Élections 2021 : Aziz, Saâd-Eddine, Nizar, Abdellatif et les autres…

Par Réda Dalil

On dit cette campagne électorale biaisée par un usage d’argent massif et illégal, on dit qu’elle est jouée d’avance. On dit que le passage par les urnes ne serait qu’une étape obligée dans un processus balisé par l’état profond qui place ses pions selon son bon vouloir et ses intérêts du moment…

On dit beaucoup de choses. Comme de coutume, à l’approche d’un scrutin majeur (trois d’un coup en l’occurrence), les fantasmes pullulent, nourris à la fois par l’apolitisme et le complotisme, deux phénomènes dominants au Maroc.

Mais au-delà des légendes urbaines, quelles sont les forces en présence ? 4 grands partis sur 31 se disputeront les voix de 18 millions d’électeurs : le PJD, le RNI, l’Istiqlal et le PAM. Les quatre présentent des candidats dans l’ensemble des circonscriptions du royaume, les quatre croient en leur chance de remporter la bataille des législatives, et partant, diriger une majorité gouvernementale.

Après dix ans au pouvoir, beaucoup estiment que l’heure est venue pour le PJD de passer la main. Sans être carbonisé, le parti de la lampe semble à bout de souffle. Écarté de la gestion de la pandémie, marginalisé sur les grands dossiers et acculé à avaler des couleuvres à propos de la légalisation du cannabis thérapeutique ainsi que la normalisation avec Israël ; anesthésié, du reste, par le trop consensuel Saâd-Eddine El Othmani, le PJD s’est banalisé, mais compte sur des disciples hard core pour briguer un troisième mandat.

L’utilisation d’un nouveau quotient électoral, et le regroupement de trois scrutins le même jour, accréditent la thèse selon laquelle l’État pousse vers une alternance. La possibilité d’un troisième mandat frériste, au vu des contraintes, paraît mince. L’islam politique a perdu de sa superbe. Dominant au moment des printemps arabes, il s’est essoufflé au fil des ans, jusqu’à être bouté hors du pouvoir par le coup de force du président Kaïs Saïed en Tunisie, sans que nul n’y trouve à redire.

Avec 200.000 dollars en dépenses publicitaires de campagne sur Facebook depuis mars 2021, le RNI débourse 700 fois plus que le PJD. Les sommes engagées par la formation de la colombe de Aziz Akhannouch seraient, selon Nabil Benabdallah, secrétaire général du PPS, franchement indécentes. Le RNI, fort de cadres richissimes, dont la première fortune du Maroc, son président, ne lésinerait devant aucune dépense pour arracher la chefferie du gouvernement. Manquant d’une masse critique de militants convaincus, le RNI utilise des arguments sonnants et trébuchants pour faire le job.

Petit hic : le leader du mouvement, Aziz Akhannouch, traîne une image triturée par une multitude de faux-pas : boycott, marges indues découlant de la libéralisation des prix à la pompe, petites phrases malheureuses du type “il faut rééduquer les Marocains”… Le sponsoring tous azimuts sur Facebook, une campagne portée par des candidats corporate au sourire Colgate… cela suffira-t-il à faire oublier un passé maculé par les liens incestueux entre l’argent et la politique ? À moins que, en cas de victoire du RNI, le choix du roi ne se porte sur une autre figure du parti…

“Le PAM s’arc-boute sur ses notabilités locales pour s’ouvrir une voie royale vers l’hémicycle. Il est fort probable néanmoins que sa fenêtre de tir ne se soit définitivement refermée”

Réda Dalil

Parti déchu depuis la défection de son fondateur et une franche défaite contre le PJD en 2016 (malgré les assurances de son ex-homme fort Ilyas El Omari aujourd’hui disparu des radars), le PAM s’arc-boute sur ses notabilités locales pour s’ouvrir une voie royale vers l’hémicycle. Il est fort probable néanmoins que sa fenêtre de tir ne se soit définitivement refermée. Abîmé par l’étiquette du “Tahakkoum”, le parti du tracteur se contentera sans doute de jouer le rôle de complément de la majorité, mais la diriger relèverait du délire, d’autant que l’ère des zaïms populistes, forts en gueule, est révolue. Qui peut imaginer un Ouahbi au Méchouar Essaid ?

Reste l’Istiqlal. Unique parti issu du Mouvement national à demeurer pertinent, il s’est péniblement reconstruit après le passage destructeur de la tempête Chabat. Gentiment conservateur, dirigé désormais par un “ould dar” sage et prudent, l’Istiqlal coche toutes les cases du parti makhzéno-compatible. Son libéralisme décomplexé, atténué par un discours redistributeur au profit des classes moyennes, semble en phase avec la vision royale.

Fortement enraciné notamment dans les provinces du sud, l’Istiqlal pourrait créer la surprise. À la différence de Aziz Akhannouch, Nizar Baraka, sans soulever l’enthousiasme, ne souffre guère d’une désaffection populaire. À la différence de Saâd-Eddine El Othmani, son parti n’irrite pas l’état. Sur le papier, son profil est juste… parfait. Au pouvoir, il se contentera d’appliquer la feuille de route tracée par la Commission spéciale sur le nouveau modèle de développement. Et, avec un peu de chance, il pourrait clamer, à l’instar de son aîné Abbas El Fassi : “Mon programme est celui de Sa Majesté.” Le candidat idéal pour le poste. Juste parfait.