José Manuel Albares : la question des eaux territoriales maroco-espagnoles sera abordée “prochainement”

Le groupe de travail maroco-espagnol sur la délimitation des espaces maritimes se réunira “prochainement”, a affirmé le 26 avril le ministre espagnol des Affaires étrangères, José Manuel Albares. La fin du problème de délimitation des eaux territoriales datant de la période postcoloniale ?

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Le ministre espagnol des Affaires étrangères, José Manuel Albares. Crédit: Kenzo Tribouillard / AFP

Ce qui a été annoncé : Lors d’une conférence de presse tenue hier au siège du ministère à Madrid, le chef de la diplomatie espagnole José Manuel Albares a annoncé la réunion “prochaine” du groupe de travail maroco-espagnol sur la délimitation des espaces maritimes.

Pour Madrid, cet espace se veut “espace commun” et non un “espace d’affrontements”. “Bien que la délimitation du domaine maritime soit une compétence exclusive du gouvernement, nous ferons de notre mieux pour que les Canaries prennent part à la réunion”, a ajouté le diplomate espagnol.

Par ailleurs, la déclaration conjointe adoptée à l’issue de la visite du chef de l’Exécutif espagnol au Maroc, le 7 avril, avait insisté sur la réactivation de ce groupe de travail, en vue de “réaliser des avancées concrètes”.

Pourquoi cela compte? La question de la délimitation des espaces maritimes des deux royaumes voisins est d’une sensibilité élevée pour chacun. Ainsi, les deux pays se sont mis d’accord, en 2001, sur la création d’un groupe de travail thématique dédié aux concertations et discussions des eaux territoriales, aussi appelé “groupe de travail sur la délimitation des espaces maritimes de la façade atlantique” et réuni pour la première fois en 2005.

Depuis, le groupe de travail est en suspens. En 2020, le Maroc a promulgué deux lois établissant sa souveraineté sur l’ensemble de son domaine maritime, dont le large du Sahara. Madrid ne tarde pas alors à montrer son inquiétude.

Le contexte : La déclaration d’Albares intervient sur fond de craintes canariennes que l’exploration pétrolière menée au large du Maroc ne déborde sur les eaux de l’archipel espagnol. En effet, le président des îles adjacentes aux provinces du Sud a mis en garde contre toute “prospection pétrolière” dans les eaux territoriales de son archipel.

La classe politique espagnole s’inquiète de l’accord “Tarfaya Offshore Shallow” qu’a scellé le Maroc avec l’italien ENI et le qatari Qatar Petroleum International Upstream. Cet accord autorise les deux sociétés à entamer des explorations pétrolières au large de Tarfaya, à 50 km seulement des Canaries.

Les enjeux : La question de délimitation du domaine maritime du royaume n’est pas aussi simple que l’on pourrait croire. De nombreux enjeux sont à prendre en considération.

  • Conflit des intégrités territoriales : Les espaces maritimes communs enclenchent souvent un débat d’intégrité territoriale des deux royaumes. Côté atlantique, le Maroc veut garantir sa souveraineté “non négociable” sur le Sahara. Une volonté qui se voit soutenue par la nouvelle position de Madrid sur le différend autour de cette région du royaume, reconnaissant sa souveraineté selon le plan d’autonomie. L’Espagne veut préserver les intérêts des îles Canaries, notamment en ce qui concerne les richesses sous-marines des deux zones économiques exclusives chevauchantes (du Maroc et des Canaries), mais pas que.
    En effet, les partis politiques espagnols réclament au gouvernement de décrocher du voisin du sud des garanties sur le “respect de l’intégrité territoriale” du royaume ibérique, ce qui signifie une reconnaissance de “l’espagnolité” de Sebta et Melilia, revendiquées par Rabat. À ce moment, les deux enclaves espagnoles ne font objet d’aucune concertation ni négociation entre les deux pays. Il s’agit d’un territoire occupé, pour le Maroc, alors qu’il est considéré comme deux villes autonomes entièrement espagnoles, pour les Espagnols. Par ailleurs, le groupe de travail commun n’a pas pour mission d’aborder un tel débat, la mission étant limitée à la discussion des eaux territoriales de la façade atlantique. À noter que le Maroc a élargi son domaine maritime jusqu’à Saidia, du côté méditerranéen, selon les deux lois promulguées en 2019.
  • Mont Tropic : Depuis l’expansion par le Maroc de son espace maritime, plusieurs médias espagnols ont lancé l’hypothèse d’un intérêt marocain au fameux mont Tropic, se situant à 500 kilomètres au sud-ouest de l’île canarienne d’El Hierro et son plateau qui pourraient cacher des minéraux précieux, dont le telleurium (métalloïde rare semi-conducteur utilisé dans certains types de cellules photovoltaïques) et le cobalt (élément rare indispensable pour la construction de véhicules électriques). Ces richesses potentielles du mont sont certainement porteuses d’espoir, mais pourront être également à l’origine de plusieurs différends régionaux, selon nos confrères de Médias24. Se trouvant dans les plateaux continentaux des Canaries, du Sahara, des Madères et du Cap Vert, l’exploitation de ce mont doit éventuellement faire l’objet de concertations et négociations entre les deux royaumes, le Portugal (Madères) et le Cap Vert.

La situation avant : Depuis la Marche verte, la question des eaux territoriales des deux royaumes dans la façade atlantique oppose les deux pays. Pour le Maroc, il s’agit de réaffirmer sa pleine souveraineté sur le Sahara, alors que Madrid veut garantir que les intérêts de son archipel atlantique ne soient affectés par aucun projet marocain de délimitation du domaine maritime.

Durant les 44 ans suivant la récupération des provinces du Sud en 1975 puis en 1979, l’espace maritime du royaume se limitait à quelques kilomètres au nord de la ville de Tarfaya, conformément au dahir portant loi n° 1.73.211 du 2 mars 1973, qui fixe la limite des eaux territoriales.

Ce qui a été dit à ce sujet : Pour le président des îles Canaries, Ángel Víctor Torres Pérez, “les situations qui se présenteront seront discutées autour de tables de négociations avec la présence du gouvernement des îles Canaries, qui sera présent dans toute affaire entre le Maroc et l’Espagne concernant les eaux où les îles Canaries rencontrent le Maroc”.

De son côté, le consul général du Maroc accrédité aux îles espagnoles, Ahmed Moussa, a confirmé à la radio locale “Cadena SER” que le royaume avait toujours reconnu “l’espagnolité” de l’archipel. “Ma présence ici, en qualité de consul marocain aux îles Canaries, signifie en droit que nous reconnaissons la souveraineté espagnole”, a-t-il précisé.

Pour en savoir plus : Le Maroc a procédé, en 2019, à l’élargissement de son domaine maritime en exercice de souveraineté, selon Nasser Bourita. Pour les Espagnols, le royaume voyait trop large. Plus récemment, l’exploration pétrolière menée par le Maroc au large du Sahara a suscité de nouveau l’inquiétude des dirigeants de l’archipel espagnol, revendiquant une intervention de Madrid, en vue de résoudre une fois pour toutes cette question des eaux territoriales.