Cette semaine a été marquée par une bien triste affaire, les amis. À moins que vous n’ayez passé les derniers jours au fond de l’océan, à traquer le poulpe cornu, vous avez sans doute croisé sur le Net les épouvantables vidéos en provenance de Fnideq. On y voit des centaines de jeunes qui tentent de rallier Sebta par tous les moyens, eux-mêmes pris en chasse par nos forces de l’ordre en état de grande mobilisation, une sorte de chaos général à la fois saisissant et tragique.
Sous les yeux stupéfaits du Boualem se joue l’attaque prévisible de la forteresse Schengen, voilà comment il a compris la scène. Aussitôt, devant la violence symbolique des images, l’Internet national a été pris de convulsions collectives. Bien entendu, nous avons commencé par nous poser ce que Zakaria Boualem appelle les questions latérales, car c’est ainsi que nous procédons. Comment ces jeunes se sont-ils pointés le même jour à Fnideq, et qui manipule les réseaux sociaux pour provoquer ces opérations de hrig généralisé, et pourquoi aujourd’hui, comme par hasard, ce genre de choses ?
Ce ne sont certes pas des questions illégitimes, mais elles sont latérales, puisqu’elles contournent souplement l’interrogation de base qu’il faut poser sans plus attendre : pourquoi avons-nous autant de jeunes prêts à risquer leur vie pour rejoindre l’Europe ? Comment se fait-il que, pour autant de jeunes, la perspective de démarrer à zéro, avec un simple maillot de bain à Sebta, est porteuse de plus d’espoir que de rester dans leur pays, un pays qui avance sur les lumières de la félicité ?
Si cette question n’est pas vraiment débattue, c’est sans doute parce qu’elle est tellement ancienne qu’elle a été promue au rang de fait. C’est ainsi que ça se passe chez nous, les problèmes, absurdité scandales et autres dysfonctionnements, passé un certain nombre de décennies, abandonnent leur nature de variable pour accéder au statut de données de base, un peu comme la météo. Du coup, quand elles se rappellent à l’actualité avec autorité, on les traite comme des catastrophes naturelles, il faut les traiter et en minimiser l’impact, mais l’idée de les annuler n’effleure l’esprit de personne.
“sur le plan du concept, il y a bien peu de différence entre ce gamin qui se lance, en bouée, à l’assaut de Sebta, et cet autre qui met de côté pour acquérir une résidence à Marbella et le statut de résident qui va avec”
Et c’est étrange, car l’idée de mettre les voiles est dans tous les esprits, mêmes les plus fortunés. Car, finalement, sur le plan du concept, il y a bien peu de différence entre ce malheureux gamin qui se lance, en bouée, à l’assaut de Sebta, et cet autre qui met de côté pour acquérir une résidence à Marbella et le statut de résident qui va avec. Même si tout les sépare, ils ont un sentiment en commun, et Zakaria Boualem va vous l’expliquer parce qu’il le connaît très bien. On va l’appeler sentiment d’insécurité, mais on pourrait sans doute trouver mieux comme appellation, il faut laisser macérer le concept.
C’est une angoisse presque liquide dans laquelle les Marocains baignent tout le temps. La conscience du fait que nous sommes livrés à nous-mêmes. Il faut compter uniquement sur soi-même pour éduquer ses enfants, les soigner, et un simple revers de fortune, une passe difficile, un accident de la circulation ou un pépin de santé peuvent plonger une famille dans la précarité, telle est l’atroce vérité. Sans même évoquer l’arbitraire qui rôde, et qui, lui aussi, alimente le bain d’angoisse.
Hélas, on a beau multiplier les TGV, la Coupe du Monde et autres grands théâtres, rien n’est fait pour diminuer le niveau stratosphérique de cette angoisse liquide. C’est tout pour la semaine, et merci.