[Tribune] L’intégration régionale, moteur de l’industrialisation de l’Afrique

Chaque année, le 20 novembre, le continent africain célèbre la Journée de l’industrialisation de l’Afrique (Africa Industrialisation Day). Une occasion unique de sensibiliser à l’importance de promouvoir un développement industriel inclusif et durable en Afrique.

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AFP

Le secteur industriel joue un rôle clé dans la transformation structurelle des économies. Il génère de la valeur ajoutée, stimule la productivité grâce à l’innovation technologique, crée des emplois, et contribue ainsi à la réduction de la pauvreté. Il renforce également la balance commerciale en augmentant les exportations et en réduisant la dépendance aux importations via une production locale compétitive.

Historiquement, l’industrialisation a été un moteur de développement économique, comme l’illustrent la Grande-Bretagne au 18e siècle ou les “Dragons asiatiques” et la Chine à la deuxième moitié du 20e siècle. Ces exemples démontrent que les pays dotés d’une base industrielle solide sont mieux préparés à générer croissance et prospérité, à tel point que les termes “développé” et “industrialisé” sont souvent employés indistinctement pour qualifier ces pays.

Cependant, l’industrialisation en Afrique reste embryonnaire. Les deux tiers de l’industrie manufacturière se concentrent dans seulement cinq pays (Algérie, Afrique du Sud, Égypte, Maroc et Nigéria), et la contribution du continent à la valeur ajoutée manufacturière mondiale ne dépasse pas 1,8 %, malgré une légère progression depuis 2000.

Par ailleurs, la part de l’industrie dans le PIB africain a chuté de 35 % en 1980 à 25 % aujourd’hui. Pourtant, dans un contexte de mutations technologiques rapides et de transformations des chaînes de valeur régionales, l’Afrique dispose d’une opportunité unique pour accélérer son industrialisation.

La promotion de la régionalisation industrielle pour une économie plus compétitive

Le développement des chaînes de valeur régionales (CVR) est essentiel dans un monde marqué par des tensions géopolitiques et une remise en question de la globalisation. Face à ces défis, l’Afrique peut se positionner comme une alternative stratégique. La relocalisation de productions depuis l’Asie, notamment par la Chine confrontée à une hausse des coûts salariaux, pourrait offrir au continent l’opportunité d’attirer une part des 85 millions d’emplois délocalisables.

L’histoire montre que les régions les mieux intégrées affichent une croissance plus soutenue et une résilience accrue face aux crises économiques mondiales. L’intégration régionale, l’une des priorités de l’Agenda 2063 de l’Union africaine, s’appuie sur les atouts compétitifs du continent : ses abondantes ressources naturelles et son dividende démographique.

Actuellement, les producteurs africains dépendent à 70 % d’autres régions pour leurs intrants industriels.

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Une meilleure coordination régionale permettrait de développer des CVR compétitives, d’exploiter les complémentarités économiques et d’accroître les économies d’échelle. À cet égard, l’expérience de l’ASEAN (Association des Nations d’Asie du Sud-Est) est instructive. Par exemple, des initiatives telles que les ASEAN Industrial Projects ou les ASEAN Industrial Joint-Ventures ont favorisé l’intégration économique en capitalisant sur les complémentarités régionales et les avantages comparatifs.

Pour l’Afrique, adopter une approche régionale renforcerait sa compétitivité tout en attirant des investissements plus stratégiques. La fragmentation des marchés nationaux africains limite souvent les opportunités économiques. En pensant “régional” et en agissant collectivement, les pays africains pourraient non seulement négocier de meilleurs contrats d’investissements, mais aussi tirer parti des dynamiques de consommation, telles que la croissance démographique et l’expansion des classes moyennes.

Le potentiel de l’industrie automobile : un catalyseur pour l’intégration régionale

L’industrie automobile illustre parfaitement les opportunités de co-production régionale. Des pays comme le Maroc, l’Afrique du Sud et l’Égypte accueillent déjà des constructeurs internationaux comme Daimler, Ford, Nissan, Renault, Stellantis ou Toyota. D’autres pays africains pourraient s’intégrer en tant que fournisseurs de rangs 2 et 3, profitant ainsi du transfert de technologies et de la création d’emplois.

Des exemples concrets existent : la Côte d’Ivoire, premier producteur africain d’hévéa, dispose d’un large potentiel de transformation locale de caoutchouc, nécessaire à la production des pneus, tandis que la Guinée, qui possède les plus importantes réserves mondiales de bauxite, pourrait fournir de l’aluminium pour des composants automobiles (moteur, jantes, transmissions, châssis, systèmes d’évacuation de la chaleur, etc.). Favoriser l’émergence de fournisseurs compétitifs et renforcer les infrastructures de connectivité sont des étapes cruciales pour exploiter pleinement ces chaînes de valeur.

L’expérience du Japon dans les années 1980, qui a dû délocaliser une partie de sa production automobile dans les pays de l’ASEAN pour préserver sa compétitivité, en constitue un exemple parfait. Les pays d’Asie orientale, tirant parti de leur faible coût de main-d’œuvre et des complémentarités existantes entre les différentes économies, se sont de plus en plus étroitement intégrés dans les réseaux d’approvisionnement des entreprises nipponnes opérant dans le secteur automobile.

En conclusion, l’intégration régionale et la coopération économique offrent à l’Afrique une chance historique d’accélérer son industrialisation. En misant sur ses atouts et en adoptant des stratégies coordonnées, le continent peut s’imposer comme un acteur clé de l’économie mondiale.

Hamza Alami est consultant en stratégie. Il est diplômé de la Faculté de gouvernance, sciences économiques et sociales (anciennement École de gouvernance et d’économie de Rabat), titulaire d’un master en Affaires et relations internationales de Sciences Po Aix-en-Provence et d’un Master of science en Géopolitique et géoéconomie de l’Afrique émergente de HEC Paris.