Allez voir "Burn Out" de Lakhmari... mais pas au cinéma.

C’est tombé sur Burn Out, mais ça aurait pu être un autre film. Aller au cinéma à Casablanca, c’est décidément un sacerdoce à vous donner envie de vous ruer sur de bons vieux DVD piratés. Et ce ne sont pas les réalisateurs marocains qu'il faut blâmer.

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La Corniche, samedi soir. La queue s’allonge devant les guichets du plus grand complexe de cinéma de Casablanca. On est loin d’une image d’Épinal d’un septième art qui se savoure dans un petit cinéma de quartier, mais quelle joie de voir les rares salles qui survivent dans la capitale économique être prises d’assaut. Et puis l’avantage d’un multiplexe, c’est qu’il y a l’embarras du choix. Pour la séance de 22h30, pas moins de 14 films sont à l’affiche, dont trois productions marocaines: La nuit ardente de Hamid Bennani, Hayat de Raouf Sebbahi et Burn Out de Nour-Eddine Lakhmari. Pour un cinéma national que l’on dit agonisant, il y a tout de même de beaux restes.

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Alors, va pour Burn Out. Et pourquoi cela? Par chauvinisme, un peu. Soutenons le cinéma national que diable! Par suivisme, sans doute. Sorti dans la semaine, le film a bénéficié d’une très large couverture presse et même Telquel.ma qui n’a pas été tendre avec lui, conclut que c’est un film « à voir« . Par pragmatisme, c’est sûr. Burn Out est un film dont on parle. Or, les films, ce n’est pas comme les livres. Mieux vaut les avoir vraiment vus pour en parler. Par subversion, aussi. Pour que le CCM ait interdit le film au moins de 16 ans, c’est qu’il doit être sacrément rebelle. Par passion, quand même. On repense aux deux premiers opus de la trilogie – Casanegra et Zéro – avec tendresse.

Salles obscurantistes

Amis cinéphiles du samedi soir, suivez le guide. Acceptez de vous mettre à la merci d’un réalisateur qui jouera avec vos émotions comme un marionnettiste. Deux heures durant, la magie du cinéma va opérer pour vous faire changer d’espace temps, et vous donner à voir ce que vos yeux ne voient plus et ce que vos rêves ont oublié. Ou pas. Mais ça, vous ne le savez pas encore. Et c’est donc tremblant d’excitation que vous pénétrez dans l’imaginarium.

Allégés des 65 dirhams du ticket d’entrée — on a bien dit que vous souteniez le cinéma national coûte que coûte – vous empruntez des couloirs tapissés façon festival de Cannes. Le pop-corn écrasé au sol freine votre délire. Vous pénétrez dans la salle de projection, dubitatif. « Suis-je dans un Boeing de la Royal Air Maroc? » Comme dans un avion, le choc thermodifférentiel provoqué par la climatisation vous fait regretter de ne pas avoir prévu une petite laine. Les rangées encombrées par vos semblables qui cherchent une place vous sont aussi familières. Pchakh ! Les sièges sont en cuir. Ça, c’est de la salle de ciné ! Aie ! Ils ont juste oublié de les molletonner. La salle est déjà bien remplie. Vous avez exclu d’office les rangées du fond. Les films avec les bruitages additionnels d’échange de salive, vous avez déjà donné…

Installé, vous portez votre regard sur les pubs et bandes-annonces qui sont déjà projetées. Oui, pourquoi pas un spot contemplatif de cinq minutes pour une boulangerie européenne ? Amusant, à la rigueur, une station de carburant qui vous vend « l’essence du bonheur« . Par contre, la balance des sons ce n’est pas possible. Un clip sur deux vous fait saigner les tympans avec un son strident, bien trop aigu et trop fort. Pourvu que le film soit mieux réglé.

Vous allez bientôt pouvoir le savoir, les lumières de la salle s’éteignent. Ce n’est pas pour autant que le noir se fait. Eh non, une myriade d’écrans de téléphones luisent encore dans le noir, et ce pour de longues minutes. Avez-vous déjà conduit, de nuit, sur une route de campagne non éclairée, avec la lumière du plafonnier de votre véhicule allumée? Très inconfortable. Eh bien là, c’est pire!

Restez zen. L’intrigue commence à se dessiner. Vous appréciez les images soignées d’une Casablanca que vous reconnaissez. Malheureusement, votre voisin aussi… « Hey ! C’est le boulevard Massira« , souffle-t-il sans discrétion à son compère. Vous avez bien envie de lui rétorquer un « sans blague ?! » de réprobation, mais vous lui laissez une chance. Après tout, il n’est pas tellement plus gênant que votre voisin de derrière qui a de très grandes jambes, et vous secoue régulièrement d’un coup de pied dans votre dossier.

Chic, un viol !

Les quelques bons gags bien sentis assortis à un montage savant qui vous auraient simplement tiré un sourire dans votre salon créent ici, par contagion, un bon gros fou rire libérateur. C’est là le bon côté du cinéma. La salle vit avec vous et permet de décupler les émotions. Mais le problème se pose lorsque vos émotions ne sont pas synchronisées avec celles du reste de l’assistance. Ainsi de ce moment que vous trouvez émouvant, car joué de manière convaincante, filmé justement. Un personnage frappé d’impuissance à cause d’une maladie incurable de dégénérescence des muscles. Pas de quoi glousser, a priori. Surtout lorsque, sous la couette, en bonne compagnie, celui-ci fond en larme, directement confronté à son handicap malgré les efforts de sa partenaire. Est-ce donc pour camoufler sa gêne que le public se gausse largement ? Le CCM vous avait pourtant prévenu.

Lors d’une autre scène, la gêne change de camp pour devenir franchement révoltante. Une scène de viol. Immonde. Pénible. Crue. Mais toujours un public hilare. Taisez-vous ! La victime se réfugie dans des toilettes miteuses pour crier son désespoir. À couper le souffle. Probablement la scène la plus marquante du film, mais toujours couverte par des rires. Mais taisez-vous ! On ne s’arrête pas en si bon chemin. Lorsqu’elle se dénude quelques scènes plus loin alors qu’elle s’apprête à se prostituer, la salle applaudit en cœur. Le public tient là un nouveau jeu. Lancer des applaudissements aux moments les plus improbables. L’œuvre de petits jeunes un peu surexcités ? Pas le moins du monde. Un couple, la quarantaine, se tord de rire en essayant de lancer des applaudissements au milieu de nulle part. Allez-vous enfin vous taire ?!

Le générique est presque un soulagement. Les noms de tous ceux qui ont travaillé pendant des mois pour que ce film existe défilent. Bon ou mauvais résultat, peu importe. Leur travail vient d’être présenté dans les pires conditions qu’il soit. Un énorme gâchis. La prochaine fois, ce sera sushi, et au lit.

 

Disclaimer : En 2016, les recettes guichet à l’échelle du pays ont atteint 61,5 millions de dirhams, dont 17,5 % grâce à des films marocains. Ce sont notamment ces recettes qui permettent de produire chaque année de nouveaux films. Pas les DVD piratés. L’humeur exprimée ci-dessus ne doit pas inciter à déserter les salles obscures. Au contraire. Car comme le disait le réalisateur hongrois Bela Tarr, président du jury du Festival international du Film de Marrakech en 2016 : « Le public est toujours accessible, encore faut-il que ce soit le bon jour ! Mes films demandent un peu de patience, de concentration, d’ouverture d’esprit. Je crée, après le public prend ou ne prend pas.« 

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