A contre-courant. Marine et l’Arabe de France

Par Omar Saghi

Les haineux, les colériques, sont si nombreux en France qu’il n’est plus sûr qu’ils soient d’accord sur l’objet de leur haine.

Un électeur français sur quatre s’est prononcé, lors des élections européennes, en faveur des listes conduites par Marine Le Pen. Il y a des réactions post-électorales comme il y a des lendemains de fête ou de boisson. Et je n’ai pu m’empêcher de méditer, personnellement et à la première personne, sur certaines attitudes parisiennes.

Un Arabe à Paris « se doit » de s’inquiéter du triomphe du Front National, un Arabe (ou un noir ou un Turc) « se doit » d’être soucieux, fragilisé, perturbé par ce résultat. Ses amis s’étonnent de son calme, le lundi qui suit le dimanche électoral. Ses amis de gauche veulent qu’il soit plus réactif, car eux le sont. La bête immonde revient, elle s’attaque aux étrangers, lesquels, humblement, doivent chercher refuge auprès de leurs camarades démocrates. Tu dois t’inquiéter, « parce que si ça continue, t’as qu’à préparer tes valises mon pote », « parce que si on ne fait rien, t’as qu’à faire ta prière, mon frère », « parce qu’avec Marine au pouvoir, c’est le bled qui t’attend », etc.

Si j’avais l’esprit mal tourné, je me demanderais si la victoire du FN n’accorde pas au militant socialiste de base une satisfaction narcissique paradoxale, une sorte de devoir historique, et s’il n’attend pas des étrangers l’humble attitude du pauvre quémandant une charité politique, la protection citoyenne.

Mais je n’ai pas l’esprit mal tourné, je ne pense pas qu’on espère secrètement de la victoire frontiste qu’elle instille une peur propice à l’héroïsme, que cette victoire fasse appel au donquichottisme de gauche qui cherche toujours qui sauver malgré lui, quel moulin pourfendre, quelle princesse, qui n’en demande pas tant, arracher aux griffes de quel dragon invisible.

Malgré les 25% de voix du FN, le lendemain la vie s’est poursuivie, les noirs, les jaunes, les blancs et les autres ont vaqué à leurs affaires, indifférents, résignés, passionnés, chacun selon son inclination. Non pas que l’heure politique ne soit pas grave, mais l’analyse en termes de victimes étrangères et de Français de souche soucieux de leurs amis est fausse. L’électorat frontiste a changé, il s’est élargi, sa victoire est le fruit, entre autres, d’une bigarrure idéologique et sociale qui finira par lui poser problème.

Car aux oppositions internes classiques au sein de l’extrême droite (entre pétainistes et gaullistes, entre patriotes et régionalistes, entre catholiques intégristes et néo-païens, etc.) s’ajoute désormais une marqueterie idéologique et sociale qui finira par faire perdre au Front sa pureté de mouvement d’opposition. « Nouveaux Français » et immigrés de seconde ou de troisième générations, antisionistes et souverainistes antimondialistes, musulmans et juifs, Marine Le Pen brasse large, très large. De l’image traditionnelle du FN comme parti qui fait peur, il reste la peur certes, mais contre qui, venant d’où, visant quoi ? Les Arabes, les juifs, les patrons, les pauvres, les noirs, les Américains ?

Le populisme lepéniste a pour unique dénominateur commun d’être le mouvement de la haine et de la colère. Mais sa victoire a brouillé la figure de l’ennemi. Les haineux, les colériques, sont si nombreux aujourd’hui en France qu’il n’est plus sûr qu’ils soient d’accord sur l’objet de leur haine. Mes amis de gauche, charitables, ont peut-être raison : les Arabes de France doivent avoir peur de Marine Le Pen. Mais j’ajouterai qu’il n’y a pas que les Arabes qui doivent avoir peur. Les Auvergnats, les Normands, les banquiers, les fonctionnaires, les pauvres et les riches, tout et tous, avec Marine, doivent désormais avoir peur…