Le Chef du gouvernement, Saad Eddine El Othmani, encourageait le 8 mars son ministre de l’Education à engager le dialogue avec les syndicats des enseignants au sujet des enseignants contractuels. Le lendemain, Saaid Amzazi a reçu les cinq principaux syndicats enseignants ( UMT, UGTM, CDT, FDT et FNE) . Une réunion lors de laquelle, malgré des concessions accordées par le ministre, les deux parties ne sont pas parvenues à un accord définitif.
En effet, les syndicats d’enseignants ont décidé de prolonger leur grève d’une semaine après le refus du département de Saaid Amzazi d’intégrer les professeurs contractuels dans la fonction publique. Les responsables syndicaux déplorent notamment une situation qui, selon eux, précarise la profession et s’inscrit dans un “contexte favorable à la privatisation de l’enseignement”.
Les concessions du ministère
A l’issue de sa réunion avec les syndicats, le ministère de l’Education nationale a annoncé un accord concernant 14 amendements apportés au statut des enseignants contractuels (voir communiqué ci-dessous). Parmi les revendications des enseignants consignées dans les amendements, figure notamment celle relative au régime de retraite. Ainsi, les enseignants contractuels ne seront plus gérés par le Régime collectif d’allocations de retraites (RCAR), qui couvre le personnel contractuel de droit commun, mais par la Caisse marocaine des retraites (CMR), qui est elle chargée du régime des pensions civiles (fonctionnaires de l’Etat).
Mais l’amendement le plus important est la suppression du terme “contrat” dans les documents officiels. Dans ce sens, “les enseignants contractuels ne seront plus sous contrats. Désormais les contractuels seront intégrés aux académies régionales de la même façon et dans les mêmes conditions que les enseignants de n’importe quelle école publique”.
Selon une source proche du dossier, l’introduction de cet amendement avait pour objectif de mettre un frein aux revendications syndicales. “Les contractuels se servaient de la signature de contrat comme excuse. Ils affirmaient que ces derniers les plaçaient dans une situation de précarité. Le gouvernement a donc réagi en annonçant la suppression de la signature de contrat. Le recrutement se fera dans les mêmes conditions que pour le reste du secteur, mais sera géré par les académies régionales (AREF). Les articles concernant la résiliation du contrat seront également supprimés en vue de soumettre les enseignants contractuels aux mêmes conditions que leurs collègues fonctionnaires du public”, explique notre interlocuteur.
Du côté des syndicats, cet amendement est perçu comme “une nouvelle manière de présenter le statut des enseignants contractuels”, affirme Abderrazak Idrissi, président de la Fédération nationale des enseignants (FNE). Alors que les centrales syndicales réclament l’intégration des enseignants contractuels à la fonction publique, ces derniers “restent des employés des AREF et non du ministère de l’Education. C’est pourtant celui-ci qui les paye”, déplore-t-il. “Ces 70.000 personnes doivent être intégrées dans l’administration de la fonction publique au même titre que les fonctionnaires de l’éducation nationale”, insiste Abderrazak Drissi.
Abdelmoumen Talib, directeur de l’AREF de Casablanca-Settat, adopte pour sa part une posture plus nuancée quant au changement opéré par le ministère de l’Education : “en termes de statut, il n’existe aucune différence entre un enseignant contractuel et un fonctionnaire du ministère de l’Education nationale. La gestion des deux statuts est similaire et la seule différence réside dans la gestion de carrière qui se fera au niveau des académies régionales”.
Des revendications qui datent
Au cœur des mécontentements qui avaient déjà entraîné diverses manifestations et sit-in dans le pays depuis le mois de février, les syndicats dénoncent une forte précarisation de l’emploi avec le développement des postes contractuels généralisés. “Nous ne pouvons pas avoir un corps enseignant à deux vitesses avec des fonctionnaires sécurisés et des contractuels qui peuvent se faire limoger à tout moment. Il faut remettre la chose dans son contexte politique. Au Maroc, l’éducation se dirige clairement vers une privatisation et la dévalorisation de l’enseignement public. La loi-cadre va également dans ce sens. La gratuité de l’enseignement sera mise en danger!“, nous explique le secrétaire général de la FNE.
Celle-ci dénonce une trop grande flexibilité dans les contrats. Les enseignants concernés par ces derniers sont également à la disposition des AREF au sein de la région dans laquelle ils opèrent pour pallier plus facilement le manque d’enseignants dans des établissements spécifiques. Mais selon le secrétaire général de la FNE, là où le bât blesse, “c’est que cette flexibilité pose réellement problème sur le travail. Les enseignants contractuels peuvent perdre leur emploi à n’importe quelle occasion. Il n’y a pas de sécurité de l’emploi. Quand un contractuel est renvoyé, il ne peut plus réintégrer les établissements publics. C’est la précarité pure et dure”.
La régionalisation , un enjeu stratégique
Depuis le plan de régionalisation avancée de 2016, le ministère de l’Education a délégué le recrutement des enseignants aux AREF, structures publiques qui bénéficient d’une indépendance financière et administrative. L’objectif : mieux cerner les besoins du terrain et pouvoir embaucher de manière flexible sans que les allers-retours décisionnels en termes de recrutement dépendent de Rabat. “Tout était géré au niveau des ressources humaines au sein du ministère et cela posait énormément de problèmes. Tout était centralisé, sans vision réelle du terrain. La vraie vision terrain, c’est l’académie! Avec la régionalisation, nous bénéficions de nos propres ressources”, nous explique Abdelmoumen Talib, directeur de l’AREF Casablanca-Settat.
“L’ancien modèle était lourd, complexe et entraînait des erreurs. Avec cette gestion de proximité, nous gérons notre propre budget académique et nos ressources humaines. Les mouvements de contestation traduisent une réticence au changement”, poursuit-il. Aujourd’hui, ce système compte plus de 70.000 enseignants contractuels dans le pays, dont 15.000 qui sont en cours de formation.