Le bras de fer continue entre les enseignants ex-contractuels et la tutelle. Dans la nuit du 23 au 24 mars, des milliers d’enseignants ex-contractuels, désormais enseignants « cadres des AREF », ont investi les grands boulevards de la capitale dans une énième tentative de persuader le gouvernement de les intégrer au statut de la fonction publique. Au programme, un sit-in devant le parlement samedi soir en préparation du cortège du dimanche, « le plus grand depuis le début des contestations ». Un programme bousculée par une intervention des forces de l’ordre à renfort de canons à eau.
Qu’à cela ne tienne. Au matin du dimanche 24 mars, le pourtour du ministère de l’Éducation nationale est bondé de milliers d’enseignants-cadres de l’AREF. Selon les estimations des organisateurs, le nombre des manifestants est « assez important » : « dans la nuit du samedi nous étions à peu près 35.000 participants, aujourd’hui (dimanche 24 mars, ndlr.) le nombre dépasse les 45.000 », se félicite Nezha Majdi, membre du Conseil national de la Coordination nationale des enseignants « contraints à contracter » CNECC, pour qui cette participation massive est le résultat « d’une forte mobilisation opérée à l’échelle nationale ».
Tous contre la contractualisation
Vers midi, la foule a défilé vers le Parlement, à quelques centaines de mètres du ministère. Vêtus de blouses blanches, avec un sac à dos pour certains, et un sac de couchage pour d’autres, ces enseignants scandent, d’une voix cassée, des slogans contre le gouvernement, tels qu’« à bas le contrat, à bas l’humiliation », « Amzazi, dégage ! » et « El Othmani arrête de prier pour nous, passe à l’action ».
Les manifestants approchés par TelQuel ont deux objectifs : « faire pression sur le gouvernement pour le persuader de revenir sur la contractualisation », et « lutter contre la privatisation de l’école publique », explique par exemple Adil Issa, membre de la CNECC. Même son de cloche chez les organismes associatifs et partisans qui ont rejoint les enseignants lors de cette marche, notamment les militants d’Annahj Addimocrati, parti de l’extrême-gauche, du mouvement anticapitaliste ATTAC Maroc, ainsi que des membres de la Confédération démocratique du Travail (CDT).
« Nous sommes pour un traitement équitable de l’ensemble des enseignants. Ils doivent avoir les mêmes droits puisqu’ils ont les mêmes missions », nous déclare un membre du Conseil régional de la CDT. Un membre d’Annahj Addimocrati, qui en veut directement au gouvernement, ne mâche pas ses mots : « Le gouvernement a misé sur la privatisation et cherche actuellement à léguer ce secteur très sensible au plus offrant. Il doit donc dégager ». Des propos qui ne font pas l’unanimité. Pour Adil Issa, « la Coordination ne cherche pas à politiser ce dossier. Elle est indépendante et ne cherche qu’à faire valoir les intérêts des 70.000 enseignants contractuels ».
Samedi, la nuit « noire »
La veille quelques milliers d’enseignants contractuels se sont rassemblés sur le boulevard Mohammed VI, à la tombée de la nuit pour entamer leur sit-in nocturne. Au bout de quelques heures, selon les informations de TelQuel Arabi obtenues auprès d’un membre de la CNECC, « les autorités ont engagé des négociations avec les manifestants pour mettre fin au sit-in », offrant la possibilité de mettre des bus à la leur disposition pour les transporter vers leur lieu de résidence.
« Nous refusons de négocier avec les représentants du ministère de l’Intérieur », nous déclare Nezha Majdi, avant de s’interroger en mettant en doute l’esprit communicationnel de l’approche poursuivie par les autorités. « Peut-on vraiment négocier avec un haut gradé qui ne cesse de brandir sa matraque ? ».
Suite à ce refus, les autorités ont prévenu les enseignants « qu’ils emploieraient des moyens coercitifs en cas de non-dispersion du sit-in », poursuit TelQuel Arabi. Effectivement, aux environs de deux heures du matin, les autorités sont passées à l’action. « Nous avons été surpris de voir ces mêmes négociateurs donner le feu vert aux forces de l’ordre de nous disperser par la force », rapporte Nezha Majdi. « L’intervention était très musclée. Des policiers à moto qui percutent les manifestants, des agents armés de matraques qui bâtonnent les hommes comme les femmes, en plus des canons à eau déployés pour nous disperser », raconte l’enseignante, non sans amertume.
Une humiliation des enseignants
Bilan de cette intervention : « deux enseignantes ont été transférées en réanimation, plusieurs autres ont subi de multiples fractures, en plus d’une dizaine de blessés transportés, eux aussi, à l’hôpital », selon Adil Issa, membre de la CNECC.
Après cette intervention, les enseignants contractuels se sont dispersés, certains se rendant au siège de certains syndicats, tandis que d’autres ont passé la nuit dans les rues, notamment le Boulevard Mohammed V. « Les estafettes de police n’ont pas cessé de faire le guet. Jusqu’à 6 heures du matin, pour empêcher les enseignants de dormir même sur les trottoirs des petites ruelles », martèle Nezha Majdi, qui poursuit « c’est une véritable humiliation pour le corps des enseignants, et pour le pays ».
« Nous sommes convaincus de notre cause et déterminer de poursuivre notre militantisme jusqu’à notre intégration dans les statuts de la fonction publique », poursuit l’enseignante. Pour la suite, la Coordination prévoit la poursuite de la grève.
Dans le même temps, les cinq principaux syndicats d’enseignants (UMT, UGTM, CDT, FDT et FNE) ont annoncé une grève générale du secteur du 26 au 28 mars, et ont appelé le gouvernement à « l’intégration systématique des enseignants contractuels dans les statuts de la fonction publique », comme mentionné dans un communiqué conjoint des centrales syndicales.
Pour rappel, les enseignants contractuels des AREF observent une grève ouverte depuis début mars pour revendiquer leur intégration au statut général de la Fonction publique. Cette grève se poursuit en dépit des 14 amendements annoncés par le ministère de l’Éducation nationale le 9 mars et adoptés le 13 mars par le Conseil d’administration des AREF.