Taxer notre indépendance

Par Yassine Majdi

Une gifle diplomatique. C’est ainsi que l’on pourrait qualifier le document publié par la Commission européenne ce 13 mars, instaurant des taxes “anti-subventions” allant jusqu’à 31,4% sur les jantes en aluminium fabriquées au Maroc et exportées en Europe. La raison officielle de cette sanction ? Rétablir une concurrence loyale. La raison officieuse ? Punir le Maroc, qui ose s’industrialiser avec un autre partenaire que l’Europe : la Chine.

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L’hypocrisie est flagrante. Dans les rencontres diplomatiques, notre pays est qualifié de “partenaire stratégique” et de “pilier de stabilité”. Les éloges fusent particulièrement lorsqu’il s’agit de demander au Maroc de surveiller les frontières ou de plaider pour une coopération étroite dans la lutte antiterroriste. Mais il suffit qu’un industriel européen anonyme se plaigne pour que le royaume soit soudainement jugé coupable de concurrence déloyale.

Le délit ? Avoir mis en place des outils pour attirer les investissements industriels étrangers. Outils que tous les pays industrialisés, et notamment européens, utilisent par ailleurs : terrains aménagés, aides au financement, exonérations fiscales… Curieusement, lorsque ces mêmes avantages sont accordés aux champions industriels européens que sont Renault ou Stellantis, ils sont célébrés comme des symboles de coopération entre les deux rives de la Méditerranée. Par contre, accordées au Chinois Dicastal, ces avantages se transforment en subventions méritant sanction. Un évident deux poids deux mesures.

Le document de 105 pages élaboré par l’Exécutif européen contient un argumentaire bancal, reposant sur son lot d’extrapolations et de procès d’intentions. En témoigne, à titre d’exemple, le traitement réservé à AIB, banque filiale de Attijariwafa bank (AWB). Les taux d’intérêt que l’établissement bancaire accorde à certaines entreprises sont transformés en subventions publiques par le biais d’une gymnastique intellectuelle douteuse et tarabiscotée : puisque la maison-mère (AWB) a pour actionnaire le fonds Al Mada, la holding royale, AIB “agit sur instruction ou sur ordre et, à ce titre, fournit un financement au secteur automobile encouragé sans s’embarrasser de considérations commerciales”. Conséquence : une taxation supplémentaire.

S’il y avait encore un doute sur les intentions européennes, l’économiste et essayiste Jacques Attali s’est chargé de le lever. Invité à intervenir lors d’une conférence organisée par PWC à Casablanca cette semaine, l’homme d’influence français (qui murmurerait à l’oreille du président Macron) s’est permis de lâcher devant un parterre de patrons médusés : “L’hostilité de l’Europe à une présence chinoise au Maroc est une attitude durable et il faut s’y préparer”. Et de rajouter, pour ceux qui n’auraient pas tout compris : “On ne vous laissera pas être le Cheval de Troie de l’industrie chinoise. C’est une chance pour vous qu’on ne vous laisse pas faire.

Le doute n’est plus permis : l’Europe punit le royaume pour sa stratégie de développement industriel multi-partenaires. Et quand les entrepreneurs marocains évoquent le développement d’une industrie de batteries automobiles avec la Chine, Attali leur répond : “Faites-le vous-mêmes, seuls, ou avec les Européens !” Un non-sens au moment où North Volt, l’entreprise porteuse des espoirs européens dans ce secteur, vient de faire faillite après avoir englouti environ 15 milliards d’euros sans résultat. Et où les entreprises européennes multiplient les accords avec les entreprises chinoises leaders pour bénéficier de leur expertise dans le domaine.

“Cette décision va au-delà du secteur des jantes en aluminium, elle cible les fondements de la stratégie de développement industriel du Maroc”

Yassine Majdi

Les choses sont claires : les sanctions annoncées par l’UE sont une décision politique visant à contenir toute tentative chinoise de s’installer aux portes du Vieux continent. Notre pays n’est qu’un dommage collatéral de ce conflit entre puissances. Cette décision va au-delà du secteur des jantes en aluminium, elle cible les fondements de la stratégie de développement industriel du Maroc. Elle fait suite à l’attaque en règle menée par l’Union européenne contre Casablanca Finance City, attaque qui a contraint le Maroc à se plier aux injonctions européennes. Elle témoigne d’une certaine fragilité du partenariat traditionnel du Maroc avec les 27 et pose deux questions cruciales : jusqu’à quel point l’UE est-elle prête à compromettre ses “partenaires stratégiques” pour contenir la Chine ? Et, surtout, que va faire le Maroc pour défendre sa stratégie de développement ?

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