Le Boualem, Le Matin du Sahara et le chômage

Par Réda Allali

Zakaria Boualem est désolé de vous l’annoncer, mais il semblerait que nos derniers chiffres ne soient pas glorieux, les amis. D’après des gens très sérieux, le taux de chômage affiché par notre paisible contrée est en hausse, il est passé de 16 à 21% en dix ans. Il y a aussi tout un tas d’indicateurs incontestables concernant le taux d’activité, mais ne comptez pas sur le Guercifi pour les rapporter ici. Par contre, il peut vous annoncer que Le Matin du Sahara lui-même trouve ces chiffres inquiétants, c’est dire à quel point c’est grave. Car, enfin, on parle bien du journal patriote qui nous annonce depuis l’invention de l’imprimerie que nous sommes en route vers les lumières du développement, dans un chemin rythmé par des tournants historiques et des scènes de liesse populaire. On n’attend pas de mauvaises nouvelles de cet estimable organe de presse.

“Même Le Matin du Sahara trouve les chiffres du chômage inquiétants. C’est dire à quel point c’est grave : on parle bien du journal patriote qui nous annonce depuis l’invention de l’imprimerie que nous sommes en route vers les lumières du développement”

Réda Allali

Mais, dans l’édition du 17 décembre, il y a ce titre horrible, qu’il faudrait recopier en tout petit tant il est choquant : “Chômage et inactivité : une dégradation alarmante”. D’où la question : si eux-mêmes sont inquiets, alors que nous reste-t-il à nous, pauvres bougres ? Du coup, le Boualem voudrait s’adresser à ses collègues pour les exhorter à un peu de retenue. Ils sont là pour nous remonter le moral, il est hors de question de travestir cette noble mission sous le prétexte fallacieux d’un devoir de vérité que personne ne leur a imposé. Nous avons besoin d’anesthésiant, faites donc votre travail et laissez des gens comme nous geindre, et merci.

Car la situation, nous la connaissons bien. Depuis des mois, les Marocains sont en apnée. Ils se sont réveillés un matin pour découvrir qu’il fallait rester chez eux sans travailler et quand ils ont été autorisés à sortir de chez eux, c’est juste pour découvrir que le plein de carburant était devenu un investissement sérieux, et les courses au supermarché une opération immobilière.

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Cet été, comme un signe de la fin des temps, une hindia coûtait sept dirhams ! Il n’y a rien à ajouter si ce n’est qu’il faut rendre hommage à Hakimi et ses potes pour nous aider à encaisser autant de catastrophes. Sans qu’on comprenne bien le lien, les écoles également sont devenues hors de prix, et aussitôt, les Marocains ont cessé de se reproduire. La libido malmenée par les traites, la population est en déclin.

Notez bien la grande résilience de notre peuple héroïque. Nous ne manifestons pas, nous ne demandons des comptes à personne, nous ne nous interrogeons même pas sur le projet prévu pour sortir du marasme, pas du tout. Nous ne demandons même pas à notre Chef de gouvernement de nous parler un peu, histoire de nous tenir compagnie dans la tempête. Il est intéressant de constater que nous n’avons qu’un accès limité à sa vision du monde, c’est dommage. Il est presque impossible à un novice comme le Boualem de déterminer ce qu’il pense de l’inflation, du Proche-Orient, du Code de la famille, du Mondial, de la surpopulation carcérale ou du dernier album de Dr Dre.

Mais, allez savoir pourquoi, les Marocains ne demandent rien à personne, ils encaissent en silence en espérant des jours meilleurs, ils dribblent chaque jour qui se présente, esquivent les crochets du destin en souplesse, avec une expérience accumulée depuis au moins les Mérinides. Leur seule forme de protestation, donc, c’est cet inquiétant refus de se reproduire, mais elle pourrait bien nous précipiter collectivement vers l’extinction, que Dieu nous en préserve. Voilà, vous êtes prévenus. C’est tout pour la semaine, et merci.

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