Tout est allé très vite les amis. Il a suffi que le Boualem se détende, passant quelques jours avec des amis à manger des animaux grillés, qu’il éteigne son téléphone pour écouter ses os, et soudain, une révolution en Syrie. Aucune préparation psychologique, pas de signe avant-coureur, l’affaire est allée très vite, et tant pis pour les distraits. Il n’a fallu que quelques jours aux rebelles pour forcer l’impitoyable ophtalmo de Damas à abandonner son poste et à détaler ventre à terre. Il a pris ce qu’il pouvait et rallié une zone de retraite avec, devant lui, tout le temps nécessaire à la méditation sur l’ironie de la condition humaine.
Il est bien question du régime qui avait résisté pendant des années à une guerre civile, forcé des millions de Syriens à l’exil et emprisonné dans des conditions atroces un nombre absurde d’opposants. On parle d’opposants juste pour aller vite, car le nerveux moustachu enfermait aussi à tour de bras les futurs opposants et même, dans le doute, les simples hésitants, leurs voisins et leurs enfants. On parle d’enfermement aussi par manque de vocabulaire, car il est désormais établi que les sinistres geôles relèvent plus du donjon médiéval que du système carcéral.
Mais que s’est-il passé pendant ces quelques jours ? Telle est la question qui taraude le Boualem, dont vous connaissez la douleur lorsqu’il se heurte à une situation qu’il ne comprend pas. Et là, c’est peu de dire qu’il est perdu. Pire encore, le bougre ne sait même pas vers qui se tourner pour chercher une information fiable, car depuis que le Proche-Orient a pris feu, il a perdu toute confiance dans les médias occidentaux. Il les considère désormais, sur ces sujets au moins, comme une cohorte de menteurs, tout simplement.
Il semblerait donc que les nouveaux maîtres de la Syrie, qui répondent au sigle HTC, soient les anciens de Daech, ils ont juste changé de nom, comme n’importe quelle start-up. Il faut croire qu’ils étaient tapis dans l’ombre, puisqu’on avait annoncé au Boualem, vers 2019, la défaite sans appel de ces illuminés du Levant. A l’époque, il s’était posé de nombreuses questions sur cette étrange défaite, accompagnée d’aucun procès ou d’emprisonnement, d’aucun battage médiatique sur les leaders ou les soldats, comme si les troupes vaincues s’étaient volatilisées dans leurs véhicules tout neufs.
“Surtout, quand est-ce que les malheureux habitants du Proche-Orient vont avoir droit à la paix, à la sérénité, à une vie normale, c’est-à-dire centrée sur leur Botola locale ?”
Du temps de leur splendeur, Zakaria Boualem s’était aussi posé des questions sur leur étonnante capacité à produire des films de grande qualité, sur l’origine de leurs 4×4 flambant neufs, et surtout, sur leur fournisseur de 4G. Comment avaient-ils accès à Internet ? Payaient-ils un abonnement à un fournisseur syrien ou irakien ou avaient-ils lancé leur propre branche télécoms ? Dans le premier cas, pourquoi cette connexion est-elle restée active, alors que la sienne est coupée dès qu’il oublie une facture ? Dans le second cas, comment se connectent-ils au reste du monde ?
Quoi qu’il en soit, les voilà qui ressurgissent pour une spectaculaire remontada qui appelle encore plus de questions. Les voici, en vrac. Comment se sont préparés ces gens, dans quel lieu et avec quel argent ? Pourquoi est-ce qu’Israël bombarde la Syrie, et pourquoi tout le monde trouve ça normal ? Pourquoi ces héros de l’Islam n’embêtent jamais la seule démocratie de la région ? Et surtout, quand est-ce que les malheureux habitants de cette région vont avoir droit à la paix, à la sérénité, à une vie normale, c’est-à-dire centrée sur leur Botola locale ? Voilà les questions du Boualem, il attend vos réponses, il est incapable de les produire, et merci.