“Je n’aime pas le voile”

 

Smyet bak ?

Abdelwafi Boulane.

 

Smyet mok ?

Ghita Bent Othmane.

 

Nimirou d’la carte ?

Je ne le connais pas par cœur. J’ai obtenu ma carte nationale après de multiples embûches administratives. Je ne comprends d’ailleurs pas pourquoi ce document s’appelle “carte nationale” et non pas “carte d’identité” comme partout ailleurs. Nous sommes tous des “nationaux” aimant le Maroc. Tiens, pour le coup, je préfère vous donner mon numéro de passeport irlandais : CP 32 97 12.

 

Vous avez mis 10 ans pour accoucher du Retour du fils, qui est en grande partie autobiographique. C’est plus dur de parler de soi ?

J’écris dans la douleur, particulièrement pour ce film. Je n’ai pas de nègre, je ponds mes scénarios moi-même. Je fais beaucoup de fautes d’orthographe, mais ce n’est pas grave car on ne les voit pas à l’écran.

 

Votre premier film, Ali Rabia et les autres, est aussi le meilleur. On a le sentiment que vous le traînez comme un boulet aujourd’hui, incapable de faire aussi bien.

Je ne veux pas que l’on me considère comme le réalisateur d’un seul film ! Ali Rabia et les autres avait une grâce, mais je ne peux pas raconter à chaque fois la même histoire. Je ne suis pas le seul à être dans ce cas d’ailleurs. Le premier film de Jean-Luc Godard, comme pour beaucoup d’autres cinéastes, a aussi été son œuvre la plus marquante. Mais il a aussi refusé de se répéter.

 

Vous vous comparez à Godard et vous vous autocitez dans Le retour du fils. Ça va toujours aussi bien au niveau de l’ego à ce que l’on voit…

Oui, je suis égocentrique. Si on ne l’est pas, c’est que l’on n’est pas artiste. On veut être aimé, attirer l’attention comme des enfants qui sautent partout pour qu’on les remarque. Il y a sans doute, là, un truc dans ma personnalité que pourraient analyser les psychologues. Mais ne comptez pas sur moi pour le faire à leur place, ce n’est pas mon métier.

 

Vous avez déclaré “je flirte avec le public intelligent en lui transmettant des messages intelligents”. Excusez-nous de revenir à l’assaut, mais ça sent la prétention.

Non. Je fais des films intelligents, pas des comédies stupides. Je m’adresse au grand public sans prendre les gens pour des cons.

 

Vous faites toujours tourner Younes Megri dans vos films. On va finir par jaser…

C’est mon ami depuis 1975. Je lui ai donné son premier grand rôle après l’avoir convaincu gentiment de se lancer dans le cinéma au début des années 1990. Pour tous mes rôles principaux, on voit le héros jeune, puis on le voit dans la force de l’âge. Younes Megri a cette capacité physique d’interpréter un personnage à différentes étapes de sa vie.

 

Le cinéma nourrit-il son homme ?

Le cinéma marocain, certainement pas. Ni hier, ni aujourd’hui. J’ai longtemps gagné ma vie grâce aux productions étrangères pour lesquelles je m’occupais du casting marocain. J’ai toujours eu un don pour repérer les talents. Je suis le premier à avoir donné un rôle important à Fehd Benchemsi, qui éclate aujourd’hui.

 

Votre métier d’assistant-réalisateur et d’acteur sur des productions étrangères vous a permis de rencontrer des stars internationales. Allez-y, c’est la minute name-dropping.

J’ai bien connu Dennis Hopper, Giuliano Gemma, Dustin Hoffman à qui je faisais des gags sur le tournage d’Ishtar. J’ai aussi servi de chauffeur à John Hurt qui venait chaque week-end manger les petits plats de ma mère à Salé. À la fin, jugeant que je conduisais mal, c’est lui qui prenait le volant et faisait le chauffeur.

 

Vous êtes toujours aussi fâché contre l’école publique?

L’Éducation nationale m’a fait beaucoup de mal en m’empêchant de faire des études. J’ai été renvoyé à 12 ans car j’avais du caractère, j’étais toujours le premier à jeter le pavé dans la mare. Je suis aussi révolté par les écoles publiques que l’on détruit pour en faire des clubs de sport. Où vont étudier les enfants qui vivent dans ces quartiers et dont les parents n’ont pas les moyens de les inscrire dans une école privée ?

 

Pensez-vous comme certains artistes que l’arrivée du PJD au pouvoir risque de réduire votre liberté de création ?

Non. J’ai rencontré le ministre de la Communication, Mustapha El Khalfi, c’est un homme charmant qui ne m’a pas donné le sentiment de vouloir censurer quoi que ce soit. Et de toutes les manières, j’ai usé de ma liberté de créer du temps de Hassan II et de Driss Basri. Ce n’est donc pas aujourd’hui que je vais m’empêcher de traiter les sujets qui m’inspirent : la religion, la justice corrompue, etc.

 

Vous leur reprochez quoi aux filles voilées ?

Je n’aime pas le voile. Dieu a créé les femmes avec des cheveux qui les rendent encore plus belles. Pourquoi les cacher ? Du temps de ma mère, le voile n’existait pas, c’est une importation du Moyen-Orient. Qu’est-ce que j’en ai à foutre du Moyen-Orient ? C’est loin de chez moi et de notre culture. C’est pourquoi je ne reconnais pas le Maroc dans ce bout de tissu posé sur la tête des filles.

 

Mais vous admettrez tout de même que porter le voile est aussi une liberté individuelle ?

Quand tout le monde est habillé pareil, on ne peut plus parler de liberté individuelle mais de dictature de la majorité.

 

Un mot sur le Printemps arabe ?

Je n’aime pas cette expression de “Printemps arabe.” Le printemps n’est pas arabe, mais maghrébin. Les Occidentaux nous ont collé cette expression dans les pattes alors que le Maghreb, même s’il est aussi arabophone, est avant tout berbère. Les Arabes, eux, sont encore coincés avec Bachar Al Assad.

 

Pourquoi n’êtes-vous pas sorti manifester avec le M20 ?

Je soutiens les jeunes du 20 février qui sortent protester, mais je n’avais pas envie de défiler avec les milliardaires qui marchaient au début avec le mouvement. Et puis, ma révolution à moi, je l’ai déjà faite dans les années 1970.

 

Qu’est-il arrivé à vos oreilles sur le tournage des Anges de Satan ?

J’ai perdu 35% d’audition en préparant le film. J’ai écouté pendant un an des concerts de métal à côté d’enceintes assourdissantes.

 

Antécédents :

 

  • 1955. Voit le jour à Salé
  • 1985. Rencontre sa première femme
  • 1990. Rencontre la mère irlandaise de ses deux fils
2000. Sort son 1er long-métrage Ali Rabia et les autres

2007. Sort son 2ème long-métrage Les anges de Satan

Avril 2012.Sort Le retour du fils, son dernier opus

 

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