Akwaman

Par Abdellah Tourabi

Cette semaine, on a assisté au parlement à une séquence gênante, un moment qui aurait pu déclencher une crise sous d’autres cieux, et qui résume l’état de délabrement général de la vie politique nationale. À la tribune de la Chambre des représentants, le Chef du gouvernement, Aziz Akhannouch, s’est lancé dans une explication embrouillée pour défendre la participation de sa holding, Akwa Group, dans la construction et l’exploitation de la station de dessalement de Casablanca. Il a évoqué, pêle-mêle, le rôle de l’État pour faire face à la pénurie d’eau qui frappe le Maroc, la transparence des appels d’offres, la taille de l’investissement, la prise de risque, la validation du projet par une commission gouvernementale (qu’il préside d’ailleurs)…

On ne savait plus qui était l’homme qui s’adressait aux élus de la nation : était-ce Aziz Akhannouch le Chef du gouvernement, chargé de mettre en place les politiques publiques et de diriger l’action de l’Exécutif, ou bien Aziz Akhannouch, l’homme d’affaires, venu défendre son investissement et présenter son business model ? Cette séquence résume la confusion entre les sphères et les fonctions chez M. Akhannouch et la décomplexion totale à l’égard de toute règle morale ou déontologique. Les digues ont lâché.

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Que l’on soit clair sur certains points : M. Akhannouch a le droit d’être riche, très riche même, et tant mieux pour lui, car le pays a besoin de grands groupes économiques. Il a aussi le droit légitime de briguer des mandats, de faire de la politique, d’être Chef du gouvernement et président d’un parti. La politique n’est pas l’apanage d’une profession ou d’un groupe social en particulier. Prouver l’existence d’un conflit d’intérêts ne relève pas de la compétence de l’auteur de ces lignes, mais appartient à des institutions publiques spécialisées, à la justice ou aux acteurs politiques.

Mais ce que l’on peut reprocher clairement au Chef du gouvernement, en venant défendre ses investissements privés avec ses habits publics, c’est de fragiliser les institutions politiques du royaume, de s’asseoir sur l’éthique et la distance que lui impose sa fonction constitutionnelle et de transformer les députés en petits actionnaires de sa holding qui valident aveuglément les décisions de leur CEO. D’ailleurs, il était ahurissant d’entendre des parlementaires applaudir à l’évocation du “risque financier” pris par des entreprises privées en investissant dans la station de dessalement de Casablanca !

“La “berlusconisation” actuelle de la politique marocaine par M. Akhannouch porte les germes de transformations nocives, dont on pourrait payer le prix sur le plan politique“

Abdellah Tourabi

Cette séquence n’honore pas un pays qui aspire à être un État de droit démocratique et un modèle pour la région. La “berlusconisation” actuelle de la politique marocaine par M. Akhannouch, en mélangeant affaires et pouvoir et en faisant de l’argent le principal mètre-étalon de réussite et d’influence, porte les germes de transformations nocives, dont on pourrait bien payer le prix sur le plan politique.

Elle décrédibilise davantage les institutions représentatives et aggrave le sentiment de méfiance à leur égard, désespère les franges éclairées et modérées, au sein des élites, qui portent encore un intérêt à la chose publique, nourrit les discours radicaux et populistes, fait planer un risque de désaffection totale lors des prochaines élections et renforce l’idée que la puissance de l’argent peut tout acheter, y compris les cœurs et les esprits.

M. Akhannouch a encore deux ans devant lui pour dissiper ces nuages sombres qui s’amassent au-dessus de nous, en séparant hermétiquement ses deux mondes (politique et entrepreneurial), en considérant l’éthique comme une nécessité et une ligne de conduite et non comme une formule creuse, et surtout en s’éloignant, tant qu’il est temps, de son hubris, ce sentiment enivrant et orgueilleux de toute-puissance, car son pendant, la némésis, réaction de chute et de rééquilibrage, finit toujours par arriver.

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