C’est un Projet de Loi de Finances un peu convenu que l’on nous propose cette année. Les hausses de TVA sur le petit électroménager et les smartphones ne sont qu’une manière de braconner sur le pouvoir d’achat de la classe moyenne, qui n’obtiendra pas un centime de baisse de son impôt sur le revenu. Le gouvernement est d’autant plus enclin à trouver des gisements de recettes fiscales que les baisses généreuses de l’IS accordées aux entreprises l’année dernière ont sensiblement érodé les rentrées de cet impôt. Le pari du gouvernement était d’élargir la base d’imposition. Ce n’est pas ce qui s’est passé : les mêmes ont payé, mais moins.
Si la pression sur les ressources fiscales est aussi intense, c’est que notre pays s’est lancé dans une série de projets au financement lourd : l’AMO pour tous, les aides directes aux plus vulnérables, le soutien aux populations d’Al Haouz, et bientôt la CAN 2025 et la Coupe du Monde 2030, sans parler des programmes liés à l’optimisation de l’eau, de la transition vers les énergies propres, des investissements associés au grand projet royal de créer un hinterland africain à partir de la façade atlantique, etc.
Outre les problématiques de financement des projets, c’est la capacité de nos dirigeants à les faire aboutir qui fait tâche
Il semble que chaque jour qui passe apporte son lot de nouveaux projets. L’effervescence est intéressante et, au fond, il vaut mieux cela que le contraire. Seulement, outre les problématiques de financement des projets, c’est la capacité de nos dirigeants à les faire aboutir qui fait tâche. Car c’est cela qui fait défaut à notre pays.
Précisément ce que les Anglo-saxons appellent “to deliver” (livrer) : se saisir d’un projet et le mener avec succès de bout en bout. Dans ce registre, les réussites sont rares. Souvent, elles sont consécutives à une pression soutenue du Palais. Gageons que l’Etat social qui se construit cahin-caha se serait perdu dans les méandres de la procédurite aiguë ou aurait péri, victime de guerres d’égos, s’il ne bénéficiait du suivi royal.
Le Maroc souffre d’une pénurie de personnalités ministérielles fortes, fonceuses, ne reculant devant aucun obstacle pour obtenir des résultats tangibles. Hélas, nombre de chantiers en cours patinent. Le basculement vers un mix énergétique propre, avec ce que cela comporte comme bienfaits sur la compétitivité industrielle du pays, s’opère à une cadence de tortue, sans lead apparent. Il faut dire que même le dispositif d’aides directes aux populations précaires a pris huit ans à voir le jour.
Il en va de même pour le Fonds Mohammed VI. Annoncé en plein Covid, ce véhicule de financement, censé apporter de l’oxygène aux PME, fait du sur place. L’argent est levé, mais pas de trace des premières prises de participations. Autre interrogation : quand aurons-nous une vraie agence de gestion des participations de l’Etat opérationnelle et efficiente ? Tout se passe comme si une matière molle, un blob géant, s’interposait entre l’idée, souvent brillante, et sa traduction sur le terrain.
Ce déficit d’exécution nous coûte des années de développement. Il fut un temps où le Maroc battait au rythme de réformateurs nés, déterminés à transformer le réel. Songeons au gouvernement Abdellah Ibrahim (1958-1960), sous lequel, en deux ans seulement, on créa la CNSS, le dirham, la banque centrale, la CDG, la SAMIR, etc. Remontons aussi aux gouvernements Youssoufi et Jettou dont le travail soutenu et sincère parvenait à impacter la vie des gens. A leur place, on retrouve désormais des technocrates coincés dans leur tour d’ivoire, entretenant un rapport distant avec le bien commun.
Assimilé aux polycrises et à la fièvre inflationniste, le gouvernement Akhannouch paye à juste titre son inertie par une impopularité record. Et pourtant, les Marocains ne sont pas nihilistes. Ils savent reconnaître et célébrer ceux de leurs dirigeants qui mouillent le maillot. C’est de ceux-là que le pays a besoin. Des ultra-compétents qui puisent dans leurs ressources intérieures pour arracher des victoires, pour “livrer” sans blabla et sans débauche de communication. Ce que, hélas, ne font pas Aziz Akhannouch et son équipe actuelle, dont l’activisme ne se reflète pas (encore?) sur le quotidien de la population. Léon Gambetta disait que la politique était l’art du possible. Ce gouvernement semble plaider l’exact contraire…