Le Maroc vit actuellement une dynamique, des grands projets royaux, surtout celui portant sur la protection sociale intégrale au profit des citoyennes et citoyens marocains, en situation de précarité.
L’effectivité de ce projet passe impérativement par la préparation et la mise en œuvre de nombreux projets, programmes, textes législatifs et décrets d’application qui affectent directement ou indirectement la vie quotidienne des personnes en situation de handicap.
Une politique d’exclusion sociale ?
Dans ce cadre, le chef du gouvernement a présidé, le mercredi 24 août 2022, une réunion consacrée au registre social unifié et aux mécanismes pour accélérer son application sur le terrain, partant du fait que ce dossier est à la base un des piliers d’un État social. C’est le mécanisme par lequel il est censé permettre aux familles pauvres et nécessiteuses d’accéder à un soutien et à une assistance, et ainsi d’améliorer l’efficacité et la rentabilité des programmes sociaux.
La plus grande crainte des PSH et de leurs familles est que le handicap risque encore une fois d’être le maillon faible de ces nouveaux programmes
En effet, le gouvernement compte sur ce projet, qui s’inspire des expériences de plusieurs pays, pour rationaliser plus de 120 programmes d’accompagnement social. C’est d’ailleurs ce à quoi le roi Mohammed VI a consacré une partie de son discours à l’occasion du 19e anniversaire de la Fête du Trône : “Il est insensé que plus de cent programmes de soutien et de protection sociale, de différents formats et se voyant affecter des dizaines de milliards de dirhams, soient éparpillés entre plusieurs départements ministériels et de multiples intervenants publics. En fait, ces programmes empiètent les uns sur les autres, pèchent par manque de cohérence et ne parviennent pas à cibler les catégories effectivement éligibles. Comment peut-on, donc, espérer que ces programmes répondent efficacement aux besoins des citoyens et impactent réellement leur quotidien ?”
Aujourd’hui, la plus grande crainte des personnes en situation de handicap (PSH) et de leurs familles est que le handicap risque encore une fois d’être le maillon faible de ces nouveaux programmes, que le fossé se creuse encore plus et que les PSH continuent à être victimes de nombreuses discriminations, à cause de leur condition. En effet, on constate malheureusement l’absence du handicap parmi les risques qui nécessitent une protection sociale.
Comme stipulé dans l’article 2 de la loi-cadre n° 21.09 relative à la protection sociale, qui comprend uniquement la protection contre les risques de maladies, la protection contre les risques liés à l’enfance et l’indemnisation arbitraire des familles non couvertes par cette protection, la protection contre les risques liés au vieillissement et enfin, la protection contre le risque de perte d’emploi.
Cette absence ou omission pour ne pas dire négligence est une source de préoccupation pour les PSH, leurs familles, les associations et organismes œuvrant dans le domaine des droits humains et du développement inclusif dans notre pays. Ce sentiment d’être oublié ou exclu de ce grand chantier social lancé par SM le roi Mohammed VI, qui lui-même y avait fait allusion dans un discours en 1999 à l’occasion de l’anniversaire de la Révolution du roi et du peuple : “Comment assurer une égalité des chances pour tous, si les handicapés physiques sont marginalisés et écartés des domaines pour lesquels ils sont formés et préparés, alors que l’islam, la religion de l’entraide et de la solidarité, appelle à prendre soin des faibles, à les aider à s’insérer dans la société pour en devenir des membres actifs et productifs ?”
Ces craintes sont confirmées aussi par le Comité des droits des personnes handicapées qui a exprimé parmi ses observations finales au Maroc, adoptées à sa 18e session (14-31 août 2017), sa préoccupation concernant le pourcentage élevé de personnes handicapées sans source de revenus réguliers et l’absence d’un régime de protection sociale complet qui garantisse aux personnes handicapées et à leur famille un accès à un niveau de vie suffisant, notamment des ressources pour couvrir les dépenses liées au handicap.
À cet effet, le Comité avait recommandé à cette occasion, la nécessité pour le Maroc de la mise en place d’un “régime de protection sociale visant à garantir un niveau de vie suffisant aux personnes handicapées, notamment au moyen de systèmes d’indemnisation sous forme d’allocations” avec pour objectif d’“autonomiser” les personnes et de favoriser leur intégration économique, indépendamment du handicap.
