Inondations : mettre les outils de la Smart City à la disposition des vrais enjeux de résilience d’une métropole

Tout un chacun sait que Casablanca est bâtie sur un fleuve : Oued Bouskoura. Si l’on y parle de transition numérique et énergétique depuis 2013, il est surprenant qu’à aucun moment, la question de l’application des nouvelles technologies à la problématique des inondations n’ait été au centre des enjeux d’une vraie politique publique.

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Inondations à Casablanca, début janvier 2021. Crédit: Yassine Toumi / TelQuel

“Vendredi 24 février 1939, 15 heures. TRAVAUX PUBLICS, CASABLANCA. – Construction d’un canal en béton armé sur la rive droite de l’oued Mellah entre les p. k. 0.010.11 et 5.700.41.” Il est loin le temps où paraissaient dans la presse professionnelle, comme ici dans la rubrique “Appels d’offres et de concours” du journal Les Travaux Nord-Africains, ce genre d’annonces. Et pour cause, deux années après, les Bidaouis pouvaient être alimentés en eau par la mise en service du barrage Oued Mellah.

Nidam Abdi est éditeur de la veille stratégique Territorial Challenges, spécialisée en transition numérique et énergétique des territoires.Crédit: DR

Il y a un siècle, Casablanca, comme des dizaines de villes à travers le monde, était sous l’impact d’une structuration urbaine guidée par la deuxième révolution industrielle française. C’était le temps de l’avènement de l’électricité, du pétrole, des nouveaux modes de transport, de la rationalisation du travail et de la croissance démographique. Il est clair que la gestion des ressources en eau pour une telle ville moderne devait s’accompagner d’infrastructures de qualité résilientes.

Nous sommes un siècle après, au temps d’une nouvelle révolution qui associe les connaissances numériques à la puissance énergétique. Au Maroc, si à l’époque du génie civil et des ingénieurs coloniaux français, la communication numérique n’était pas à l’œuvre pour accompagner par les logiciels l’automatisation digitale des infrastructures du génie minéral et leurs gestions préventives de la maintenance, il en est tout autrement depuis l’avènement des nouvelles technologies. À ce sujet, le Royaume chérifien a un atout qui pourrait bien être envié dans d’autres pays.

Faut-il penser que ceux qui gouvernent Casablanca n’ont pas fait de l’ingénierie hydraulique, une attribution de premier plan ?

Le 23 octobre 1959, lorsque feu le roi Mohammed V inaugure l’École Mohammadia d’Ingénieurs, le génie minéral figurait parmi les spécialités pionnières de la formation aux sciences de l’ingénieur d’une première élite du Maroc indépendant. Puis, 34 années après, c’est dans cette même institution qu’un 1er juillet 1993, la première liaison de l’Internet au Maroc a été établie à travers une connexion vers l’Institut national de la recherche en informatique appliquée, en France.

Cette proximité entre formation d’ingénieurs au génie minéral et au génie logiciel dans une même institution d’études supérieures aurait pu susciter des vocations, pourquoi pas des startups dans le secteur des alertes, des objets connectés ou autres systèmes de traitement des données dans le domaine imprévisible de la gestion des risques d’inondation. Faut-il penser que ceux qui gouvernent Casablanca n’ont pas fait de l’ingénierie hydraulique, une attribution de premier plan ?

À Jakarta, une gestion numérique des inondations

Ainsi, lorsque la Catalane Irene Compte, spécialiste des Smart Cities, a présenté lors d’une conférence internationale en 2017 le projet de gestion des inondations par Jakarta, capitale de l’Indonésie, comme un des exemples de bonnes pratiques dans le domaine de l’assainissement, il faut comprendre que la métropole indonésienne bénéficiait à cette époque d’une réelle stratégie et feuille de route de transition numérique de son territoire.

Et pour cause, un mois après son élection à la tête du gouvernorat de Jakarta en novembre 2014, Basuki Tjahaja Pumama a lancé son programme Jakarta Smart City. À la tête de cette nouvelle entité, une jeune femme de moins de 30 ans qui dirige la création d’applications révolutionnaires pour la gestion digitale de la métropole. Tout comme le gouverneur, Ellen Nio, la jeune directrice de Jakarta Smart City, appartient à la minorité indonésienne d’origine chinoise. Elle mettra très vite en place une plateforme de collecte de données basée sur le Web et sur le crowdsourcing, développée pour capturer les données des médias sociaux, afin de les utiliser pour collecter, trier et afficher des informations en temps réel pour les citoyens, sur les inondations.

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Le concept se concentre sur l’utilisation d’un cadre d’intelligence géo-sociale, pour explorer les réseaux hydrologiques existants et complexes de Jakarta, en cartographiant les données extraites des médias sociaux sur les systèmes de drainage existants pour informer les connaissances sur l’infrastructure urbaine et les conditions de la ville liées aux inondations.

