisme a réussi à diminuer ses dépenses liées aux subventions, passant de 40 milliards de dirhams à 25 milliards de dirhams. D’après ce qui est attendu, ce chiffre devrait baisser à 10 milliards de dirhams pour 2015 (sans compter le paiement des créances).
Le sucre toujours subventionné, qui y gagne ?
Les Marocains consomment majoritairement du sucre indirectement, via les produits agroalimentaires qu’ils achètent. Même si les aides que reçoivent les industriels sont normalement répercutées sur le prix de vente, la compensation du sucre ne profite pas directement aux consommateurs, estime Ouadi Madhi, président de la Fédération nationale des associations de consommateurs (Fnac). Ce qui le pousse à demander la « levée intégrale de la subvention du sucre, pour des raisons sanitaires également, ou bien ne garder ne garder que celle du sucre en pain ».
Ne faudrait-il pas alors supprimer seulement les subventions accordées à l’agroalimentaire ? « On peut y penser mais toute une série de questions se pose alors. On impacterait ainsi directement la compétitivité du secteur agroalimentaire marocain », admet la directrice de la caisse de compensation.
La décompensation du gaz butane pas pour 2015
La fin des subventions du gaz butane (la fameuse « bota ») fait l’objet de beaucoup de rumeurs et d’intox. Salima Bennani préfère donc garder le secret. « Si on regarde à l’horizon 2015, il n’y a aura pas de décompensation du gaz butane », a seulement expliqué la directrice. En février dernier, une source au sein du ministère de l’Economie et des finances expliquait à Telquel.ma, que l’arrêt des subventions (y compris pour la farine et le sucre) devrait être enregistré dans la loi de finances 2016. Mais à en croire le chef du gouvernement, le calendrier n’est toujours pas arrêté.
Comment remplacer les subventions?
Passer des subventions accordées aux produits aux subventions accordées directement aux consommateurs est un changement total de paradigme économique. Comment ces aides seront-elles calculées puis versées aux ménages ? Silence radio pour le moment, aussi bien du côté de la caisse de compensation que du gouvernement. Fin 2014, le ministre des Affaires générales expliquait d’ailleurs que d’après lui, le ciblage direct de catégories sociales précises « ne devrait pas être mis en place » et ne « peut pas être mis en place », arguant qu’il n’y a aucun indicateur permettant de définir les catégories sociales qu’une telle mesure pourrait encourager « la paresse ». Pour sa part, Ouadi Madhi émet une idée : créer des magasins coopératifs ou associatifs dans lesquels les détenteurs d’une carte Ramed pourraient s’approvisionner, par exemple.
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