Réalisme, toujours

Par Yassine Majdi

En 2008, Peter van Walsum participe à une réunion à huis clos du Conseil de sécurité consacrée à l’évolution de la situation dans le Sahara. Envoyé personnel du secrétaire général de l’ONU pour le Sahara, le diplomate néerlandais choque l’audience lorsqu’il affirme que l’indépendance du Sahara n’est pas une option réaliste. Débarqué quelques mois plus tard, le Néerlandais laissera une forte impression auprès de la diplomatie marocaine, qui décide de faire sienne cette notion de réalisme et de l’appliquer pour défendre sa souveraineté sur ses provinces du Sud.

Le réalisme, le Maroc l’utilise afin de mieux concevoir son environnement géopolitique. Et cette vision, Mohammed VI l’a très bien définie dans son discours du 20 août 2022, rappelant une réalité trop longtemps ignorée par les chancelleries étrangères : “S’agissant de certains pays comptant parmi nos partenaires, traditionnels ou nouveaux, dont les positions sur l’affaire du Sahara sont ambiguës, Nous attendons qu’ils clarifient et revoient le fond de leur positionnement, d’une manière qui ne prête à aucune équivoque.” Le souverain a demandé des “clarifications” aux pays comptant parmi les partenaires traditionnels du royaume. Et il a fini par les obtenir. Sans craindre d’entrer dans des rapports de force que les plus pessimistes des observateurs qualifiaient alors de défavorables au Maroc. Mais ils se trompaient.

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Car le Maroc a fait preuve de réalisme, encore une fois, en s’appuyant sur ses forces pour revoir les partenariats qui lui étaient défavorables. Lorsque les Etats-Unis ont tenté d’ajouter une mission d’observation des droits de l’homme au mandat de la Minurso, le royaume a stoppé la coopération militaire entre les deux pays, mettant fin à cette ingérence dans ses affaires. Lorsque l’Allemagne a ouvertement critiqué la reconnaissance de la marocanité du Sahara par les Etats-Unis, le Maroc a su utiliser les leviers de la coopération énergétique pour pousser Berlin à consacrer la proposition marocaine d’autonomie. Quant à l’Espagne, elle a payé le prix de son soutien ouvert au Polisario en réalisant l’importance de son partenariat avec le royaume dans le domaine de la migration, mais aussi les potentialités qu’offrent de bons rapports avec son voisinage immédiat.

De l’extérieur, le réalisme dont fait preuve notre diplomatie passe parfois pour du cynisme. Mais il a fait ses preuves

Yassine Majdi

Le réalisme, le Maroc a su aussi en faire preuve au moment de nouer de nouveaux partenariats. Même si certains de ces partenariats peuvent faire mal aux convictions des plus “à gauche” d’entre nous. En Europe de l’Est, le groupe de Visegrád est connu pour sa farouche politique anti-migratoire – dont les réfugiés syriens ont notamment fait les frais –, mais il constitue un contrepoids sur lequel le Maroc peut compter en cas de “défaillance” de ses partenaires en Europe occidentale. Et, bien avant les bombardements israéliens sur Gaza, le Maroc avait entamé un rapprochement avec l’État hébreu dans le but d’obtenir la reconnaissance américaine de la marocanité du Sahara. La Russie est un autre exemple de partenariat contre-nature. Car malgré son franc soutien à Alger, Moscou reste un contrepoids idoine aux Etats-Unis et aux puissances occidentales sur la scène internationale.

Réaliste, le royaume l’est aussi quant à la place qu’il occupe dans le monde. Nos diplomates, mais aussi les chancelleries étrangères, sont conscients du rôle de puissance régionale émergente que joue désormais notre pays. Le Maroc, à la manœuvre pour accompagner le développement du Sahel, est en train de devenir un acteur incontournable dans le secteur de l’énergie au Sud du pays. Last but not least, le Maroc est l’un des rares îlots de stabilité dans sa région…

Le réalisme, notre pays en fait preuve pour profiter de la dynamique positive sur le Sahara. Au moment de reconstruire sa relation avec la France, la diplomatie marocaine disposait d’une assise diplomatique forte. Aujourd’hui, ce sont 110 pays – dont 17 au sein de l’Union européenne – qui soutiennent, à des degrés divers, le plan d’autonomie marocain. Et à l’ONU, ce sont désormais deux membres du Conseil de sécurité qui ont consacré la souveraineté du Maroc sur son Sahara.

De l’extérieur, le réalisme dont fait preuve notre diplomatie passe parfois pour du cynisme. Mais il a fait ses preuves. Jamais notre pays n’a été aussi proche de faire reconnaître son intégrité territoriale au niveau des instances internationales. 

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