[TRIBUNE] Pour elles, et pour celles qui viendront après nous

Le 25 octobre 2022, Aïcha Ech-Chenna s’est éteinte. Pilier de la lutte pour les droits des femmes marocaines, elle a consacré sa vie aux mères célibataires et aux enfants nés hors mariage. Elle s'est battue, comme tant d’autres femmes, pour les petites victoires que nous avons obtenues jusque-là. Il est de notre devoir, aujourd’hui, de poursuivre leur combat.

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Le 12 mars 2000, des milliers de manifestants envahissent les rues de Rabat et Casablanca : les uns sont pour la réforme de la Moudawana, les 
autres sont contre. Crédit: Joëlle Vassort / AFP

En cette Journée internationale de lutte pour les droits des femmes, nous, militant·e·s féministes marocain·e·s, tirons la sonnette d’alarme. Nous nous adressons au Gouvernement, au Parlement, et à l’ensemble du peuple marocain pour exprimer bien plus qu’une simple revendication. C’est une nécessité vitale qui nous anime : celle de faire évoluer nos lois, pour que cessent les violences, notamment juridiques, exercées à l’encontre des femmes.

“Il n’y aura jamais une deuxième Aïcha Ech-Chenna, mais j’espère que notre pays aura des femmes qui lui ressemblent”, déclarait à TelQuel une ancienne bénéficiaire de son association, Solidarité féminine, au lendemain de sa disparition.Crédit: TOUMI/TELQUEL

2004-2023 : un grave constat d’échec dans la protection des femmes

Ces 19 dernières années, de nombreuses affaires ont signé l’échec de notre société à assurer la sécurité des femmes.

Des peines d’emprisonnement absurdes pèsent sur les femmes, les empêchant de disposer de leur propre corps. Pensons aux femmes qui ont été condamnées pour relations sexuelles hors mariage, ou pour avortement.

Cette privation de liberté fondamentale peut entraîner la mort. Souvenons-nous de Meriem, violée à 14 ans, et morte des suites d’un avortement clandestin. Ces féminicides sont fréquents, tout comme les féminicides conjugaux ou intra-familiaux, encore traités comme des faits divers.

Enfin, des affaires de violences sexuelles ont marqué les esprits. Souvenons-nous de Khadija, kidnappée, violée et torturée par douze hommes. Souvenons-nous de cette Casablancaise agressée sexuellement par un groupe de garçons dans un bus, ou encore de cette Tangéroise agressée sexuellement en pleine rue par un homme pendant qu’un autre filmait la scène.

Nous n’acceptons plus de toujours passer au second plan dans le calendrier parlementaire

Et lorsque, tout récemment, un chanteur adulé des Marocain·e·s a été condamné à six ans de prison pour viol aggravé, le procès et le verdict ont été le révélateur d’une culture du viol bien ancrée dans les mentalités : Saâd Lamjarred a suscité à lui seul plus de soutien que toutes les femmes que nous venons de mentionner.

Ce triste bilan dresse le portrait d’une société patriarcale et violente, où l’on culpabilise les femmes alors qu’on protège leurs agresseurs ; et où l’égalité des sexes n’existe ni dans les faits ni dans les droits. Nous n’acceptons plus de toujours passer au second plan dans le calendrier parlementaire, comme la proposition de loi sur l’Interruption médicale de grossesse (IMG) nous l’a prouvé en ayant été discutée en 2016, 2018 et en 2022, sans avoir jamais été adoptée.

La famille marocaine de 2023 n’est plus celle de 2004

Dix-neuf ans après la dernière modification de la Moudawana, les façons d’aimer, de se lier, de fonder et de gérer une famille ont changé. Moins de mariages, plus de divorces, plus de familles monoparentales… mais aussi plus de femmes qui exercent une profession, plus de femmes aux postes à responsabilité. Si notre société a changé, pourquoi ne pouvons-nous pas en dire autant de nos lois ?

Si notre société a changé, pourquoi ne pouvons-nous pas en dire autant de nos lois ?

Celles-ci continuent d’être pensées comme si le Maroc n’avait nullement adopté une nouvelle Constitution en 2011, dont l’article 19 garantit l’égalité entre les femmes et les hommes, et la protection de l’enfance. Comme si notre pays n’avait pas conclu de conventions internationales pour l’élimination des discriminations à l’encontre des femmes et pour la protection des droits des enfants.

“La réforme de 2004 a pavé le terrain à un certain nombre de modifications qui ont eu lieu, et à d’autres à venir”, estime Nouzha Guessous.Crédit: AFP

Nous voulons un Code de la Famille avec un esprit nouveau, sous le signe de l’égalité absolue et effective entre les sexes. Nous réclamons une Moudawana qui interdise et pénalise le mariage des enfants. Qui prenne en compte l’intérêt supérieur de l’enfant comme clé de voûte de la légifération et la prise de décisions judiciaires. Des lois qui suppriment les formes désuètes de divorce.

Qui prennent en compte et valorisent le travail des femmes au sein du foyer. Qui mettent en place l’autorité parentale conjointe (tutelle, garde et responsabilité conjointe). Qui autorisent les femmes à être témoins. Qui mettent en place l’égalité dans le droit des successions. Qui reconnaissent le mariage d’une femme marocaine avec un non-musulman non-converti et enfin, qui interdise la polygamie et qui institue un droit successoral équitable.

