[Tribune] Éducation : quel bilan à mi-parcours de la mise en œuvre de la vision stratégique 2015-2030 ?

Le Maroc s’est doté en 2015 d’une vision stratégique de l’éducation qui trace les orientations du système éducatif à l’horizon 2030. Transformée en loi-cadre, elle se retrouve renforcée par un arsenal juridique susceptible de lui assurer la légitimité nécessaire auprès des décideurs politiques et des acteurs éducatifs et autres parties prenantes. À mi-parcours de l’échéance finale, la question du bilan se pose avec acuité.

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Rentrée scolaire 2020. Crédit: Yassine Toumi/Telquel

Bien que mesurer le niveau actuel du développement de l’éducation au Maroc reste une tâche ardue, il n’en demeure pas moins qu’elle est devenue plus aisée avec l’adoption en 2018 par le Conseil Supérieur de l’éducation, de la formation et de la recherche scientifique (CSEFRS) du cadre de performance du suivi de la Vision stratégique.

Abdennasser Naji, expert en éducation, président de l’Association marocaine pour l’amélioration de la qualité de l’enseignement (AMAQUEN).Crédit: DR

Élaboré par l’Instance nationale d’évaluation (INE), cet outil hautement stratégique permet de définir, par le biais d’indicateurs précis, l’écart qui reste à combler entre la situation actuelle du système éducatif et la situation projetée par la vision stratégique à l’horizon 2030.

Ces indicateurs, au nombre de 127, permettent de prendre en compte tous les leviers stratégiques de la vision, pour in fine concourir ensemble à mesurer l’Indice national de développement de l’éducation (INDÉ), qui permet de matérialiser avec un chiffre concret le niveau atteint par le système éducatif national.

Faible progression

En se basant sur cet outil précieux qu’est le cadre de performance, nous avons essayé de dresser le bilan de notre système éducatif à mi-parcours de l’horizon 2030, afin de mesurer le progrès réalisé entre 2015 et 2021 d’une part, et d’estimer les efforts qui restent à fournir si nous voulons atteindre les objectifs fixés par la vision stratégique 2015-2030.

Pour ce faire, nous avons puisé dans les sources officielles les données les plus récentes afin que l’image que nous dressons reflète aussi fidèlement que possible la situation réelle de notre système d’éducation, de formation et de recherche scientifique.

Les résultats auxquels aboutit le travail accompli dans cette perspective ne sont pas réjouissants, bien au contraire. Même le taux de progression de l’Indice national de développement de l’éducation enregistré au titre de la période 2015-2018, pourtant insuffisant puisqu’il ne dépassait pas 2,3 points, s’est vu baissé à 0,6 point seulement, faisant passer ainsi l’INDÉ de 53,5 % à 54,1 %.

Cette allure de progression est trop faible pour assurer la réalisation des objectifs fixés par la vision dans les huit ans qui nous séparent de l’échéance de 2030. Ce ne sera même pas suffisant pour achever 56 % des ambitions affichées par l’actuelle réforme, alors que la pleine concrétisation de la Vision nécessiterait un taux de progression annuelle de plus de 5 points, presque le double de la performance réalisée en six ans. Pari difficile à réaliser certes, mais pas impossible si les décideurs arrivent à capitaliser sur les acquis et à corriger les dysfonctionnements que ce bilan de mi-parcours a permis de révéler au grand jour.

Qualité relative

Parmi les trois piliers de la vision stratégique, c’est l’“équité” qui enregistre la meilleure performance, que ce soit en valeur relative ou en taux de progression. Les deux autres piliers, à savoir la “qualité” et la “promotion de l’individu et de la société”, restent vraiment à la traîne et empêchent doublement l’indice global de prendre l’élan nécessaire. Ainsi, non seulement ces deux piliers n’arrivent pas à atteindre la moitié du score escompté, mais en plus ils ont régressé de 0,8 point et 0,7 point respectivement.

À ce titre, l’indice de la qualité de l’éducation a chuté de 48,7 % en 2018 à 47,9 % en 2021 à cause surtout des retards enregistrés au niveau des dimensions relatives aux acquis scolaires, au cadre de scolarisation, au rendement interne, et à l’intégration des technologies numériques dans les écoles. Toutes ces dimensions demeurent dans une fourchette de performance entre 35 % et 44 %, bien en deçà de la moyenne, ce qui handicape considérablement l’Indice national de développement de l’éducation.

De plus, l’encadrement pédagogique qui frôlait la moyenne en 2018 a chuté à presque 37 %, ce qui a contribué à faire baisser davantage la performance enregistrée par l’indice de la qualité. L’amélioration de celui-ci reste surtout tributaire de la façon d’agir sur trois indicateurs cruciaux. Primo, l’augmentation substantielle de la proportion d’élèves ayant au moins le seuil minimal de compétence dans les différents cycles d’enseignement ; secundo, l’amélioration soutenue du score moyen de nos élèves dans les évaluations internationales TIMSS et PIRLS ; et tertio, l’augmentation notable du taux d’achèvement sans redoublement du primaire, du secondaire collégial et du secondaire qualifiant.

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L’indice de la promotion de l’individu et de la société a, quant à lui, chuté de 49,6 % en 2018 à 48,9 % en 2021 à cause surtout des retards enregistrés au niveau des dimensions relatives au degré d’implication des acteurs éducatifs en faveur de la réussite des élèves, aux compétences en technologies de l’information et de la communication, à l’éducation tout au long de la vie, et à la promotion de la société du savoir. Toutes ces dimensions demeurent dans une fourchette de performance entre 10 % et 47 %, très en deçà de la moyenne, ce qui handicape lourdement l’Indice promotion de l’individu et de la société.

L’amélioration de celui-ci reste surtout tributaire de la façon d’agir sur trois indicateurs cruciaux. Primo, l’augmentation substantielle du nombre de publications par million d’habitants ; secundo, l’amélioration soutenue du nombre de brevets de résidents par million d’habitants ; et tertio, l’augmentation notable du degré d’implication des acteurs éducatifs sur la réussite.

Heureusement, le pilier de l’équité et de l’égalité des chances donne des raisons d’espérer en enregistrant un score acceptable de 65,4 % en 2021, bien que son taux de progression triennal ait baissé de 1,3 point entre la période 2018-2021 et la période 2015-2018. Ce recul de performance est dû à l’augmentation inacceptable du taux de jeunes non scolarisés ayant 12 à 14 ans, et l’accessibilité non généralisée des établissements aux infrastructures de base.

Le préscolaire en hausse

À noter en revanche la progression remarquable du taux de préscolarisation qui a gagné plus de 25 points en trois ans, tout en espérant que cette évolution plus que souhaitable ne se fasse pas au détriment de la qualité du préscolaire dont dépend largement la qualité des autres cycles d’enseignement.

À la veille de la deuxième moitié de la période consacrée à la réforme du système éducatif basée sur la vision stratégique 2015-2030, l’état des lieux que nous avons effectué en nous référant au cadre de performance du CSEFRS nous incite à tirer la sonnette d’alarme sur le grand retard enregistré au niveau de la mise en œuvre de la vision.

Il serait temps d’insuffler un nouveau souffle à la réforme avec un souci de plus d’efficacité dans la réalisation des projets existants, et moins d’hésitation dans la conception de nouveaux projets. Sans quoi nous aurons sûrement besoin d’un nouveau plan d’urgence dans moins de cinq ans.