Décalages. Une visite royale en cache une autre

Par Souleïman Bencheikh

La diplomatie est à la politique ce que la poésie est à la littérature : tout y est symbole, tout y est nuance. Comme le poème dont le sens se dérobe, le communiqué diplomatique est à lire entre les lignes. Ce qu’il cache intéresse plus que ce qu’il dit. Il en va de même pour la récente visite de Mohammed VI à Washington : ce qu’on n’a ni vu, ni entendu frappe plus que ce qui nous a été montré.

Car qu’avons-nous vu en fin de compte ? Rien de mieux pour répondre à cette question que de se repor-ter à notre principal média officiel, la télévision -publique. Dans son journal de 20 heures, Al Aoula a diffusé un « reportage » de plus de 15 minutes sur la rencontre  de Mohammed VI et Barack Obama : le ton solennel, Mustapha Alaoui a égrené les nombreuses retombées positives de la visite royale aux Etats-Unis ; derrière la voix off du plus illustre de nos journalistes, alternaient le texte du communiqué conjoint validé par les deux chefs d’Etat et l’image muette de notre roi devisant avec le président américain.

 

En fait, ces derniers jours, les médias natio-naux n’ont parlé que de cette visite. Mohammed VI a littéralement crevé nos écrans et fait la Une de tous nos journaux. Nous l’avons vu partout, et pourtant… nous ne l’avons pas -entendu. Ayant pris soin d’éviter le dangereux exercice de la conférence de presse, il n’a pour ainsi dire pas été audible. Ce sont au contraire ses ministres qui se sont essayés au périlleux exercice de la communication : oral laborieux pour la jeune ministre Mbarka Bouaïda -devant Fox News, tribune de vulgarisation sur les rela-tions maroco-américaines pour Moulay Hafid El Alamy dans un blog du magazine Forbes. La plupart des Maro-cains n’ont ni vu ni lu les prouesses de nos ministres. De toute façon, nous n’étions pas la cible. Comme Mustapha Alaoui au Maroc, nos ministres ont en fait servi de voix off à l’Américain lambda pour couvrir le silence du souverain. Et oui, il faut nous y faire : nous avons un roi parcimonieux dans sa communication.

Tout le contraire de son vénéré père, Hassan II, briseur de séditions et grand communicant devant l’Eternel. Le défunt roi ne ratait jamais une occasion de se mettre en scène. Et même aujourd’hui, près de quinze ans après sa mort, la très gentille MAP n’a pas manqué de convier son glorieux souvenir en se remé-morant « la visite effectuée par feu SM Hassan II en mars 1963 aux Etats-Unis, quelques mois avant l’assassinat du président Kennedy. Une visite au cours de laquelle le regretté président avait rappelé la position d’une importance stratégique qu’occupe le Maroc dans le monde ». A la vue de la chute de ce condensé de littérature officielle, le lecteur curieux ne peut s’empêcher de faire une brève recherche sur la fameuse -visite de Hassan II à John Fitzgerald Kennedy. C’est ce que nous avons fait. Et qu’avons-nous trouvé ? Nous avons vu et entendu un roi, accueilli par le président américain en personne, discourant en anglais et paradant dans une décapotable aux côtés du chef de file du monde libre d’alors.

 

Cinquante ans plus tard, d’une visite à l’autre, le décalage fait tache. Il n’y avait pas de couple présidentiel à la descente du train ou de l’avion, pas plus qu’au perron de la Maison Blanche, il n’y a pas eu non plus de parade martiale ou de -tapis rouge. Mais à cela, les médias officiels ont une explication toute trouvée : il s’agissait d’une « visite de travail ». A notre niveau, il n’y a donc qu’une lecture à retenir : notre roi est allé à Washington pour travailler, pas pour parader. Tout le reste n’est que littérature…