Médias. Des chiffres sur les images

Par Youssef Ziraoui

Depuis quatre ans, Marocmétrie, l’entreprise spécialisée dans la mesure d’audience sur le petit écran, passe au crible les habitudes télévisuelles des Marocains. Comment ça marche et à quoi ça sert ?

Il y a quelques semaines, Al Aoula décalait l’horaire de son JT de midi, longtemps diffusé à 12h45, pour le programmer à 12h30. L’idée étant de profiter au maximum de la large audience à l’heure de la pause déjeuner, mais aussi de ne pas offrir aux téléspectateurs le même produit que sa consœur du pôle public 2M, et à la même heure. Question : comment la direction des programmes de la première chaîne a-t-elle jaugé le potentiel de téléspectateurs présents à l’heure de casser la croûte ? En se référant aux reportings de Marocmétrie. Les patrons de nos chaînes télé auront beau répéter qu’ils ne font pas une fixation sur l’audimat, le fait est que les chiffres de l’organisme chargé de la mesure d’audience télévisuelle restent un outil primordial d’aide à leurs décisions, une boussole hertzienne.

A qui profitent les chiffres ?

La mesure d’audience permet en effet d’adapter les grilles des programmes, autrement dit, de savoir quoi diffuser et à quelle heure. Car l’enjeu est de taille : le marché de la publicité télé représente un milliard de dirhams au Maroc, soit 50% du marché global de la réclame.

Pour nos chaînes télé, il s’agit donc de générer des profits, car les subventions  —cela est encore plus vrai pour 2M— ne suffisent pas à couvrir toutes les charges. Comment s’en sortir alors ? En vendant des espaces publicitaires, dont le prix variera en fonction de la durée du spot et de la tranche horaire. Selon que le spot sera diffusé en daytime, prime-time, night-time, son coût oscillera entre 2000 et 80 000 dirhams la minute. Au final, au-delà du fait qu’il faille assurer un service public, il y a bien une réalité économique. Il s’agit également de vendre “à Coca-Cola du temps de cerveau humain disponible”, pour paraphraser les propos de Patrick Le Lay, ancien PDG de TF1.

Il ressort des statistiques de Marocmétrie que le Marocain est un champion catégorie poids lourds dans le “reluquage” de petit écran. Les téléviseurs restent ainsi allumés en moyenne 8 heures par jour dans chaque foyer, contre 5 heures en France à titre de comparaison. Un chiffre à relativiser dans la mesure où les foyers marocains comptent entre 5 et 6 personnes, contre environ 4 en France.

Equiper les foyers

En 2008, Marocmétrie a remporté l’appel d’offres lancé par le Ciaumed (Groupement d’intérêt économique réunissant les deux chaînes marocaines 2M et TVM et leurs régies, ainsi que le Groupement des annonceurs marocains et l’Association des Agences conseils en communication) et mis en œuvre un système de mesure d’audimat sur l’ensemble du territoire marocain. L’entreprise a, depuis, équipé 750 foyers avec un appareil permettant de connaître les habitudes du téléspectateur marocain. “Nous avons fait en sorte d’avoir une représentativité nationale, ce qui implique que nous avons également équipé des foyers en milieu rural. Nous avons aussi fait en sorte que toutes les CSP, les tranches d’âge et les sexes soient représentés”, nous confie Younes Alami, directeur commercial de Marocmétrie, qui se félicite que le Maroc soit l’un des rares pays du continent, avec l’Afrique du Sud, à disposer d’un système de mesure d’audience. Des tirages au sort par commune ont ainsi été réalisés, pour respecter ce qu’on appelle dans le jargon statisticien les lois de hasard.

Chaque jour, les informaticiens de l’entreprise spécialisée dans l’audimat épluchent les chiffres qui leur parviennent, effectuent des rapports de synthèse et traquent les anomalies et les écarts. Il peut ainsi arriver qu’un foyer qui regarde la télé 4 heures par jour n’allume plus le poste. “Dans ce cas-là, nous appelons directement le foyer équipé et demandons s’il y a un problème. Il se peut qu’on nous dise : ‘nous avons eu un décès dans la famille, donc nous n’avons pas regardé la télé le temps du deuil’”, explique Younes Alami.

Blackout sur la parabole

Pour mieux cerner les attentes du public, Marocmétrie propose également des études qualitatives, en plus des rapports purement quantitatifs. La chaîne 2M a ainsi été confortée dans sa stratégie du “tout darija” ou presque, par les études de Marocmétrie. Les télénovelas sud-américaines doublées dans le dialecte national, ainsi que les magazines de faits de société en darija, flirtent régulièrement avec la barre des 50% d’audimat, et squattent les premières marches du classement de l’audimat.

Mais si Marocmétrie passe au scanner les chaînes nationales, elle fait l’impasse sur l’ensemble des chaînes satellitaires, alors que la parabole totalise 50% de parts d’audience. La raison ? Le Ciaumed n’en a pas émis la demande. Regrettable, car même si, prises une à une, les chaînes étrangères font au mieux un petit 4% d’audience chacune, certains groupes comme MBC réalisent de bons scores chez la ménagère. Cet écran de fumée empêche ainsi de “benchmarker” la concurrence.

 

Démographie. Changement de fréquence

Les données démographiques étant en perpétuelle mutation (la moyenne d’âge change d’année en année, l’exode rural est constant, les naissances se réduisent), Marocmétrie veille à actualiser régulièrement ses chiffres, pour coller au mieux à la réalité marocaine. Détail technique : pour que la mesure d’audience puisse être réalisée, il faut que les habitants des foyers équipés jouent le jeu. “Le téléspectateur doit appuyer sur une touche de sa télécommande à chaque fois qu’il entre dans la chambre équipée d’un téléviseur et à chaque fois qu’il en ressort”. Ainsi donc, la participation du “sondé” est incontournable. En contrepartie, Marocmétrie dédommage les foyers équipés, à hauteur d’environ 1000 dirhams par an. Il faut ce qu’il faut !