Plus de 2,2 millions de personnes en situation de handicap au Maroc
Il est nécessaire de rappeler que le quotidien de cette frange de Marocaines et Marocains est non seulement déplorable, mais qu’il amplifie et renforce les barrières culturelles, sociales et économiques. Ce qui n’est pas sans compliquer davantage leur pleine participation sociale, notamment en matière d’accès à l’emploi, à la santé et à l’éducation. Les personnes en situation de handicap au Maroc, qui représentent, selon les résultats de l’Enquête nationale sur le handicap de 2014, 2.264.672 personnes, souffrent en effet d’une double exclusion : celle liée à une altération définitive de l’identité sociale, et celle liée à la pauvreté.
Les personnes en situation de handicap souffrent d’une double exclusion : celle liée à une altération définitive de l’identité sociale, et celle liée à la pauvreté
La représentation psychosociale des personnes en situation de handicap détermine en grande partie la marginalisation de cette population, et cette exclusion se manifeste à plusieurs niveaux puisque 66,1 % des personnes en situation de handicap sont non scolarisées, dont 66,6 % sont des femmes, que leur taux de chômage est six fois plus élevé que celui des non-handicapés et que le handicap représente souvent un coût élevé pour les foyers. Pour autant, celui-ci est rarement considéré comme tel et ne fait pas l’objet d’une aide spécifique. Pire, cette marginalisation devrait s’accentuer davantage si encore une fois les PSH restent en marge de toute politique de développement.
Les chiffres révélés par le CESE confirment également cette marginalisation : plus d’une personne sur cinq n’a jamais fréquenté une institution sanitaire, les difficultés d’accès aux soins généraux sont justifiées par le manque de moyens financiers (80 %), l’éloignement géographique (25 %), l’image négative des services de santé (21 %) et le manque de moyens de ces services (18 %).
Cependant, tous ces chiffres sont significativement inférieurs aux moyennes constatées à l’échelle mondiale. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), près d’un milliard d’individus, soit 15 % de la population mondiale, sont porteurs d’un handicap et constituent la première minorité vulnérable de la planète. Ce chiffre augmente à raison de la croissance démographique et sous l’effet à la fois du vieillissement et de l’amélioration de la prise en charge médicale.
Toujours selon un rapport de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) sur le sort réservé aux personnes en situation de handicap au Maroc, 55,3 % des Marocains en situation de handicap n’ont pas accès aux services de santé et 21,3 % n’ont pas accès aux médicaments. L’OMS indique aussi que 52,5 % de cette population à besoins spécifiques ont besoin d’aides matérielles pour subvenir, au quotidien, à leurs besoins de première nécessité. Le rapport relève que le Maroc compte un seul médecin spécialisé pour 10.000 personnes en situation de handicap. Le Maroc est largement devancé par nombre de pays, dont la Tunisie où ce ratio est de 2 médecins spécialisés pour 10.000 patients.
Pour une société inclusive
Je reste convaincu que le succès de l’Exécutif réside dans le fait de faire du développement inclusif un paradigme en matière de droits humains. Mais il dépend aussi de sa détermination, à prendre en compte, dans toute politique publique, dans tous les projets et les programmes, les besoins des PSH. Le développement inclusif s’inspire du concept de la “société pour tous”. Il donne à chacune et chacun la possibilité d’exploiter ses potentiels et, par voie de conséquence, de contribuer au bien-être général, en participant à la vie de sa communauté.
Lorsque nous garantissons les droits des personnes en situation de handicap, nous nous rapprochons des valeurs et des principes fondamentaux de la Charte des Nations unies. Nous respectons nos engagements internationaux édictés par à la Convention de l’ONU sur les droits des PSH, adoptée le 13 décembre 2006, signée par le Maroc le 30 mars 2007 et ratifiée le 8 avril 2009. Dans son article 32, elle exige, en outre, la mise en place de politiques inclusives de développement. Nous respectons également le préambule de notre Constitution de 2011 et notamment son article 34.
La stratégie des Nations unies pour l’inclusion du handicap nous offre une base devant favoriser l’accomplissement de progrès durables et de transformations dans la prise en compte de la question du handicap, dans toutes les composantes, pour toute stratégie qui se dit inclusive.
