Les visites de délégations marocaines en Inde se sont multipliées ces derniers mois. À quoi correspondent les engagements pris et les documents signés? Dans quelle stratégie s’inscrivent-ils? Décryptage d’une relation bilatérale amenée à s’intensifier.
« En Inde, le secteur ferroviaire est tellement développé qu’ils ont même un ministère dédié », s’émerveille Abdelaâli Gour. Le chef de cabinet du ministère de l’Équipemen est revenu impressionné de sa visite en Asie du sud, du 14 au 21 décembre – frappé surtout par la différence d’échelle entre le « petit Maroc » et le « continent » indien.
Accompagné de son ministre et de son secrétaire général de tutelle, de deux membres du cabinet, ainsi que des directeurs généraux de l’ONCF (Office national des chemins de fer) et de l’ANP (Agence nationale des ports), le haut fonctionnaire s’est notamment rendu à Calcutta, sur le site de production du groupe ferroviaire Titagarh. Ce qui était au départ une entreprise familiale exporte désormais ses locomotives jusque sur les marchés italien et français. Des engins qu’elle fabriquera bientôt au Maroc?
« C’est le moment propice pour établir des relations économiques importantes avec le Maroc, après son retour à l’Union africaine, et tirer profit de sa position géographique stratégique et sa proximité avec le continent européen », a répondu Umesh Chowdhury. Après s’être déplacé à Tanger pour inspecter le chantier de la Ligne à grande vitesse (LGV), en septembre dernier, le patron de Titagarh a réitéré son intérêt pour le « dynamisme remarquable » du rail marocain. Une déclaration d’intention qui vient s’ajouter à une liste de partenariats déjà bien fournie.
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Les deux autres excursions de terrain, à l’usine automobile Tata de Pune et au port d’Haldia, ont effectivement été précédées de rencontres de haut niveau, avec les titulaires des porte-feuilles des Affaires étrangères, de la Santé et des Chemins de fer. Celles-ci ont abouti à la signature de deux mémorandums gouvernementaux, dans les domaines des ressources hydriques et de la santé – Abdelkader Amara étant également à la tête de ce département par intérim, depuis le limogeage d’Houcine El Ouardi, le 24 octobre dernier.
« Ces textes sont des accords de principe qui balisent le terrain avant des échanges plus approfondis. Ils constituent une première étape juridique, préalable à l’établissement d’un partenariat stratégique paraphé par les deux chefs d’État », explique Abdelaâli Gour.
Cinq autres conventions de coopération ont également été approuvées, entre l’ONCF et l’Indian Railways, l’Institut supérieur d’études maritimes de Casablanca, l’ANP et l’Indian maritime university, l’Institut de formation aux engins et à l’entretien routier et l’Indian academy of engines of highway engineers, ainsi que le CHU Mohammed VI de Marrakech et la Jawaharlal Institute of Postgraduate Medical Education and Research de Pondicherry.
Porte d’entrée vs diversification
« Nous sommes dans une phase d’exploration, entre deux nations qui veulent apprendre à mieux se connaître avant d’aller plus loin », estime Mohamed Maliki, ambassadeur du Maroc à New Delhi. D’après le diplomate, le Royaume est pour l’Inde une porte d’entrée idéale aux marchés européen, africain et moyen-oriental. Deux unités de recyclage de plastique (120 employés, 25 millions d’euros investis) et de fabrication de composants en fibre optique (3 millions d’euros) se sont d’ailleurs récemment implantées dans la zone franche de Tanger Automotive City. De l’autre côté, l’ouverture du Maroc à la « plus grande démocratie du monde » s’inscrit dans une volonté de diversification des partenariats, au même titre que le rapprochement engagé par Mohammed VI avec la Russie ou la Chine.
L’Inde est aujourd’hui l’un des rares pays du monde avec lequel le Maroc présente une balance commerciale excédentaire – 1,1 milliard de dollars d’exportations contre 500 millions d’importations – majoritairement grâce au phosphate. Dès 1997, deux joint-ventures ont été créées au port de Jorf Lasfar, entre l’OCP et ses associés Tata Chemicals et Chambal Fertilizers Chemicals. En s’alliant en septembre 2016 avec l’importateur Kribhco, pour un investissement conjoint de 2,3 milliards de dirhams, le géant marocain devrait pouvoir ouvrir dès l’été prochain son premier site de production sur le sous-continent.
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Outre ce domaine historique, le Maroc aimerait bien élargir ses opportunités au tourisme, en ciblant une classe moyenne qui atteindra bientôt les 300 millions de personnes. « Pour remplir les objectifs de nos plans Vision 2020 et 2030, nous savons que ce sera difficile sans l’implication des énormes émetteurs de voyageurs que sont amenées à devenir l’Inde et la Chine », considère Mohamed Maliki. En octobre dernier, l’ex-directeur de l’Office national marocain du tourisme (ONMT), Abderrafie Zouiten, a annoncé l’ouverture prochaine d’un bureau à New Delhi. Quelques jours plus tard, c’était au tour du ministre délégué à l’Intérieur, Nourredine Boutayeb, de venir s’enquérir des opportunités de collaboration en terme d’identification et de renseignement.
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En 2014, le projet d’un centre d’excellence maroco-indien dans le domaine des Technologies de l’information et de la communication (TICs) a été lancé au Technopark de Casablanca. L’année suivante, le roi Mohammed VI assistait au sommet Inde-Afrique de New Delhi, avant qu’une Chambre de commerce et d’industrie maroco-indienne soit créée, et qu’un Forum d’affaires Maroc-Inde soit organisé à Casablanca les 20 et 21 avril 2017. Et pour Abdelaâli Gour, le meilleur est encore largement à venir. « L’Inde est un pays vierge pour le Maroc, et vice versa. Nous avons tout à inventer. Le potentiel de développement est beaucoup plus grand que l’existant », s’enthousiasme-t-il.
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