Dès le lendemain du verdict ayant condamné Saad Lamjarred à six ans de prison ferme pour viol aggravé, une liste recensant les personnalités publiques soutenant le chanteur circulait d’ores et déjà sur Twitter. C’est que quelques heures seulement après l’annonce du verdict, tombé dans l’après-midi du 24 février, les réseaux sociaux croulaient de messages de soutien et de solidarité en tous genres, dénonçant pour la plupart une condamnation “injuste”, et même “un complot français contre le Maroc”.
Et l’irruption de violence des soutiens et fans du chanteur après l’énoncé du jugement au Palais de Justice de Paris s’est poursuivie sur la Toile, sur laquelle se multiplient provocations et insultes à l’égard de la victime. Alors même que durant ses comparutions devant la justice, la victime Laura P. a pointé les nombreuses campagnes de harcèlement et de diffamation dont elle a fait l’objet depuis le début de l’affaire en 2016 — élément qui a par ailleurs été pris en compte par la justice française pour fixer la peine de Saad Lamjarred — une vague de haine et de menaces continue de déferler sur les réseaux sociaux.
Entre les stories, tweets, et posts sur Facebook et Instagram, la guerre des hashtags a été déclarée entre les soutiens de Laura P., et ceux de l’auteur du viol qu’elle a subi.
Le soutien du show-biz
Dounia Boutazout, Hatim Ammor, Ibtissam Tiskat, Rachid El Ouali, Najat Aatabou, Sanaa Akroud… Ils et elles ont été des dizaines de chanteurs, acteurs, influenceurs et journalistes à adresser un message de soutien à Saad Lamjarred, et ce, malgré la décision de justice qui le reconnaît coupable de viol aggravé.
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Une condamnation tellement contestée par les fans du chanteur que plusieurs d’entre eux ont annoncé leur participation le 4 mars à un “rassemblement contre le jugement sévère rendu à l’encontre de Saad Lamjarred”, organisé par une mystérieuse Instance démocratique marocaine du droits humains (sic), qui devrait se tenir à Paris.
Pas plus tard que lundi, la célèbre actrice Raouia — de son vrai nom Fatima Hernadi —, âgée de 72 ans, s’est elle aussi fendu d’un message sur Instagram : “Je ne comprends pas toute cette méchanceté et cette haine chez les gens (envers) Saad Lamjarred dans son affaire de justice, qui est devenue une affaire d’opinion publique. Une actrice marocaine célèbre, que vous connaissez sûrement, m’a bloquée, tout ça parce que je me suis solidarisée avec un enfant de mon pays. Ça me choque, parce que cette femme a laissé un enfant de son pays et a choisi de défendre une Française qui joue le rôle de la victime.”
Un complot contre le Maroc ?
Si les soutiens publics de Saad Lamjarred proviennent principalement du monde de la scène et de la chanson, c’est aussi parce que ses parents, la comédienne Nezha Regragui et le chanteur Bachir Abdou, en font partie.
Dimanche 26 février, ce dernier s’exprimait pour la première fois, via Instagram, sur la condamnation de son fils : “Je voudrais exprimer ma profonde tristesse quant à la décision de la justice française concernant les droits de mon fils chéri Saad Lamjarred, qui ne mérite pas cette décision sévère et mystérieuse.”
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Un message qui n’a pas manqué d’alimenter toutes les théories complotistes qui seraient, selon les internautes, mais aussi selon certains proches du chanteur condamné, à l’origine de la décision de justice qui a été rendue. Tandis que certains évoquent l’implication de la victime dans un réseau d’escorts — un élément qui n’a pas été retenu par la cour —, d’autres estiment que les relations diplomatiques entre Rabat et Paris, particulièrement tendues ces derniers mois, seraient derrière une sentence aussi “lourde”.
Une théorie d’autant plus soutenue sur la Toile depuis que le quotidien français Le Parisien a révélé, dans la soirée du 27 février, que l’international marocain Achraf Hakimi était visé par une enquête pour viol, une jeune femme ayant fait des déclarations en ce sens à la police. Car si la victime présumée a refusé de porter plainte, la justice française s’est autosaisie de l’affaire.
“Ce n’est pas du patriotisme”
De l’autre côté de la barrière, de nombreux internautes ont été surpris, voire déçus, par l’intensité de la vague de soutiens à Saad Lamjarred. “Ce sont les mêmes qui feront un post le 8 mars pour soutenir les droits des femmes”, tweete une internaute, en référence aux nombreuses célébrités qui ont affiché publiquement leur solidarité avec le chanteur, sous couvert de patriotisme.
“Les comportements de ceux qui ne respectent ni les femmes ni les lois ne sont pas une source de fierté pour notre pays”
En ce sens, des militantes féministes dénoncent ceux qui défendent l’auteur d’un crime en raison de sa nationalité. “Soutenir un violeur car il est Marocain, ce n’est pas du patriotisme”, a ainsi écrit l’avocate Ghizlaine Mamouni, présidente de l’association Kif Mama Kif Baba, dans une publication largement reprise par un réseau de militantes. “Quand un Marocain accomplit quelque chose, on est fier de lui car il lève le drapeau de notre pays et lui fait honneur par un accomplissement positif. Mais les comportements de ceux qui ne respectent ni les femmes ni les lois ne sont pas une source de fierté pour notre pays. Ce n’est pas parce que Lamjarred est Marocain que sa condamnation pour viol doit être allégée.”
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Dans la même veine, la sociologue Sanaa El Aji s’interroge : “Que ce serait-il passé s’il était question d’une artiste marocaine, célèbre et appréciée, qui avait été accusée de viol et de violences sexuelles ? Si cette femme avait reconnu devant le tribunal qu’elle avait consommé de la cocaïne, qu’elle avait bu de l’alcool, qu’elle était en boîte de nuit, qu’elle avait rencontré un homme qui lui avait plu, qu’elle se trouvait dans un hôtel avec lui, qu’elle avait preuve de ‘violence involontaire’ envers celui-ci ? Est-ce que le public se serait solidarisé avec elle de la même manière hystérique que c’est le cas aujourd’hui avec Saad Lamjarred ?”
Loubna Abidar, célèbre pour avoir joué le rôle d’une prostituée dans le film Much Loved (2014), a peut-être une réponse à ces interrogations : “Quand j’ai joué ce rôle, que je ne vous présente plus, pour dénoncer un fléau que l’on doit tous combattre la main dans la main, j’ai été insultée, agressée, et quasiment chassée de mon propre pays”, écrit-elle dans un post Instagram.
“Arrêtons de blâmer celles qui se disent victimes, et croyons-les, aidons-les, à se faire entendre, à se protéger, et à se reconstruire”
L’actrice fait référence aux menaces, harcèlements et violences dont elle a été victime suite à son apparition dans le film de Nabil Ayouch, film dans lequel son personnage boit, se drogue, enchaîne des soirées en compagnie d’inconnus. “Le pays s’était indigné, mais pas contre le bon ennemi. Et aujourd’hui je vois, encore une fois, mes compatriotes se soulever, se regrouper, faire entendre leur voix, contre ce qui me semble être, une fois de plus, le mauvais ennemi. Ce que nous devons combattre aujourd’hui, c’est cette culture du viol qui entache nos femmes, notre société, et nos enfants. (…) Arrêtons de blâmer celles qui se disent victimes, et croyons-les, aidons-les, à se faire entendre, à se protéger, et à se reconstruire.”
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