De Lui à Nous

Par Karim Boukhari

Amin Maâlouf, je crois, avait dit un jour que lorsque les gens s’agglutinent autour de la même opinion, la vérité doit être ailleurs. Parce que l’unanimisme est plutôt une chose inquiétante. J’ai pourtant très envie de contredire le grand écrivain d’origine libanaise. Au moment où il a été prononcé, mercredi soir, le discours de Mohammed VI m’a tout de suite ému. Il m’a aussi surpris. Le roi a déjoué les prévisions et les pronostics, même les plus optimistes. Il est allé loin et il m’a semblé plus décontracté qu’à son habitude, comme si discourir sur la liberté, la démocratie et la séparation des pouvoirs lui faisait du bien. Et à vrai dire, ce discours-là nous fait à tous un bien fou.
Il y a eu le 20 février, il y aura désormais le 9 mars. On risque de se souvenir longtemps de cette date parce que le roi y a prononcé le discours le plus audacieux de son règne. Je peux le dire simplement : le discours du 9 mars est celui que l’on attendait au moment de son intronisation, en juillet 1999. Parce qu’il ouvre clairement la porte à une monarchie parlementaire et à un système où le roi règne mais ne gouverne pas.
Je ne suis pas un naïf et je n’ai pas la mémoire courte parce que je sais que la monarchie, au fil des années, nous a souvent survendu son discours dans le seul but de gagner du temps. Je peux comprendre les refuzniks et j’ai toujours méprisé les béni-oui-oui qui applaudissent à tout ce que dit le roi. Je n’ai pas, non plus, la moindre considération pour les tournesols qui changent de fréquence pour se brancher systématiquement sur Radio Makhzen. Mais je dois vous avouer que j’ai un rêve et je suis sûr que beaucoup d’entre vous le partagent : que l’Etat ne soit plus Lui mais Nous, les Marocains, les institutions, des hommes et des femmes élus, libres, comptables, responsables.
Je crois, tout simplement, que ce rêve peut être concrétisé. Et avec Lui.
Mais attention. La Constitution, il est utile de s’en rappeler, est le code génétique de tout Etat. C’est le Coran et la Bible d’une nation. La réforme constitutionnelle ne doit surtout pas ressembler à un relifting ou à une retouche de façade. Elle doit mentionner clairement certains fondamentaux : séparation des pouvoirs (religieux, économiques et politiques), respect des libertés individuelles et consécration de la liberté d’expression, indépendance de la justice, sanction par les urnes, etc.
Avant le discours du 9 mars, le roi avait le choix entre deux choses : ignorer l’appel pressant de la rue et faire ainsi le jeu des faucons et des conservateurs qui gravitent dans son sillage, ou alors donner raison aux quelques colombes dans son entourage et tenter une vraie ouverture. Il a choisi la deuxième option. Il a fait un pari et pris un risque. Avait-il le choix ? Pouvait-il faire autrement ? Peu importe au final, puisqu’il l’a fait, et ce qui compte, aujourd’hui, c’est d’agir.
Agir, cela veut dire continuer le combat. Mais en sachant raison garder. La révolution à laquelle nous avons toujours appelé doit affecter la Constitution, mais aussi les mentalités. Pour changer la Constitution et les mentalités, il va falloir que l’on s’y mette tous, Lui et Nous. Une monarchie saine et pérenne est une monarchie dans laquelle le roi ne gouverne pas et ne concentre pas entre ses mains toute l’économie du pays. C’est clair et net. Tant que cet objectif n’est pas atteint, nous le revendiquerons et nous soutiendrons tous ceux qui le revendiquent.
C’est cela notre révolution et nous la mènerons. Et nous irons jusqu’au bout. Dans nos journaux, dans nos associations, dans nos institutions et, s’il le faut, dans la rue.
Il faut rendre hommage aux Tunisiens, aux Egyptiens, aux Libyens. Il faut rendre hommage aux jeunes du 20 février, que nous appelons au passage à continuer le combat dans les formes les plus civilisées.
J’espère, pour finir, que les colombes l’ont emporté sur les faucons dans l’entourage du roi. J’espère aussi que la raison ne quittera jamais l’esprit des manifestants de demain. Ce n’est pas sûr et ce n’est peut-être pas définitif. C’est juste la vérité d’aujourd’hui et c’est déjà très bien comme ça.