Mais alors que la politique de transition numérique de Basuki Tjahaja Pumama était louée dans les cercles des experts mondiaux de la Smart City, en 2017, le gouverneur trébuche lors de sa candidature à un deuxième mandat à la tête de la métropole. Pour une simple interprétation sur l’islam lors d’un de ses discours de candidat, ce premier gouverneur non-musulman depuis 50 ans de la capitale indonésienne fut sous la pression de ses ennemis islamistes, poursuivi en justice et condamné à deux années de prison ferme. Depuis sa libération en janvier 2019 et pour seule consolation, il savoure les succès de sa politique en matière de gestion numérique des inondations à Jakarta.

Si à Jakarta, on a fait le choix de créer une antenne interne à l’administration du gouvernorat pour gérer le développement numérique de la métropole, ailleurs, on assiste à une multitude de partenariats entre municipalité et pôle universitaire pour la recherche, la création de solutions digitales et leur mise en application.

EmNet, la technologie au secours des eaux usées

Aux États-Unis, comme plus d’une centaine d’autres villes de l’État de l’Indiana, la ville de South Bend, aux 101.860 habitants, possède ce qu’on appelle un système d’égouts combinés. C’est là que les eaux usées, les déchets industriels et les eaux pluviales sont collectés et envoyés vers une usine de traitement.

En 2004, un chercheur du campus local, de Notre Dame University, avec des collègues (qui depuis ont créé une startup au nom d’EmNet) ont utilisé South Bend pour tester pour certaines nouvelles technologies. Ils ont placé des capteurs dans le réseau d’égouts de la ville qui permettent d’alerter les services municipaux quand une canalisation d’égout est sur le point d’atteindre sa capacité, et envoyer une partie de ces eaux usées vers d’autres canalisations moins sollicitées.

Le fondateur d’EmNet est Luis Montestruque. Luis a eu son baccalauréat en 1996 à l’Université pontificale catholique de son pays le Pérou, avant de rejoindre South Bend pour un doctorat en systèmes de contrôle à Notre Dame University en 2004. Ses recherches se sont concentrées sur les systèmes cyberphysiques, et plus spécifiquement sur le contrôle de grands réseaux à l’aide de modèles dynamiques. Peu de temps après, Luis a fondé EmNet pour étudier et développer des solutions pour optimiser le fonctionnement des systèmes complexes de collecte des eaux usées. La technologie du système d’aide à la décision en temps réel d’EmNet aide les services publics à maximiser l’utilisation des infrastructures existantes et futures pour réduire les débordements d’égouts combinés, les volumes et les fréquences.

Collaborations universitaires

Si les États-Unis restent un pays modèle en termes de collaboration pôles universitaires/collectivités territoriales, en Europe on assiste de plus en plus à ce genre de partenariat, notamment dans le domaine de la gestion minérale. C’est surtout en Angleterre que l’on voit une prise de conscience plus affirmée à trouver des solutions scientifiques à la fatalité des inondations qui ont touché fortement le royaume en 2019.

À l’université de Lancaster, ville portuaire du centre-ouest du Royaume-Uni, on a même créé une filière d’études liée à la gestion numérique des domaines de l’assainissement et des inondations. En 1986, lorsque John Walden crée sa petite entreprise de logiciels, il ne pensait pas que 34 ans plus tard, les produits d’InTouch, sa société, deviendraient les solutions les plus recherchées par les services municipaux de son pays.

Sa solution InTouch SmartWater, développée en partenariat avec l’université de Lancaster, est une approche innovante de la gestion des actifs de drainage et de la prévention des inondations. La solution offre une approche échelonnée et gérée du nettoyage des ravines et de la collecte d’informations sur le drainage. Le système utilise des technologies de capteurs et des données météorologiques en temps réel pour aider à prévoir et à prévenir les inondations.

Le système fournit également des alertes d’inondation automatisées. Certaines villes, comme Bristol, ont même intégré cette solution dans leur plan à 10 et 15 années de gestion de risques d’inondations. Après les territoires urbains et les autoroutes, John Walden a fait développer de nouvelles solutions pour s’ouvrir un nouveau marché, celui des inondations sur les réseaux ferroviaires.

Pour un Smart Maroc

En juin 2014, lorsque la ville d’Ifrane a accueilli la première édition d’un Sommet international des villes intelligentes de l’Afrique du Nord, les spécialistes du domaine jusque-là confidentiel des Smart Cities avaient bon espoir pour le Maroc. Cette édition organisée par l’université Al Akhawayn en partenariat avec l’Université Laval de Québec devait être la première pierre d’un modèle de collaboration pour l’Afrique du Nord, entre une université comme Al Akhawayn et la municipalité d’Ifrane.

Il semble qu’un malentendu persiste sur la définition réelle du concept Smart City.

Plus de six années et demie après, il semble qu’un malentendu persiste sur la définition réelle du concept Smart City. Est-ce un univers auquel appartiennent seulement les innovateurs du secteur des startups, agile pour mettre sur pied une application pour différents secteurs de l’Internet, mais inconscient des besoins des collectivités territoriales, ou bien une vraie boîte à outils de nouvelles technologies, efficace pour offrir aux citoyens la plus résiliente et agréable des villes ?