Les Rbatis et les Casablancais devront s’y habituer. Plus de 2600 caméras intelligentes scruteront bientôt leurs faits et gestes. À l’approche de la CAN 2025 – et du Mondial 2030 -, le Maroc a pris un virage techno-sécuritaire en décidant de déployer massivement des systèmes de vidéosurveillance équipés de la reconnaissance faciale. Si l’argument sécuritaire semble imparable, la question de la transparence et de l’utilisation des données doit impérativement être posée.
Notre pays a fait ses classes en matière de surveillance technologique. Le tournant ? L’attribution du marché de la vidéosurveillance à Casablanca en 2021. L’État a écarté les candidatures de deux entreprises françaises (Thales et Bouygues), non pas en raison de tensions diplomatiques avec Paris (qui prévalaient à l’époque), mais par souci de souveraineté. La préoccupation était légitime : éviter que les données sensibles relatives aux Marocains et au Maroc n’atterrissent sur un bureau à Paris, Madrid ou Washington.
Cette décision est un réflexe sain qui s’inscrit dans une tendance mondiale. Au sein des grandes puissances, les marchés de la sécurité – la gestion d’infrastructures sensibles – restent entre des mains nationales. Thales ne déploie pas ses solutions aux Etats–Unis. Indra ne s’aventure pas au Royaume-Uni. En choisissant des entreprises marocaines pour développer ces infrastructures sensibles, le Maroc ne fait donc qu’appliquer un standard international. La récente attribution du marché casablancais au groupement mené par Cires Technologies en est l’illustration. Ces acteurs nationaux ont développé des solutions comme le middleware, garantissant flexibilité et maîtrise technologique.
Si l’État a pris la mesure de l’enjeu, il semble néanmoins réticent à laisser le citoyen faire de même. La transparence fait cruellement défaut. On sait qui fait quoi, certes, mais quid de l’utilisation concrète des données captées par ces caméras ? Combien de temps seront-elles conservées ? Dans quelles conditions ? Autant de questions qui méritent des réponses claires.
Surtout que ces dispositifs peuvent servir l’intérêt des Marocains. Les caméras, et l’IA qui les anime, peuvent identifier des zones où les citoyens sont particulièrement exposés à des risques d’agression et ainsi renforcer la présence policière dans les quartiers sensibles. Avec l’aide de l’IA, ces outils de surveillance peuvent également générer des cartographies précises du trafic urbain, afin d’aiguiller les décideurs pour mettre en place des aménagements routiers pertinents. Les potentialités sont multiples et dépassent largement le cadre répressif.
Il est temps d’inclure les citoyens dans cette démarche. Si les autorités ne souhaitent pas les consulter directement, elles pourraient au moins faire preuve d’une transparence minimale concernant le traitement de données potentiellement sensibles pour chacun. Nos concitoyens peuvent parfaitement comprendre la nécessité d’un renforcement sécuritaire, surtout à l’approche d’événements majeurs. Mais ils ont le droit de savoir ce qu’ils sacrifient en contrepartie. La surveillance numérique est un choix pertinent, mais elle ne doit pas se construire au détriment de nos vies privées.