Des hommes libres

Par Karim Boukhari

Le rappeur Mouad Belghouate, alias L’Haqed (L7A9D pour les intimes, ou “l’indigné” pour traduire le surnom de la manière la plus juste), croupit injustement en prison et il va falloir le sortir de là, il n’y a pas d’autre moyen de le dire. Son cas est assez exceptionnel puisqu’il doit être l’un des seuls rappeurs au monde, peut-être même le seul, à être incarcéré sans avoir tué ou volé personne. Il faut le voir pour le croire. Le jeune homme de 24 ans, ouvrier le jour et slameur la nuit, a été mis en taule pour la nature de ses textes, politiquement engagés. Nous l’avons dit en son temps et nous n’avons aucun problème à le redire : le procès de Mouad, qui reprend la semaine prochaine, le 22 décembre, est bidon. Il a été monté de toutes pièces pour faire taire la voix engagée de ce fils du peuple, et c’est une réalité qui nous est insupportable. N’ayons pas peur des mots, L’Haqed est un détenu politique, quelqu’un qui paie pour ses idées et ses mots. Cela fait près de quatre mois que l’injustice dure et la patience a ses limites, il faut dire Stop, assez, baraka. La justice marocaine étant ce qu’elle est, c’est au Pouvoir et au futur gouvernement Benkirane que nous le disons clairement : libérez Mouad, sa place n’est pas en prison mais parmi les siens, les gens de son quartier et les militants du M20, avec un micro à la main, des chansons et des mix plein la tête.
Un autre détenu politique mérite d’être libéré sans tarder : le journaliste Rachid Niny, coupable d’écrire des chroniques au vitriol. Nous n’avons pas besoin de partager les idées du fondateur d’Al Massae pour exiger sa libération ; son procès est une mascarade, sa détention est injuste et cela fait huit mois que ce mauvais feuilleton dure. Soyons catégoriques, Niny n’a rien à faire en prison et sa place naturelle n’est pas derrière les barreaux mais devant un écran d’ordinateur, dans un journal, à dialoguer avec ses seuls “juges” : ses lecteurs.
Bien que différents, les cas L’Haqed et Niny sont une honte pour un pays qui aspire à la démocratie. Les deux hommes paient pour avoir usé de leur liberté d’expression. Les maintenir en détention est la preuve que le Maroc n’est pas une démocratie. Malheureusement. Et la responsabilité en incombe en premier au chef de l’Etat, ensuite au Chef du gouvernement. Ces deux hommes sont les garants naturels, et constitutionnels, de nos libertés. Et il est logique que la pression populaire soit directement dirigée contre eux, point à la ligne.
J’ouvre ici une parenthèse pour rappeler ce que nous racontait Abdelilah Benkirane, quelques jours avant la victoire de son parti aux élections. Interrogé sur sa perception des libertés individuelles, Benkirane nous avait dit ceci : “Les libertés individuelles sont garanties par Dieu”. J’ai envie de demander aujourd’hui à M. Benkirane : “Et quand ces garanties s’envolent, faut-il appeler Dieu ?”. Soyons sérieux, les libertés sont garanties par des textes et des hommes. Au Maroc, la justice est rendue au nom du roi, ses sentences engagent de facto la crédibilité du roi mais aussi celle de son gouvernement. Il y va au final de la crédibilité de tout un système et de tout un pays. Alors tant que des L’Haqed ou des Niny, deux stars du verbe qui ont brillé en cette année 2011, sont en prison, c’est cette crédibilité qui vole en éclats, voilà qui est dit.
En cette période propice aux vœux, il faut souhaiter que la raison finisse par l’emporter. La libération du rappeur et du journaliste serait un beau cadeau de fin d’année. Elle pourrait amorcer un processus de réconciliation dont beaucoup de Marocains ont besoin. Elle devrait aussi s’étendre à d’autres détenus politiques ou victimes d’injustices notoires : je cite, à tout hasard, le cas d’un autre journaliste, Ali Lmrabet, interdit d’exercer son métier pendant dix ans. Dans le cas Lmrabet, cela fait six ans que la mauvaise plaisanterie dure !