Bienvenue, les amis, dans cette paisible page, authentique havre de paix planté au cœur d’un monde en route vers la perdition. Nous sommes cernés, c’est désormais une évidence, mais il faut continuer d’avancer, comme si de rien n’était, car nous n’avons pas le choix. Zakaria Boualem est tellement angoissé qu’il ne l’est plus, il observe la plongée collective dans les ténèbres, hébété, en regrettant amèrement le temps joyeux où ses problèmes se limitaient aux rondes intempestives des stafettes casablancaises ou à la passion de notre administration pour les timbres colorés et les tampons chatoyants. Nous avons changé de braquet, les amis, ces aimables petits tracas sembles désormais mignons.
Imaginez un peu que nous en sommes arrivés au point où le “grand tsar” nous parle de bombe nucléaire en toute décontraction. Il suffit de se promener sur Internet quelques minutes pour trouver une épouvantable infographie qui présente les dégâts potentiels d’un tel missile, c’est terrifiant. De l’autre côté, “l’agent orange” a été élu après avoir annoncé au cours de sa campagne qu’il s’agissait de la dernière élection de son pays, ce qui est original.
Au milieu de tout cela, personne ne sait trop quoi faire pour rappeler tout le monde à la raison. Le président français, par exemple, a expliqué qu’il était satisfait de voir l’Ukraine frapper Moscou avec les missiles de l’OTAN avant de demander, dès le lendemain, à la Russie de faire preuve de retenue. Avec un tel niveau de contradiction, on frôle la fracture du cortex. Du côté du peuple de la lumière, la fameuse seule démocratie de la région, c’est aussi l’heure de la fête avec un projet colonial raciste en pleine expansion.
Tout peut très mal tourner, voilà la vérité, car on a oublié de compléter le tableau avec une importante et plutôt inquiétante collection de catastrophes naturelles, et une épidémie dont tout le monde se souvient, hélas ! Résultat, le Boualem, au cours de ces dernières années ignobles, a compris que le pire rate rarement ses rendez-vous avec l’histoire. Une terrible prise de conscience pour un homme qui a grandi dans l’idée que, en gros, l’humanité avançait tant bien que mal, presque mécaniquement, vers la lumière.
Cette semaine, le Boualem a décidé de parler d’autre chose. Comme des cinq journées fériées pour des événements liés à la colonisation au Maroc : toute notre mémoire nationale se tourne vers cette période, comme si rien n’existait avant
Il ne reste plus à notre héros, après cette longue intro déprimante, qu’à parler d’autre chose, par exemple de la fête de l’indépendance. Il vous laisse digérer cette transition audacieuse, et il vous présente sa théorie. Nous avons au Maroc une journée fériée pour le Manifeste de l’indépendance, une autre pour l’indépendance, une troisième pour la révolution du Roi et du Peuple, sans parler de la Marche verte et de Oued Eddahab. Au total, cinq journées fériées pour des événements liés à la colonisation. Elle a pourtant duré moins d’un demi-siècle, et encore, pas pour tout le monde, puisque la moitié de cette période a été consacrée à “pacifier” le territoire, comme ils disaient. C’est moins que le règne de Moulay Ismaïl, par exemple. Pourtant, toute notre mémoire nationale se tourne vers cette période, comme si rien n’existait avant.
Cette attitude nous range dans la même catégorie que les pays qui sont nés de la décolonisation. Autrement dit, on ne peut pas, (avec raison) dire que nous avons des siècles et des siècles d’existence, et demander aux gens de s’arrêter de travailler tous les deux mois pour une série d’évènements qui n’en concernent qu’un seul, de siècle s’entend. Excusez le style ampoulé du Boualem, il n’a pas l’habitude de venir au secours des patriotes, qui se débrouillent en général bien sans lui. Mais là, il n’a pas pu se retenir. C’est tout pour la semaine, et merci.