Au ministère de l'Education, la machine se remet lentement en marche

Que s'est-il passé au ministère de l'Éducation depuis le départ précipité de Mohamed Hassad? Son successeur, Saïd Amzazi, a hérité d'un vaste plan de réforme de l'école marocaine. Où en sont-elles aujourd'hui ? Les détails.

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Saïd Amzazi, ministre de l'Education. Crédit: Rachid Tniouni / TelQuel

Après le passage mouvementé de Mohamed Hassad au sein du ministère de l’Education, les premiers mois de Saïd Amzazi paraissent très calmes. Cet ancien doyen et président d’université, nommé au ministère de l’Éducation le 22 janvier 2018 après le limogeage royal de son prédécesseur en octobre 2017, n’a pas beaucoup fait parler de lui depuis son arrivée.

Formation des enseignants, révision des programmes, nouveau dispositif linguistique, généralisation du périscolaire… Son prédécesseur, dont nous avions décortiqué le vaste plan d’action, lui avait pourtant laissé du pain sur la planche. 

Mais si la machine semble tourner beaucoup moins rapidement que sous Hassad, elle tourne quand même. Et les réformes annoncées par l’ancien ministre prennent forme petit à petit.

L’ancien universitaire, habitué aux pratiques d’enseignement, a le dialogue facile avec les acteurs de l’enseignement supérieur, mais pas vraiment avec les syndicalistes. Quelles avancées et quels retards connaît le ministère depuis la prise de fonction du nouveau ministre ? Nous faisons le point.

Formation des enseignants

Le 18 avril dernier, le Conseil supérieur de l’éducation, de la formation et de la recherche scientifique a publié un rapport sur « la promotion des métiers de l’éducation, de la formation, de la gestion et de la recherche« . Dans ce texte les experts pointent les faiblesses de l’encadrement pédagogique dans l’enseignement supérieur.

Un constat qui s’applique également à l’enseignement primaire et secondaire. La qualité de l’enseignement dans ces différents secteurs était d’ailleurs la priorité de l’ancien ministre. Qu’en est-il aujourd’hui ?

Le recrutement direct par contrat des enseignants est toujours très critiqué. Ses détracteurs lui reprochent d’intégrer des diplômés qui n’ont pas de formation pédagogique.

Dans une interview publiée par nos confrères de L’Economiste ce jeudi 26 avril, le ministre de l’Education affirme que les enseignants de la promotion 2018 ont profité de six mois de formation en présentiel dans les Centres régionaux des métiers de l’éducation et de la formation (CRMEF), puis de six mois de stages professionnalisants en alternance. Le tout complété par une formation continue sur une plateforme numérique.

« Nous avons également introduit de nouveaux modules disciplinaires en fonctions des spécialités de chacun. C’est-à-dire que si un enseignant se destine à devenir professeur d’histoire géographie, mais qu’il n’a qu’une licence en histoire, il aura des heures supplémentaires en géographie« , complète Abdesselam Mili, directeur du CRMEF à Casablanca-Settat.

Selon lui, le nouveau ministre, habitué aux pratiques de l’enseignement, est allé plus loin que Mohamed Hassad en « structurant davantage la formation des enseignants« .

Création des filières universitaires d’éducation

En effet, le 21 mars dernier, Saïd Amzazi a envoyé une lettre aux différentes universités du royaume pour les informer de la création des « filières universitaires d’éducation ». Les futurs enseignants qui seront recrutés par les académies pour exercer dans le primaire et le secondaire bénéficieront désormais d’une formation universitaire spécifique de 3 ans puis d’une année de formation au sein des CREMF.

« Ces filières universitaires d’éducation seront opérationnelles pour le primaire et le secondaire dès la rentrée prochaine et dans les années à venir pour le périscolaire « , explique Abdesselam Mili.

Note d'orientation-FUELP secondaire
La lettre envoyée par Saïd Amzazi le 21 mars aux universités.

Les aspirants enseignants choisiront le niveau scolaire au sein duquel ils souhaitent exercer. Les deux premières années seront en tronc commun. En troisième année, les futurs enseignants devront se spécialiser. « C’est une très bonne nouvelle, car s’ils ont une base solide, nous pourrons alléger les modules de renforcement et nous concentrer sur d’autres problématiques« , poursuit le directeur, qui est également docteur en science de l’éducation.

Dans l’interview accordée à L’Economiste, Saïd Amzazi affirme qu’ainsi « chacun de ces espaces aura en charge le développement de compétences spécifiques chez les futurs enseignants, dans un esprit de complémentarité et de coordination, comme le stipule la Vision stratégique de 2030″.

Révision des manuels et programmes scolaires

Autre dossier lancé par Mohamed Hassad: la révision des manuels scolaires pour la rentrée 2018. Une révision qui devrait toucher les première, troisième et cinquième années du primaire, avant de s’étendre aux autres niveaux. Idem pour l’enseignement secondaire à partir de 2019.

