Trump, l’empereur fou

Par Abdellah Tourabi

L’histoire des États et des dynasties n’est pas seulement l’œuvre de grandes personnalités, bâtisseurs d’empires et faiseurs de guerres et de paix, mais elle est également ponctuée par des épisodes de démence et de délire, où des souverains fous prennent le pouvoir et l’exercent. Ils sont annonciateurs de catastrophes, et leur règne se termine souvent dans le sang et le drame.

L’Empire romain a connu quelques spécimens de ces empereurs fous. Il y a d’abord Caligula, qui nomma son cheval préféré consul, se proclama dieu vivant et ordonna des exécutions massives, sans procès ni raison valable, avant d’être assassiné à son tour. Le plus connu dans cette série est Néron, qui a tué sa propre mère, Agrippine, et persécuta les chrétiens. Son délire de grandeur et de folie lui aurait fait imaginer qu’il était un grand musicien et poète, et au moment où il se donna la mort, il aurait répété : “Quel grand artiste périt avec moi !”.

L’histoire arabo-musulmane a connu également quelques exemples de rois déments et excessifs. On peut citer Al-Hakim bi-Amr Allah, calife fatimide du XIe siècle, qui a interdit aux femmes de sortir dans les rues ou de porter des chaussures, ordonna de tuer tous les chiens du pays, bannit certains plats et se baladait la nuit sur un âne avant de disparaître dans des conditions mystérieuses.

Le président américain Donald Trump fait probablement partie de cette catégorie de dirigeants dont les excès, l’hubris et le sentiment de disposer d’un pouvoir absolu, sans contradiction, peuvent faire basculer son propre pays et le monde dans l’inconnu. À peine quelques semaines après son investiture, nous sommes tous submergés par un tsunami de décisions et de déclarations de “l’empereur fou” américain. Il y a évidemment des aspects qui ne concernent que son propre pays et il appartient aux Américains de les approuver ou d’y réagir. La démocratie en Amérique, ce modèle de liberté, d’égalité et d’équilibre des pouvoirs décrit par Tocqueville, semble glisser progressivement vers un autoritarisme conservateur et technophile.

“Trump propose de déplacer les Gazaouis en dehors de leur territoire et d’en confier “le syndic” aux autorités américaines. Ses déclarations sont absurdes mais doivent être prises au sérieux, car il est à la tête des États-Unis : ses paroles sont performatives”

Abdellah Tourabi

Mais certaines de ses déclarations ou décisions impliquent d’autres pays ou compromettent le sort de la planète entière. Les provocations de Trump envers le Canada et le Danemark, le retrait de l’Accord de Paris et le retour triomphal des énergies fossiles, les menaces économiques et commerciales envers la Chine et l’Union européenne sont le prélude d’une ère sombre qui menace un équilibre mondial déjà fragile. Les déclarations de Donald Trump sur Gaza sont de loin les plus dangereuses et inquiétantes. Après quinze mois de guerre, des dizaines de milliers de morts et de blessés, une destruction totale d’une bande étroite où survivent plus de deux millions de Palestiniens, Trump a proposé de les déplacer en dehors de leur territoire et d’en confier “le syndic” aux autorités américaines.

Trump veut régler un conflit chargé de dimensions historiques, religieuses et humaines avec la logique du promoteur immobilier qui pense réaliser une plus-value en transformant des maisons anciennes en villas et compounds, au détriment de leurs propriétaires, poussés vers des périphéries inconnues. Ses déclarations sont absurdes et farfelues, mais elles doivent être prises au sérieux, car il est à la tête de l’empire américain : ses paroles sont performatives et peuvent devenir réalité.

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Il dispose de leviers diplomatiques et militaires sur plusieurs États arabes pour faire aboutir une vision dangereuse et apocalyptique du destin de Gaza. Ces pays (notamment l’Égypte, la Jordanie et l’Arabie saoudite) sont conscients du coût élevé d’une telle vision si elle est mise en exécution. Leur position actuelle de refus et d’opposition au projet de Trump les honore, et il est également de notre devoir en tant que Marocains, État et opinion publique, d’affirmer un soutien solide et ferme aux Palestiniens de Gaza et à leurs droits historiques, en espérant qu’il s’agit juste d’une lubie traversant l’esprit de Trump, avec qui il faudra composer pendant quatre longues années.