La carte Modi

Par Yassine Majdi

C’est un évènement peu commun qui s’est tenu à Rabat ces 9 et 10 décembre. La capitale a été le théâtre d’un séminaire consacré à l’industrie de la défense, avec un acteur des plus intéressants. Non, il ne s’agit pas de la Russie, ni de la Chine, encore moins d’Israël. Mais de l’Inde. Depuis quelques mois, la collaboration militaire entre Rabat et New Delhi s’est accélérée. Ce qui augure d’une coopération à plus grande échelle dont le Maroc pourrait tirer profit, s’il parvient à éviter quelques écueils.

L’Inde est un pays qui compte de plus en plus sur la scène internationale. Le sous-continent est une puissance démographique, et pourrait même devenir un acteur incontournable de la diplomatie internationale. New Delhi estime que tout nouveau siège permanent au Conseil de sécurité lui revient de droit, en raison de son statut de puissance nucléaire et de plus grande démocratie du monde.

“New Delhi se présente d’ores et déjà comme un partenaire alternatif en cas de sanctions américaines contre Pékin”

Yassine Majdi

La carte indienne peut être intéressante à jouer au vu du contexte international : le retour de Donald Trump au pouvoir augure de tensions à venir entre les États-Unis et la Chine. New Delhi se présente d’ailleurs comme un partenaire alternatif en cas de sanctions américaines contre Pékin. D’autant qu’il existe déjà une réelle proximité entre Donald Trump et le Premier ministre Narendra Modi. L’Inde a même lancé sa propre “route de la soie” en sécurisant son accès aux ports situés sur les routes commerciales reliant le sous-continent à l’Europe et au Maroc.

Vu du Maroc, l’Inde – que certains décrivent comme un “nouvel eldorado” pour attirer des investissements étrangers – peut également constituer un complément sérieux à l’investissement chinois. New Delhi est désireux d’investir au Maroc, et ce, même dans les secteurs les plus stratégiques. En témoigne la construction, par Tata Advanced Systems, d’une usine à Casablanca, où l’entreprise indienne fabriquera des véhicules de combat. Une double première : pour la filiale défense de Tata, qui s’installe pour la première fois à l’étranger, et pour le Maroc, qui jette les bases d’un écosystème centré sur l’industrie de la défense.

Le développement d’un tel écosystème pourrait permettre au Maroc de devenir un acteur important du secteur de la défense sur la scène continentale. Pile au moment où de nombreux pays africains souhaitent se défaire de l’influence européenne. Qui plus est, la vision indienne s’aligne avec celle du Maroc, puisque New Delhi souhaite faire du transfert de technologie une composante majeure de ses investissements à venir.

“Depuis le 7 octobre, l’Inde est un des soutiens fidèles d’Israël et déroule régulièrement le tapis rouge pour Benjamin Netanyahu et ses acolytes”

Yassine Majdi

Les deux pays partagent un socle commun qu’ils doivent en partie à la visite effectuée par Abderrahmane Youssoufi en 2000 à New Delhi. Le déplacement de l’ancien Premier ministre socialiste avait entraîné, quelques mois plus tard, le retrait par l’Inde de la reconnaissance de la RASD. Elle avait aussi ouvert la voie à une visite royale et au renforcement du partenariat entre les deux pays dans le domaine des phosphates et des engrais, partenariat qui prospère encore.

Certes, un rapprochement avec l’Inde pourrait faire froncer des sourcils au Maroc. Narendra Modi est un nationaliste convaincu qui s’est distingué par une politique antimusulmane sur le front interne. Depuis le 7 octobre, l’Inde est aussi un des soutiens fidèles d’Israël et déroule régulièrement le tapis rouge pour Benjamin Netanyahu et ses acolytes. Mais un rapprochement avec l’Inde permettrait au royaume d’avoir une nouvelle carte à faire valoir dans le jeu multilatéral international.

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