Réforme de la Moudawana : le sens de l’histoire

Par Fatym Layachi

Il est des semaines avec une charge symbolique plus forte que d’autres. Cette semaine, c’est le 8 mars. Et le 8 mars, c’est la Journée internationale des droits des femmes. Ce n’est pas rien tout de même. C’est même beaucoup. Alors bien sûr que c’est aussi devenu une vaste opération marketing. Et alors ? Pourquoi pas, après tout. De toute façon, aujourd’hui, ici comme à peu près partout ailleurs, tout est prétexte à faire une petite opération marketing.

On fait commerce de toute occasion. C’est comme ça. C’est l’époque. Et toi, à vrai dire, tu ne fais pas du tout partie de ceux que ça indigne. Tu as déjà bien trop de raisons de t’emporter, de t’indigner. Alors tu ne vas clairement pas bougonner pour une histoire de réductions sur une paire de baskets ou un abonnement au spa. C’est une opération commerciale. Point. Tu ne lui accordes pas plus d’importance. Tu préfères accorder de l’importance à ce que tu estimes vraiment important.En plus, cette année, le 8 mars a une résonance particulière.

Cette année est potentiellement une grande année pour les avancées des droits des femmes au Maroc. Cette année, une réforme de la Moudawana doit voir le jour. Alors toi, tu ne peux qu’être pleine d’espérance. La Moudawana a grandement besoin d’être réformée pour enfin consacrer l’égalité pleine et entière entre les femmes et les hommes. Parce que oui, il faut dire les choses et les dire clairement, dans le plus beau pays du monde, l’égalité entre les femmes et les hommes est assez loin d’être pleinement consacrée.

Alors bien évidemment qu’il y a eu des avancées, et pas des moindres. Et bien sûr qu’il faut les souligner. De la même façon qu’il faut souligner que le Maroc est un des rares pays de la région à entamer un processus de réflexion pour améliorer ses lois. Tout ça, tu le soulignes. Tu l’apprécies. Tu l’applaudis même. En revanche, ce n’est pas pour jouer les rabat-joie ni pour faire la meuf qui critique tout, mais tout n’est pas merveilleux. Loin de là. Et ça aussi, il faut le dire, l’écrire, le dénoncer.

Tant que les femmes ne pourront pas disposer pleinement de leur corps. Tant que les femmes ne pourront pas avorter dans des conditions de salubrité et d’hygiène convenables. Tant que plus de 600 femmes par jour prendront le risque de crever dans des avortements clandestins. En cachette, dans une clinique pour celles qui ont les moyens d’être hors-la-loi décemment. Les jambes écartées sur une table crade, des aiguilles à tricoter dans le vagin pour les moins chanceuses.

“Tant que la moitié du pays vivra dans le déni des droits des femmes, alors non, ce pays n’avancera pas vraiment”

Fatym Layachi

Tant qu’une épée de Damoclès continuera de planer sur les mamans divorcées. Tant que, parce que tu es née fille, tu vaux la moitié de ton frère à l’un des moments les plus symboliques de la vie, à savoir la transmission de ce qui vous vient de vos parents. Et, si tu es fille unique, tant qu’un vague cousin sera plus légitime que toi.

Tant que ta voix n’aura pas droit au chapitre en tant que témoin. Tant que tu ne pourras pas entrer sereinement dans un commissariat pour porter plainte pour agression sexuelle ou viol. Tant que des mecs pourront se passer du consentement de leur femme pour les baiser. Tant que le viol conjugal ne sera pas reconnu comme un délit pénal. Tant que la moitié du pays vivra dans le déni de ces droits, alors non, ce pays n’avancera pas vraiment. C’est presque mathématique. Ce n’est même pas idéologique. Et surtout, c’est le sens de l’histoire. À nous de savoir nous tenir du bon côté de l’histoire.