Je pense que le gouvernement doit veiller à la mise en place d’une stratégie nationale globale et intégrée relative au handicap. Il doit partir d’une approche fondée sur le droit, avec la participation de toutes les parties prenantes, et ce, afin de mettre en œuvre les engagements conventionnels et les obligations constitutionnelles du Maroc.
La communauté internationale s’accorde généralement à dire que le développement inclusif exige une approche sur deux fronts. Il faut d’une part garantir la prise en compte inclusive des personnes handicapées dans tous les grands projets et programmes de développement. Et d’autre part, il faut continuer à encourager les mesures destinées à “autonomiser” les personnes en situation de handicap. C’est-à-dire en leur donnant les moyens à la fois de représenter leurs intérêts de manière responsable, autonome, et à la fois d’être intégrés dans les programmes généraux.
Pour cela, nous souhaitons que le gouvernement prenne en compte les mesures prioritaires suivantes :
- Assurer la mise en œuvre intégrale de l’accessibilité, la rendre obligatoire pour tous les anciens et les nouveaux bâtiments destinés à recevoir du public, ainsi que pour les moyens de transport, de communication, y compris la mise à disposition d’une accessibilité numérique sur tous les sites des ministères et établissements publics, en prenant toutes les mesures et procédures, et la mise en place d’un mécanisme de suivi et de sanction.
- Un système de détection précoce du handicap avec une prise en charge adaptée dès le plus jeune âge et accessible aux plus vulnérables.
- Permettre aux personnes en situation du handicap de bénéficier sans discrimination de tous les programmes de protection sociale, et de considérer le handicap comme l’un des risques nécessaires à la protection sociale.
- Activer l’adoption de la disposition législative instituant le régime de soutien social, d’encouragement et d’appui au profit des personnes en situation de handicap (art. 6 de la loi-cadre 97-13 du 27 avril 2016) dans un délai d’une année.
- Parachever le cadre législatif et réglementaire de protection des personnes en situation de handicap au moyen de mesures dissuasives contre les violences, la maltraitance et les actes de discriminations à l’encontre des personnes en situation de handicap, dans le cadre familial, sur les lieux de travail, dans l’accès à l’emploi et aux services publics.
- Assurer un revenu de base, sous condition de ressources, aux PSH conformément à la recommandation n° 202 de l’OIT. L’effort national à consentir pour financer le revenu de base pour ces personnes devrait correspondre au moins à 0,32 % du PIB conformément à la recommandation n° 202 sur les socles de protection sociale.
- Mettre en place et rendre publics des indicateurs d’évaluation et de suivi de la situation et des mesures de protection sociale des PSH. Mettre en exergue parmi les indicateurs portant sur les ODD les données spécifiques relatives aux PSH.
- Augmenter les dotations aux services alloués aux personnes handicapées dans le cadre du Fonds de cohésion sociale, notamment le soutien à la scolarisation et à l’emploi, et revoir le cadre organisationnel du partenariat avec les associations de la société civile en la matière.
- Adoption d’un abattement forfaitaire au titre de l’impôt sur le revenu pour les salariés et travailleurs en situation de handicap, dans le but d’alléger le coût élevé du handicap, du moment qu’aucune prise en charge du handicap n’est prévue. Les personnes en situation de handicap font face à un ensemble de charges et de surcoûts liés à leur situation. Le handicap accentue la pauvreté et la pauvreté aggrave le handicap. Cette relation de cause à effet fait que, dans de nombreux cas extrêmes de pauvreté et de précarité, les personnes en situation de handicap ou leurs familles sont incapables de subvenir à leurs besoins de base (manger, se loger, se vêtir, etc.). Les personnes handicapées, du fait de leur handicap, ont des coûts de vie supérieurs aux personnes non handicapées, liés à leur incapacité : soins, réadaptation, moyens de compensation souvent chers quand disponibles, coûts de mobilité (prendre un taxi, car transports en commun pas accessible, se déplacer à deux, car besoin d’une aide humaine…) Ces dernières années, un certain nombre d’études ont montré que ces coûts liés aux handicaps peuvent représenter environ un tiers du salaire moyen du pays.
