Le Boualem, les démocraties et les khorotos

Par Réda Allali

La semaine dernière, un des dirigeants les plus importants de l’empire est venu sur une chaîne française expliquer qu’il était à la tête d’une sorte de front contre les barbares. Cet homme qui, par ailleurs, est menacé par la Cour internationale de justice, a martelé que les choses étaient simples, puisqu’il y avait d’un côté les démocraties et de l’autre, les khorotos. Un peu secoué par cette assertion audacieuse, et peiné de se trouver du mauvais côté de cette classification cruelle, le Boualem a mené quelques recherches. Il a poussé sa réflexion aux limites de ce que propose son cortex épuisé, et il est venu, sans plus de formalités, plein d’abnégation, vous rendre compte de ce travail.

“Les démocraties de l’empire ne sont démocratiques que chez elles, et avec les gens qui leur plaisent s’il vous plaît, et merci”

Réda Allali

La première conclusion, c’est que le chacal a raison, l’empire est plein de démocraties, tbarek allah, c’est incontestable. Mais le problème, c’est qu’elles ne sont démocratiques que chez elles, et avec les gens qui leur plaisent s’il vous plaît, et merci. Aller bombarder un pays lointain, par exemple, n’a jamais vraiment dérangé la grande démocratie américaine, c’est ce qu’elle fait à peu près en continu d’ailleurs.

D’autres démocraties européennes, au 19e siècle, avaient tenu un congrès très sérieux à Berlin pour savoir comment ils allaient se partager l’Afrique. Elles ont donc écrit noir sur blanc, avec un aplomb phénoménal, qu’une puissance européenne pouvait s’emparer des territoires qu’elle convoitait, à condition de commencer sa conquête par la mer, et de ne pas se trouver en confrontation avec une autre puissance européenne.

Leur souci était de protéger le droit de chacun – comprenez les Européens –, mais personne ne parlait des autochtones, ces khorotos. Oui, ils étaient capables, il n’y a pas si longtemps, d’écrire ce genre de choses noir sur blanc sans se rendre compte de l’ignominie de leur attitude, sans remarquer que c’était un peu comme si on autorisait le viol, à condition qu’ils soit commis avec un préservatif et accompagné d’un bisou.

Démocratie et droits de l’homme, donc, ne sont valables que pour eux. Voilà pourquoi le génocide nazi est une chose à part, unique, indépassable : il a décimé des Européens, il n’est donc pas dans la même catégorie que les massacres amérindiens, ou africains, voilà la grande différence. C’est le grand défaut du dirigeant de l’empire : il a beaucoup de mal, malgré toute sa culture, sa hauteur de vue, sa profusion de concepts et sa réflexion surpuissante, à considérer que le reste du monde mérite un peu de respect.

Il y a une scène grandiose, dans un livre consacré aux conquistadors espagnols, où Pizarro attribue des bouts de terre à ses soldats sous l’œil impavide des indiens qui le regardent découper leur village. Dans la foulée, il distribue aussi lesdits indiens, soudain réduits en esclavage sans rien comprendre à ce qui leur arrive. Le tout est consigné par un notaire, c’est important à préciser. La plume, les grands mots, le côté solennel et réfléchi de l’opération, exactement comme pour la conférence de Berlin, donnent un aspect légitime à un crime.

Voilà comment le monde fonctionne, les institutions internationales ne fonctionnent que pour valider les volontés de l’empire. On peut les solliciter pour punir quelques pays africains ou Poutine, par exemple, mais jamais pour s’attaquer à une démocratie. Autrement dit, et c’est très triste, rien n’a changé, la seule nouveauté étant que personne ne peut désormais faire comme s’il n’avait pas compris. C’est tout pour la semaine, et merci.