Stress hydrique : comment réinventer notre agriculture

Le Maroc est confronté à une longue sécheresse, un phénomène de plus en plus fréquent en raison du changement climatique. L’agriculture consommant la majeure partie des ressources en eau du pays, deux experts pointent l’urgence de réformer en profondeur le secteur.

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Le Maroc traverse l’une des pires sécheresses de son histoire. Or, malgré la sécheresse, les exportations de légumes frais ont atteint presque 1,6 milliard de dollars en 2023, un chiffre en hausse de 12% par rapport à l’année précédente. Mais toute médaille a son revers: en exportant ses légumes et fruits, le Maroc exporte également son eau, une ressource dont il manque cruellement.

Et la situation est alarmante. Les barrages, dont le taux de remplissage global ne dépasse pas 31,79%, ne parviennent plus à satisfaire les besoins croissants d’une agriculture vorace en eau. Les cultures d’exportation telles que les tomates, pastèques, fraises et oranges ne font qu’exacerber cette crise en drainant les réserves hydriques du pays (notamment les nappes phréatiques) à un rythme insoutenable.

Le gouvernement, conscient de la gravité de la situation, a tenté de réagir. Des mesures ont été prises, notamment la suspension des subventions destinées aux cultures les plus gourmandes en eau et la restriction de l’utilisation de l’eau potable dans les espaces publics.

Un manque d’eau structurel

Cependant, ces actions, quoique louables, sont timides et ponctuelles, alertent des experts, qui pointent l’urgence de réformer en profondeur l’agriculture et la gestion des ressources en eau. Parmi eux, Mohamed Taher Sraïri, professeur à l’Institut agronomique et vétérinaire Hassan II, à Rabat.

“Le débat sur l’eau au Maroc ne devrait pas se limiter à la notion de stress hydrique, mais plutôt s’orienter vers la reconnaissance d’un manque d’eau structurel, exacerbé par le changement climatique”, souligne Mohamed Taher Sraïri.

“Il est essentiel de revenir à l’agriculture pluviale et de sélectionner des variétés de cultures résilientes à la chaleur”

Mohamed Taher Sraïri, professeur à l’IAV Hassan II

Une distinction sémantique qui n’est pas anodine, insiste le chercheur, et qui implique une approche plus globale et intégrée des solutions à envisager. Puisque le manque d’eau au Maroc est structurel, il faut refonder notre agriculture. “Il est essentiel de revenir à l’agriculture pluviale et de sélectionner des variétés de cultures résilientes à la chaleur”, explique le Pr Sraïri.

Des ajustements qui sont cruciaux pour atténuer les impacts du changement climatique sur l’agriculture. Surtout, en raison de la diversité géographique du Maroc, Sraïri prône des solutions spécifiques à chaque territoire. “La beauté de notre pays réside dans sa diversité. Les solutions pour les oasis ne seront pas les mêmes que pour les régions du nord ou d’Agadir. Il est impératif d’adapter nos stratégies agricoles à chaque contexte territorial”, détaille-t-il.

Il souligne également l’importance cruciale de la recherche, mais aussi de la sensibilisation : “L’agriculture consommant jusqu’à 90% des ressources en eau du pays, il est urgent de développer des stratégies basées sur la recherche et l’éducation pour faire face aux risques de pénuries”.

Attention aux bovins

L’élevage de bovins est particulièrement gourmand en eau. Le chercheur propose donc de réorienter l’élevage vers des animaux moins exigeants en ressources, comme les chèvres

Mohamed Taher Sraïri ajoute que la sécheresse persistante au Maroc n’épargne pas le secteur de l’élevage : “Traditionnellement, le Maroc est un pays d’ovins, mais qui, depuis quelques années, importe des bovins”. Or, l’élevage de bovins est particulièrement gourmand en eau. Le chercheur propose donc de réorienter l’élevage vers des animaux moins exigeants en ressources, comme les chèvres. Ces dernières, adaptées aux conditions arides, remplacent avantageusement les bovins, permettant une utilisation plus rationnelle de l’eau tout en maintenant une production animale robuste qui répond aux besoins du marché national.

Enfin, le professeur pointe la problématique de l’exportation de l’eau sous forme de produits agricoles : “Devons-nous continuer à exporter de l’eau, alors même que nos besoins internes ne sont pas satisfaits ?

Si nous continuons à exporter des produits très consommateurs d’eau, nous exportons littéralement notre eau”

Abdeslam Boudhar, Université du Sultan Moulay Slimane,

Une question que pose également Abdeslam Boudhar, enseignant chercheur à l’Université du Sultan Moulay Slimane, à Beni Mellal. Ce dernier estime qu’il faut réévaluer les échanges commerciaux à travers le prisme de “l’eau virtuelle”. Pour cela, explique-t-il, il faut prendre en compte les quantités d’eau engagées dans la production des biens exportés: “Si nous continuons à exporter des produits très consommateurs d’eau, nous exportons littéralement notre eau”.

La solution ? Le Pr Boudhar préconise de prioriser l’exportation de produits qui consomment peu d’eau et d’importer ceux qui en requièrent des quantités importantes, ajustant ainsi la balance commerciale de l’eau.

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Promouvoir une agriculture de conservation

L’expert met également l’accent sur la nécessité de moderniser en profondeur les systèmes d’irrigation au Maroc en généralisant l’utilisation de techniques économes comme le goutte-à-goutte et l’aspersion ainsi qu’en intégrant des technologies avancées comme les capteurs d’humidité du sol et les systèmes d’irrigation automatisés. “Ces technologies permettent de réaliser des économies d’eau substantielles et d’appliquer l’eau de manière plus précise et opportune, ce qui est crucial dans un contexte de rareté de l’eau”, explique Abdeslam Boudhar.

En outre, le chercheur recommande vivement la réutilisation des eaux usées traitées pour l’irrigation et la mise en œuvre de systèmes de collecte et de stockage de l’eau de pluie. Ces méthodes, dit-il, “peuvent considérablement augmenter les ressources en eau disponibles pour l’agriculture tout en préservant nos ressources naturelles pour les générations futures”.

Boudhar Abdeslam insiste également sur l’importance de promouvoir l’agriculture de conservation, un ensemble de techniques qui impliquent une perturbation minimale du sol, et qui reposent sur des pratiques comme le non-labour, la couverture végétale et les cultures intercalaires. Ces techniques améliorent non seulement la rétention d’eau dans le sol et réduisent l’érosion mais soutiennent également la production de cultures essentielles pour la consommation locale, comme le blé.

“Il est crucial de privilégier les cultures qui font partie intégrante de notre régime alimentaire, tout en optimisant l’utilisation des engrais pour minimiser leur lessivage et la contamination des nappes phréatiques”, conclut l’expert.

Le temps des demi-mesures est donc révolu. Pour sauvegarder les ressources en eau du Maroc, il est crucial d’adopter rapidement des pratiques agricoles adaptées à la sécheresse et de revoir les politiques d’exportation.

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