3 chiffres qui ont fait débat lors des Assises de la fiscalité

Des Assises de la fiscalité qui se sont déroulées les 3 et 4 mai à Skhirat, on retiendra un débat ouvert, beaucoup d'attentes et 167 recommandations, dont dix ont été retenues par le ministre des Finances pour l'édification d'une loi-cadre. Retour sur deux journées censées être cruciales pour l'avenir de l'économie marocaine.

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Mohamed Benchaaboun et Ahmed Reda Chami Crédit: Rachid Tniouni / TelQuel

La montagne a-t-elle accouché d’une souris ? L’évènement tant attendu s’est clôturé le 4 mai avec 167 recommandations réparties en 27 chapitres et 4 axes. De ces recommandations, le ministre des Finances Mohamed Benchaaboun en a retenu dix, pour les intégrer dans une loi-cadre portant réforme de la fiscalité, que son département préparera dès cette semaine. Le ministre se donne cinq ans pour mettre en œuvre les mesures retenues.

Durant ces deux journées de débat, les participants ont déploré à l’unanimité une fiscalité lourde et inéquitable, ainsi que des procédures compliquées, des méthodes désuètes de collecte des impôts, une rupture de confiance avec l’administration fiscale… Ils ont surtout déploré un manque de dialogue entre l’Etat et la société en matière d’impôts. Retour sur quelques chiffres qui ont fait l’objet d’un débat, parfois vif.

73% de l’IR payé par les salariés

Le poids de l’impôt sur le revenu est très largement supporté par les épaules des salariés et des fonctionnaires, au détriment de l’IR professionnel pour les métiers libéraux. Ainsi, un salarié paie cinq fois plus d’impôts qu’une personne exerçant une profession libérale. Sur ce sujet, Hassan Afilal, vice-président de l’Association nationale des cliniques privées (ANCP), a défendu les médecins, dénonçant notamment une imposition injuste des cliniques. “Nous ne pouvons pas comparer tous les métiers. On a travaillé avec la DGI durant six mois, et ils se sont rendu compte de notre apport social”. “Nous ne sommes pas des commerçants, nous avons un rôle social, avec une dimension publique, qui relève des institutions publiques. L’IR professionnel est contre-productif et contre la création de l’emploi et contre les investissements. Nous voulons que les patients qu’on traite gratuitement soient nets d’impôts”, a-t-il suggéré.

Pour parler de l’équité fiscale – à revenu égal, impôt égal –, pourquoi un revenu de 300.000 dirhams est imposé à 10% pour les sociétés et 38% pour les médecins, c’est inadmissible! Nous proposons un impôt forfaitaire libératoire. Vous allez voir qu’il y aura plus d’investisseurs. Les cliniques représentent 65% des soins faits au Maroc. S’agissant du grand bénéfice que tout le monde imagine, le seul investisseur privé non-médecin qui s’est impliqué est vite reparti. Il s’est rendu compte qu’il n’y avait pas autant de marges qu’il imaginait”, a encore déploré le vice-président de l’ANCP.

Des déclarations qui ont agacé Zouhair Chorfi. Prenant la parole, le secrétaire général du ministère de l’Économie et des Finances a sorti : “J’ai entendu une intervention qui m’a choqué. Au nom du social ? Tout est social. Aujourd’hui les données sont connues, profession par profession. Nous ne sommes pas dans des minorations de 10% ou 20%, avec lesquelles je n’ai pas de problème, mais qu’on le minore de 90%, là j’ai un problème”.

Zouhair Chorfi a poursuivi son intervention en s’attaquant directement aux cliniques privées. “On n’est pas là pour réformer des textes, mais pour changer de posture : quand je vais dans une clinique et qu’on me dit ‘je n’accepte pas de chèques’, qu’est-ce que ça veut dire ? La corruption, ça suffit ! Le noir, ça suffit !”, lance-t-il sous les applaudissements.

53% du total des réclamations auprès de la DGI proviennent des taxes locales… 

…alors que ces taxes ne représentent que 4,5% des recettes de l’Etat. Cette statistique révélée par le directeur de l’animation du réseau de la DGI, Mohamed Manchoud, renseigne sur les différences d’interprétation, l’incompréhension et les abus que peut susciter la fiscalité locale. Pour le maire de Fès, Driss El Azami El Idrissi, si le sujet des assises est l’équité fiscale, il existe une iniquité entre l’Etat et les collectivités locales en matière de fiscalité.