- Encourager la culture de la vie autonome pour les personnes handicapées et mettre en place des mécanismes pour sa mise en œuvre dans le contexte marocain.
- Soutenir le positionnement institutionnel et politique du secteur gouvernemental en charge du handicap, en le dotant des différents moyens humains, financiers et matériels nécessaires à son fonctionnement efficace, et en créant des directions régionales qui lui sont affiliées.
- Achèvement du projet de mise en place d’un nouveau système d’évaluation du handicap au Maroc, tout en veillant au respect effectif de l’approche participative et des normes internationales pertinentes ; un système d’évaluation du handicap efficient, avec un fonds de cohésion sociale qui facilite l’accès à des équipements coûteux pour les plus nécessiteux et dans un délai raisonnable.
- Créer un organe national indépendant chargé de surveiller et de suivre la mise en œuvre des droits des personnes handicapées, conformément à l’article 33 de la Convention internationale des droits des personnes handicapées et aux normes de la déclaration de Paris réglementant le travail des institutions nationales des droits de l’Homme.
- Dynamiser et activer les rôles du Comité ministériel chargé d’appuyer la mise en œuvre de la Convention et les rôles des points focaux concernés, et notamment adopter des mesures visant à renforcer l’efficacité du Comité et des points focaux.
- Instaurer une Prestation de compensation du handicap (PCH), qui est un des piliers du droit à la compensation. Il s’agit d’une prestation couvrant un spectre large des besoins des personnes en situation de handicap, à partir d’une évaluation globale et individualisée de leurs besoins, La PCH a vocation à couvrir une partie des besoins de compensation en lien avec des charges liées à l’intervention d’aide humaine, à l’acquisition d’aides techniques, à des frais d’aménagement de logement ou de véhicule, à des frais de transport, à l’entretien d’une aide animalière ou encore à des charges spécifiques ou exceptionnelles. Elle contribue à l’objectif essentiel de la politique du handicap, celui de permettre aux personnes le libre choix de leur projet de vie.
- Reconnaître le statut de travailleur handicapé, qui ouvre droit à des mesures spécifiques en matière d’insertion professionnelle et/ou de maintien dans l’entreprise.
- Développer les services d’assistance sociale pour les personnes en situation de handicap au niveau local, régional et national.
Quand toutes ces mesures seront effectives, mises en application, nous pourrons parler d’un État social qui prend en compte tous ses citoyennes et citoyens.
Une protection sociale inclusive basée sur la Convention internationale des droits des PSH vise à SOUTENIR les PSH dans le développement de leur autonomie, permettant de réduire leur vulnérabilité et niveau de pauvreté !
Ainsi, pour les PSH en particulier, la question de la protection sociale exige des réponses différentes, mais complémentaires :
➢ La lutte contre la pauvreté, qui est une question de survie et de niveau de vie minimum.
➢ L’amélioration de la participation sociale des personnes handicapées, car on doit s’interroger également sur leur niveau d’autonomie et leur accès aux services de support, et aux moyens de compensation nécessaires à leur participation.
Il est temps pour la société d’évoluer et de se transformer afin d’offrir aux personnes en situation de handicap la considération et les réponses nécessaires à leur épanouissement.
Une société inclusive est une société qui accueille chacun de ses membres sans distinction. Plutôt que de les nier ou de les exclure, elle prend en compte les singularités et fait en sorte d’offrir à chacun la possibilité de bénéficier des mêmes chances.
Une société inclusive est une société qui appartient à tous, qui fait des singularités sa richesse, sans viser à la normalisation comme dans les politiques d’assimilation, ni en rejetant ces singularités dans les marges sous prétexte de protection.
En résumé, je considère que le bilan de notre pays en matière de respect et d’effectivité des droits humains des PSH est contrasté. Si de nombreux progrès ont été réalisés ces dernières années, d’importantes lacunes subsistent dans la mise en œuvre des principes et droits reconnus par la Convention, notamment en matière (des accessibilités, de santé, d’éducation, d’emploi, de logement, des transports, des services publics…). De ce point de vue, il apparaît que le Maroc n’a pas encore pleinement pris en considération le changement de modèle induit par la Convention.