Le test du 20 mars

Par Karim Boukhari

C’est à Ahmed Assid que l’on doit, certainement, la phrase de la semaine : “Si le discours royal avait été prononcé en 1999, après l’accession au trône de Mohammed VI, il aurait été considéré comme révolutionnaire” (lire dossier p. 18). Les mots de Assid sonnent vrai, ils sont lucides et ils sont justes. Le militant amazigh, qui n’est ni un tendre, ni un opportuniste, sait de quoi il parle. Il connaît l’histoire récente du pays. Il est tout le contraire d’un combattant de la 25ème heure, cette race en voie de prolifération, et il fait partie de ceux qui ont eu le courage, dès l’avènement de Mohammed VI, de pointer les insuffisances, pour ne pas dire les aberrations du système, au moment où d’autres, beaucoup d’autres, s’extasiaient pour si peu et se contentaient d’applaudir à tout rompre.
Ma pensée rejoint celle de Assid. Plus exactement, je fais partie de ceux qui ont dit, hier, “Oui mais”, et qui disent aujourd’hui “Non mais”. Hier tout n’était pas blanc, et aujourd’hui tout n’est pas noir. Je crois sincèrement que l’euphorie qui a accompagné l’intronisation du jeune roi a été exagérée. Les procès d’intention que l’on colle aujourd’hui au régime sont tout aussi exagérés. Je crois aussi, et c’est à la limite amusant de le relever, que les “exagérateurs” d’hier et d’aujourd’hui sont grosso modo les mêmes. Leurs arguments, en tout cas, sont les mêmes. Ils s’en tiennent à la forme et ils nous font perdre notre temps. Hier encenseurs, aujourd’hui enfonceurs, mais toujours pour des broutilles et des détails anecdotiques, ils sont tout au plus des opportunistes en quête de gloriole et de reconnaissance tardive.
Le plus important, dans le discours royal de la semaine dernière, n’est pas la forme mais le fond. La forme ? Elle est forcément discutable puisque c’est le roi qui a désigné les membres de la commission appelée à plancher sur la réforme de la Constitution et que le fruit de leur travail lui sera soumis pour validation avant l’étape du référendum. Mais assimiler les membres de ladite commission à un ramassis de soldats du néo-Makhzen, une bande d’incompétents prêts à tout pour vendre leur âme, est un amalgame dangereux. Ce n’est pas vrai et ce n’est pas juste.
Le plus discutable, dans la forme du dernier discours, est encore ailleurs : il s’est avéré après coup que le roi n’a consulté personne, hormis le petit cercle de ses conseillers, avant d’annoncer ce que vous savez. Le gouvernement, notamment, a été royalement snobé. En agissant ainsi, Mohammed VI nous rappelle, dans le fond, que l’Etat c’est lui et lui seul. Et ça, clairement, ce n’est pas une bonne chose. C’est même l’un des points fondamentaux qui nous poussent, aujourd’hui, à réclamer du changement. Parce que, on ne le répétera jamais assez, il est temps que l’Etat ce ne soit plus Lui mais Nous.
Venons-en au fond et allons-y clairement, en une petite phrase orpheline de tout : nous devons maintenir une pression constante jusqu’à juin 2011 pour arriver à la meilleure constitution possible. D’ici là, il faut arrêter de renâcler sur la “forme”, produire des idées et des demandes précises, concrètes, sérieuses… et marcher dans la rue, tranquillement et pacifiquement. Il faut aussi se rappeler que les promesses exprimées par le discours royal peuvent être un plancher, et non un plafond. Les limites, c’est nous tous qui les fixerons, pour peu que l’on ne s’égare pas en cours de route.
Tout cela est possible dès demain, le 20 mars. Ceux qui désirent le changement doivent descendre dans la rue. Et rester fermes, solides, sereins. L’Etat, en face, doit surtout faire attention à ne pas répéter l’erreur de dimanche dernier, quand des policiers ont chargé les manifestants de Casablanca. Ce jour-là, on a vu et on a compris que les policiers n’étaient pas venus pour un simple pique-nique dominical. Ils étaient plus nombreux que les manifestants et ils avaient clairement la consigne de tabasser… Ils l’ont fait et ils ne doivent plus le refaire. La répression risque de radicaliser les modérés et de faire basculer (dans la colère) la majorité silencieuse. La violence de l’Etat ne casse pas seulement du manifestant, elle “tue” au passage le discours officiel, aussi prometteur soit-il.