En répartissant les responsabilités entre l’administration et les collectivités locales, on a surtout donné des problèmes aux présidents de communes”, explique-t-il. Pour l’ancien ministre délégué au Budget, alors que la fiscalité nationale a une logique de taxation sur la plus-value (IR sur le salaire, IS sur les résultats des sociétés et TVA sur la consommation), celle des collectivités locales n’a aucune logique. “Je taxe les gens en calculant les mètres carrés de leurs terrains pour la taxe sur les terrains non bâtis, bien sûr qu’ils vont me poursuivre”, relève-t-il. Driss El Azami El Idrissi a ainsi appelé à une révision “de fonds en comble” de la taxe locale. “Il y a un grand problème de l’assiette fiscale, puisque dès que tu imposes quelqu’un, il vient vers toi le lendemain et discute le principe même de cette taxe. Et des fois tu es incapable de lui expliquer”.

Le maire de Fès a aussi rappelé que dans les collectivités territoriales, il n’y a pas d’administration fiscale propre qui puisse assurer la collecte des taxes et le suivi des dossiers. Un des participants aux Assises a aussi déploré que pour payer ces taxes, les collectivités territoriales utilisent encore des bordereaux datant de l’indépendance, et le fait que les procédures n’aient jamais été modernisées.

30 milliards de dirhams, le coût budgétaire des incitations fiscales

Ce chiffre, qui représente 2,5% du PIB, a été relevé par Mustapha Aman, le directeur du contrôle fiscal à la DGI. Le ministre des Finances Mohamed Benchaaboun a ainsi annoncé une remise à plat de ces incitations, pour évaluer chacune d’elles et son bénéfice pour l’économie nationale. Le secrétaire d’État chargé de l’Investissement, Othman El Ferdaous, a annoncé un projet de charte d’investissement qui viendra pallier ces défaillances. Dans ce document, la priorité sera donnée au soutien budgétaire au détriment des leviers fiscaux. Il n’y aura plus d’incitations fiscales sectorielles, un tronc commun fiscal, duquel partiront des embranchements sectoriels qui seront sous forme d’aides directes, de chèques, de subventions…

Le délai pour bénéficier de ces incitations sera aussi limité, selon le secrétaire général. Les bénéficiaires seront aussi labélisés et auront droit à un appui sur cinq ans non renouvelable dans le cadre du programme d’accélération industrielle.

Dix propositions retenues par Benchaaboun

Le ministre a expliqué, durant la conférence de presse qui a suivi la clôture des Assises de la fiscalité, avoir pris des 167 recommandations “les dix qui avaient une forte portée”. “Il y a un certain nombre de pistes qui sont ouvertes, et nous sommes en train de faire des simulations pour voir leur impact sur les finances publiques, et dans un modèle la propagation de nos actions sur le long terme”a expliqué le ministre. “Je ne peux pas vous garantir que la loi-cadre va passer au parlement, mais nous allons mettre une loi-cadre dont la base sera constituée des dix recommandations, a-t-il expliqué.

 

Des recommandations qui ne doivent pas aller à l’encontre des équilibres budgétaires du Royaume : “Les équilibres macroéconomiques doivent être respectés. Si on met dans la loi-cadre quelque chose, il doit y avoir une contrepartie. On peut baisser les impôts sur quelques secteurs, mais on va hausser ces impôts sur d’autres secteurs protégés où il y a monopole. Pour l’IR, il y a une grande différence entre les salariés et les professions libérales. On doit la revoir, mais il y a un problème de l’assiette qui doit être revue. Et l’élargissement de l’assiette va servir à deux choses : la baisse de l’IR spécialement pour les salariés, et une partie aux dépenses sociales, a détaillé le ministre.

“Il faut faire la distinction entre ce qu’on va mettre dans la loi-cadre et dans la loi de finances 2020. La loi de finances 2020 doit s’intégrer dans la logique de la loi-cadre qu’on est en train de préparer. La loi-cadre sera une loi de programmation fiscale pour parvenir à ce point”, a conclu Mohamed Benchaaboun.

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