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L’ère des violences et des discriminations contre les femmes doit prendre fin

La Constitution garantit l’égalité entre les femmes et les hommes au Maroc… et pourtant, ce sont, en majorité, les filles qui continuent d’être contraintes au “mariage” avant 18 ans.

Ce sont les femmes qui se suicident, accablées par le déshonneur que la culture machiste leur fait porter ; les femmes qui sont massacrées ou violées au sein même de leurs foyers ; qui sont harcelées dans les rues et sur les réseaux sociaux ; qui sont laissées pour compte par un système judiciaire qui peut se retourner contre elles en cas de plainte pour viol…

Enfin, ce sont les femmes qui meurent dans d’atroces conditions, des suites d’avortements clandestins, empêchées d’accéder aux soins médicaux dont elles ont besoin pour mettre fin à une grossesse non désirée.

Des femmes, militantes ou pas, ont participé à un sit-in en soutien à Hajar Raissouni le 2 octobre 2019, devenue le symbole d’un Code pénal qui cadenasse leur corps.Crédit: Yassine Toumi / TelQuel

Les femmes souffrent et meurent en silence, dans un Maroc qui ne reconnaît pas les féminicides dans toute la complexité de leurs aspects. C’est une hécatombe face à laquelle nous ne nous tairons plus.

Nous demandons la création d’un dispositif destiné à protéger les femmes, et à lutter contre les féminicides. Une protection efficace des femmes face aux violences ne peut pas aller sans l’abrogation des articles 449 à 458 du Code pénal, criminalisant l’avortement.

Le problème n’est pas la sexualité, mais les violences sexuelles

Chaque Marocaine, chaque Marocain doit pouvoir user de son libre arbitre lorsqu’il s’agit de sa propre vie, de son propre corps. Plutôt que d’emprisonner des citoyens pour avortement, homosexualité ou relations sexuelles hors mariage, nous ferions mieux de nous attaquer à l’un des plus grands dangers qui gangrènent la société : celui des violences sexuelles.

La lutte contre ce fléau doit passer par une refonte globale du Code pénal : avec l’abrogation des dispositions pénalisant l’exercice des libertés individuelles (article 490 qui pénalise les relations sexuelles hors mariage, article 491 qui pénalise l’adultère, article 489 qui pénalise l’homosexualité, articles 418 à 421 qui encouragent le recours à la violence en cas d’adultère, d’attentat à la pudeur et de commerce charnel illicite).

Cette refonte devra également comprendre le renforcement de la lutte contre la pédocriminalité, la révision de l’article 483 en limitant l’infraction d’attentat à la pudeur à la nudité des parties génitales en public ; et l’ajout de définitions ainsi que de dispositions protectrices pour les personnes victimes de violences fondées sur le sexe, les opinions, les croyances et l’orientation sexuelle.

Il est aussi indispensable d’agir sur le plan de l’éducation, dans ce pays où 46 % des femmes ne savent pas lire et écrire, ce qui renforce leur dépendance et leur vulnérabilité. Éduquons nos jeunes à la notion de consentement en rendant obligatoires des cours d’éducation sexuelle.

Manifestation pour le droit à l’avortement à Rabat, le 28 septembre 2022.Crédit: Rachid Tniouni / TelQuel

Nos aînées se sont battues afin d’obtenir des droits en 2004. Nous continuons le combat pour elles, et pour celles qui viendront après nous. Le dimanche 12 mars 2023, nous appelons à la mobilisation dans la rue, à Casablanca, pour crier : daba ja ! Dix-neuf ans après, c’est le temps du changement.

Rassemblement : Pour elles et pour celles qui viendront après nous

Quand ? Dimanche 12 mars à partir de 14h30.

Où ? Casablanca, Place des Nations Unies.

Inscription et infos sur l’événement Facebook.

Liste des co-signataires

Associations, collectifs et pages féministes

Association Tahadi pour l’égalité et la citoyenneté (ATEC)

Association Kif Mama Kif Baba (KMKB)

Fédération des Ligues des Droits des Femmes (FLDF)

Association Démocratique des Femmes du Maroc (ADFM) 

@7achak.maroc

@houwa_li_hiya

@justafeminist

@kounimra

@iti7ad_almaghribiat1

Personnes

Bouchra ABDOU, directrice d’ATEC Tahadi

Yousra ABOURABI, professeure à l’Université internationale de Rabat

Sofia ALAOUI, réalisatrice

Amira AZOUZI, réalisatrice

Lamya BENMALEK, militante féministe

Sarah BENMOUSSA, militante et fondatrice du mouvement @7achak

Yasmina BENSLIMANE, militante féministe et créatrice de @politics4her

Latifa BOUHCINI,

Houda CHARHI, militante féministe et créatrice de @bentdarhoum 

Camélia ECHCHIHAB, journaliste et créatrice de @feminicides.maroc

Sanaa EL AJI EL HANAFI, sociologue et co-fondatrice de Marayana.com

Amal EL AMINE, responsable des programmes à l’association Droits et Justice 

Jamila EL HAOUNI, actrice

Dina EL MOUKHTARI, militante féministe

Amina LOTFI, présidente du pôle Rabat de l’ADFM

Ghizlane MAMOUNI, avocate et co-fondatrice de l’association Kif Mama Kif Baba

Karima NADIR, activiste féministe

Aïcha SAKHRI, journaliste