Zakaria Boualem aurait préféré un métro

Par Réda Allali

Zakaria Boualem est tombé cette semaine sur une information stupéfiante. Il va vous la livrer sans plus attendre, l’heure est grave : “Le tramway casablancais pourrait faire jusqu’à cinq morts par jour”. Bon, il faut reprendre son souffle. Précisons pour commencer que notre héros est un peu perplexe par rapport à cette réalisation et sa capacité à désengorger la circulation. Il faut le comprendre, le pauvre, il fait partie de la génération à qui on a promis un métro, c’est-à-dire un truc en profondeur. Le passage à la troisième dimension, quoi… Mais bon, il n’est pas spécialiste, le Guercifi, il peut se tromper et, mieux, il espère se tromper. Et voilà que le site bladi.net, largement repris par les médias sociaux, vient nous annoncer benoîtement “jusqu’à cinq morts par jour”. Aucune précision n’a été fournie sur le mode de calcul, c’est très dommage. Nous sommes assez développés pour prévoir l’amplitude de la catastrophe mais pas assez pour l’éviter. Ce n’est malheureusement pas la seule limite de cet article visionnaire, puisqu’il ne répond pas à la question cruciale : pendant combien de temps ? En l’absence de cette précision cruciale, est-il possible d’envisager que cette hécatombe quotidienne dure jusqu’à la fin des âges ? C’est une perspective effrayante, convenez-en. En poursuivant ses recherches sur ce fameux tramway, Zakaria Boualem a découvert que treize personnes ont été arrêtées à Rabat pour avoir attaqué le tramway à coups de pierres, un peu comme on attaquerait une diligence dans les westerns de notre enfance. Encore une fois, l’article ne précise pas l’objectif exact de l’opération (simple tir d’essai ? détroussage des passagers ?) ni le lieu précis de l’embuscade (un canyon, hein, pourquoi pas ?). Bon, la somme des informations précédentes permet d’avancer la proposition suivante : l’arrivée du tramway à Casablanca constitue un choc de civilisation, au sens physique du terme. Un choc qu’il convient d’anticiper, parce qu’il sera affreusement douloureux. Le nombre de victimes sera un indice de notre sous-développement. A en juger par les campagnes de communication qui se succèdent sur les ondes, il est profond, ce sous-développement. Extrait d’un spot officiel :

 

“Pourquoi faut-il faire attention près de la plateforme du tramway ?

1. Le tramway peut changer de direction à tout moment

2. Le tramway est silencieux

3. Le tramway est invisible

(tictactictactictac du genre suspense et réflexion) c’est la réponse 2 !”

 

Vous ne trouvez pas que la proposition 3 est un peu vexante, binatna ? Si un étranger écoute nos radios, il est bien possible qu’il ricane : “Héhéhé, ils leur font des spots pour leur expliquer que le tramway n’est pas invisible, krkrkrk…” On a signalé à Zakaria Boualem un autre spot où il était question d’un tramway volant mais il n’a pas pu le retrouver, et puis ça suffit comme ça, on s’est assez couvert de ridicule. Encore une fois, il est très possible que Zakaria Boualem se trompe, que nous soyons réellement débiles au point qu’il faille nous expliquer que le tramway ne vole pas. Peut-être même que ces campagnes ont été précédées d’une étude qui fait ressurgir qu’une partie non négligeable des gens pensent qu’il vole, et qu’il faut donc leur expliquer que ce n’est pas le cas. Ce serait terrible, mais possible. Il n’y a que les constitutions que nous comprenons parfaitement, le reste nous fait souffrir – changement d’horaire inclus. Donc la nouvelle question est : comment faire pour éviter le désastre annoncé ? Inventer un klaxon surpuissant braillant balak balak en continu ? Des passages à niveau ? Insuffisant… Enfermer le tramway dans des bulles de verre pour qu’aucun humain ne puisse avoir accès à ses rails ? Pourquoi pas, mais il faudrait éviter le verre, trop fragile. Du béton armé, oui, il faut du béton armé. Et enterrer le tout ou le surélever, voilà, ça serait sécurisé. Ah, mais ça devient un métro, et la fameuse troisième dimension ressurgit. Bon, Zakaria Boualem est à court d’idées, mais il a peur, vraiment.