Après les constats, puis les propositions pour réformer le système fiscal formulées lors des Assises de la fiscalité les 3 et 4 mai, place à la mise en œuvre. Si la tenue de ce grand rendez-vous économique faisait consensus, et que cet état de grâce s’est poursuivi pour établir le constat accablant et chiffré de l’iniquité fiscale, les regards se tournent à présent vers le ministre des Finances Mohamed Benchaaboun pour traduire ses aspirations en solution. Il s’agit notamment de remédier à ces états de fait éloquents : 50 % des recettes de l’imposition (IR, IS, TVA) proviennent de 140 entreprises seulement ; 50 % de l’impôt sur le revenu (IR) professionnel est payé par 3 % d’entre eux…
Sur la base de plus d’une centaine de propositions, Mohamed Benchaaboun s’est immédiatement engagé à en retenir une dizaine, et notamment de regrouper ces mesures dans une loi-cadre portant réforme de la fiscalité pour les cinq années à venir. Les institutionnels, les spécialistes et la presse l’attendent au tournant.
« À l’issue des Assises nationales sur la Fiscalité, la CGEM tient à saluer, le climat de dialogue franc, ouvert et collaboratif qui a prévalu tout au long des phases préparatoires, la démarche inclusive et participative qui a permis de recueillir les contributions de toutes les parties prenantes, la qualité des débats à Skhirat, et enfin, la pertinence des recommandations retenues, » écrit dans un communiqué la confédération patronale, présidée par un ancien ministre des Finances. Celle-ci « réitère son total engagement pour soutenir cette refonte indispensable de l’arsenal fiscal national » et « rappelle, à cet effet, l’urgence d’élaborer la Loi-cadre consacrant les recommandations des Assises et appelle le Gouvernement à la présenter pour son adoption durant la présente session parlementaire. « La volonté d’aller vers une fiscalité plus juste est actée avec une volonté de travailler ensemble, » résume Zakaria Fahim, président de la commission PME à la CGEM.
Le CESE veille au grain
Plus directement, le président du CESE Ahmed Reda Chami nous déclare qu’il fait un bilan « très positif » des Assises de la fiscalité. Avant d’émettre une « réserve » : « à présent nous attendons de voir ce qu’il y aura dans la loi-cadre et quand elle sera prête. » Chami s’inscrit là dans la continuité de son discours prononcé le 3 mai lors de l’ouverture des Assises, au cours duquel il a multiplié les apostrophes à l’attention du ministre des Finances, « Ssi Mohamed », pour réaliser de « grandes ruptures ». « Au CESE, on s’assurera que votre proposition de ne pas consolider le budget a été retenue par toute la salle et par le CESE, » prévient-il quelques minutes après la promesse de Mohamed Benchaaboun que « chaque dirham qui proviendrait de l’élargissement de l’assiette aille à la baisse des taux et aux dépenses sociales ».
« Le cap est donné, certains principes de bases sont clairement positifs. Le respect de la loi, le combat contre l’informel et l’évasion fiscale, tout ça a été abordé. Le choc des simplifications des procédures pour rétablir la confiance entre l’Etat et le contribuable… Ce sont de jolis titres, l’effort a été fait. Mais je ne pense pas que cela change le système dans lequel nous sommes aujourd’hui. C’est un polissage utile, mais il ne fera pas basculer vers un système qui agira en profondeur sur l’économie. On voit encore la consécration des équilibres macro-économiques et ce fétichisme maroco-marocain depuis les années 1990. Je pense qu’il n’est pas compatible avec le processus de développement. Le refrain se répète : élargir l’assiette et faire baisser la pression. Or, la théorie économique explique que l’augmentation des dépenses rapporte davantage en termes de développement que la baisse des taxes, » réagit pour TelQuel l’économiste Yasser Tamsamani. Il détaille, sur la crainte d’un manque d’efficacité de l’élargissement de l’assiette fiscale : « Nous avons eu l’exemple avec la baisse de la TVA sur la restauration en France. Cette mesure n’a fait que booster la marge des restaurateurs. Rien ne nous garantit que la baisse des taxes se traduit par une baisse des prix et donne ainsi un coup de pouce à la demande et au pouvoir d’achat des Marocains ».
Bis repetita ?
Des grandes annonces, mais des attentes sur la réalisation, c’est aussi ce que relève la presse. Dans son éditorial du 6 mai, le directeur de publication des Inspirations Eco écrit : « Ils sont venus, ils sont tous là ! Le gotha de la finance, du business et de l’industrie s’est affiché au complet aux Assises de la fiscalité. Et après ! […] Cela me rappelle la deuxième édition des Assises de la fiscalité, tenue il y a six années, où j’ai entendu presque les mêmes discours et promesses d’un autre ministre, d’un autre directeur de DGI et d’un autre patron des patrons ! En 2024, ceux parmi nous qui resteront de ce monde pourront juger si la 3e, celle de 2019, était la bonne ou ne fut qu’une autre occasion ratée dans ce temps politique et économique à la sauce marocaine et qui consacre sans cesse le non-sens. » Dans un autre style, L’Économiste loue en Une de son édition du 6 mai « un exercice exceptionnel par la mobilisation et les engagements pris », tout en rappelant immédiatement qu’il « reste les actes et un agenda » à adopter.
Après la mobilisation générale de ce week-end, la balle est donc désormais dans le camp du ministre des Finances. Condamné à réussir, Mohamed Benchaaboun a assuré que ses équipes plancheraient dès cette semaine sur l’édification de la loi-cadre. Les Assises lui ont en outre donné un aperçu de ce qui attendait les ministres qui ne donnaient pas satisfaction. Pour une photo souvenir, neuf des 11 derniers ministres des Finances sont montés sur scène. Limogé l’été dernier par le roi, Mohamed Boussaid manquait à l’appel.
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— Nizar Baraka (@nizar_baraka) May 3, 2019
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