Oui à la liberté de conscience !

Par Karim Boukhari

Au moment où ces lignes sont écrites, le contenu de la nouvelle Constitution n’a toujours pas été rendu public et le roi n’a pas encore prononcé le très attendu discours du 17 juin… On aura le temps de revenir sur tout cela la semaine prochaine mais, aujourd’hui, on peut déjà avancer, au regard des indiscrétions obtenues ici et là, que la prochaine Constitution sera plus démocratique que celle – toujours en vigueur – de 1996, mais sans être pour autant un modèle de démocratie. C’est un pas, le premier, et il en appelle beaucoup d’autres. La Constitution ne collera pas tout à fait à l’esprit du printemps marocain dans le sens où elle n’apporte pas toutes les garanties à la consécration de la notion d’individu, ni à la vraie séparation des pouvoirs, mais elle peut être utile pour amorcer enfin un pas dans la bonne direction. Elle ne représente pas une rupture mais elle en crée les conditions, elle ouvre des brèches, et c’est à la fois intéressant et pas suffisant. Nous serons grosso modo dans le “mieux mais pas assez”. Faut-il la rejeter en bloc ? Non. Faut-il l’accepter sans sourciller ? Non plus. Alors autant nous arrêter, aujourd’hui, sur des détails qui sont de l’ordre de la symbolique, mais qui sont très, très importants pour comprendre le sens de la marche dans laquelle s’engage tout un pays.
Pour le moment, et en dehors du léger lifting apporté aux pouvoirs du roi et du Premier ministre, la vraie nouveauté se rapporte à la définition de l’identité marocaine. Qui sommes-nous, donc ? Pour tenter de répondre à cette question, les différentes constitutions ont jusque-là tout concentré autour de deux points : l’islam et l’arabité. Le Marocain est musulman et arabe, point à la ligne. En dehors de l’arabité et de l’islam, il n’existe guère de salut : c’est ce que nous disaient les constitutions passées. Cette définition posait problème, elle n’était pas juste et elle ne restituait pas la complexité de la réalité marocaine. Elle ignorait la place fondamentale de l’amazighité et excluait de facto l’apport des “affluents” essentiels que sont, entre autres, les cultures et civilisations hassanies et hébraïques. L’arabité et l’islam, tels qu’ils ont été consignés dans les anciennes constitutions, ne rendaient service ni à l’arabité, ni à l’islam. Ils n’étaient pas un moteur mais un frein. Ils exhalaient, malheureusement, un parfum d’enfermement et d’intolérance, et ne reflétaient absolument pas la pluralité et la richesse de l’identité marocaine. La nouvelle Constitution a la possibilité de réparer cette anomalie, pour ne pas dire cette injustice, et cela mérite d’être dit et défendu.
Un autre point essentiel figure dans le texte (et il faudra tout faire pour qu’il y reste !) : la “liberté de conscience”, c’est-à-dire, pour résumer, le droit des individus à décider de leur rapport à la religion. Le concept n’a jamais été inscrit sur aucune constitution marocaine. En le consignant noir sur blanc, les rédacteurs du nouveau texte n’ont pas inventé le fil à couper le beurre. Ils ont collé à l’esprit assez progressiste du discours royal du 9 mars. Et ils ont, surtout, rendu réelle la possibilité d’imaginer un Maroc libre et tolérant.
Les grandes nations l’ont compris avant nous : sans liberté de conscience, il n’y a pas de liberté tout court, et il n’y a pas de notion d’individu. Bien sûr, liberté ne rime pas avec chaos, ni avec irresponsabilité. Bien au contraire. La liberté de conscience n’est ni une hérésie, ni une utopie. Elle est à la base de la séparation des pouvoirs religieux et politiques. Elle signifie respect de la différence et des minorités. Elle replace l’individu au centre de tout et en fait un adulte maître de son destin. Et elle n’affaiblit pas, contrairement à ce que prétend la propagande intégriste, la religion, mais permet de la faire vivre dans un monde moderne.
La liberté de conscience était au cœur des débats tout au long de la semaine. Les conservateurs ont tenté de rayer cette mention pourtant essentielle. Si elle est maintenue dans la mouture finale de la Constitution, elle mérite d’être défendue malgré toutes les failles contenues par ailleurs dans ladite Constitution. Mais si, par malheur, elle est barrée, nous demanderons son “retour”, toutes affaires cessantes. Croisons les doigts…