« Tout ce qui a été convenu dans le cadre de la mise en œuvre de la stratégie de Hassad s’est poursuivi sans aucun retard même pendant la période de vacances« , affirme Fouad Chafiki, directeur des programmes au sein du ministère de l’Éducation.

Selon lui, le ministère révise actuellement le programme du cycle primaire. Dans le détail, le  contenu de quatre matières principales (arabe et français, mathématiques et sciences) sera révisé pour les deux premières années du primaire. « La révision des manuels en fonction de ces changements a déjà été lancée. On aura des projets de manuels à faire évaluer puis valider dès fin juin« , explique Fouad Chafiki.

La direction des programmes a également commencé à préparer la révision des programmes de 3e et 4e années primaires pour la rentrée 2019-2020. « Nous avons eu de nombreuses réunions avec des experts. Cela devra être prêt d’ici le mois de juillet. On aura une année d’avance pour la préparation des manuels« , poursuit  Fouad Chafiki.

Une nouvelle architecture linguistique

Une révision des programmes qui va dans le sens du dispositif linguistique prévu par la Vision 2030. Les langues étaient elles aussi au coeur des réformes annoncées par Mohamed Hassad avant son départ.

Ce dernier avait notamment promis que le français serait enseigné dès la première année du cycle primaire. Il s’était aussi engagé à abandonner l’enseignement de l’arabe à travers la méthode globale qui consiste à apprendre à l’enfant à reconnaître un mot dans sa globalité plutôt que de lui faire associer les sons des différentes syllabes. L’ancien ministre préconisait une méthode plus didactique basée sur l’alphabet.

L’enseignement du français dès la première année a été lancé à la rentrée 2017, mais n’est pas encore systématiquement appliqué dans toutes les écoles du Royaume. La seconde promesse elle a été reportée à la rentrée 2018.

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D’autres changements surviendront lors de cette rentrée 2018-2019. Parmi eux, l’entrée en vigueur de la lecture précoce et de la méthode syllabique, généralisée aux deux premières années de primaire. En 3e et 4e année primaire, d’autres niveaux de compréhension de la langue arabe seront inclus (rapidité dans la lecture, compréhension…).

Les élèves apprendront par exemple à  développer leur créativité en écrivant des pièces de théâtre qu’ils joueront ensuite. En ce qui concerne le français , les élèves de première année auront 3 heures de français par semaine, 4 heures en 2e année et 6 heures hebdomadaires à partir de la 3e année primaire.

Des aménagements de programmes ont également été menés pour les matières scientifiques. En ce qui concerne les mathématiques, les nouveaux programmes incluent des innovations basées sur l’approche pédagogique de l’erreur. Cette approche amène l’élève à analyser ses erreurs pour élaborer à partir de cela des stratégies d’intervention.

Pour les sciences, enfin, le nouveau programme introduit la démarche d’investigation. « Celle-ci ressemble en grande partie à celle des scientifiques. Les élèves commencent avec une question puis mènent les expériences pour y répondre« , nous explique Fouad Chafiki. De nouveaux thèmes ont également été introduits à la fin du cycle primaire, à l’instar de l’énergie renouvelable.

Une convention pour la généralisation du périscolaire

Le périscolaire, dont il avait promis la généralisation d’ici 2027, était un autre cheval de bataille de Mohamed Hassad. La première phase d’émergence du projet devait commencer en janvier 2018, mais a été retardée par le départ de l’ancien ministre.

Le dossier a ensuite été repris par son successeur. « Nous avons eu de nombreuses réunions de travail avec le ministre. Il devrait signer la convention de généralisation du périscolaire la semaine prochaine« , se félicite Taieb Chkili, président de la Fondation marocaine pour la promotion de l’enseignement préscolaire (FMPS).

Une fois la convention signée, la Fondation et le ministère pourront lancer la phase d’émergence dont l’objectif est de créer un certain nombre de classes dans les écoles primaires du Royaume en donnant la priorité au milieu rural. « On prévoit l’ouverture de 1.000 classes à la rentrée prochaine. Les éducateurs ont déjà été sélectionnés et rentreront bientôt en formation« , explique Taieb Chkili.

Quelle sera l’enveloppe budgétaire accordée par le ministère pour le périscolaire ? « On ne sait pas encore… Mais ce qui est sûr c’est qu’il ne pourra pas financer à 100% la généralisation du périscolaire. Alors nous avons signé plusieurs partenariats avec des communes comme Ben Guerir ou Tanger et des entreprises comme l’OCP« , affirme le président de la FMPS.

Des dossiers encore en stand-by

Mais selon d’autres acteurs du secteur de l’éducation, de nombreux dossiers restent encore en suspens. « A part la régularisation par monsieur Amzazi d’une soixante d’ingénieurs d’état que nous demandions depuis longtemps, aucun dossier n’a avancé« , affirme Abderrazzak Drissi, secrétaire général de la Fédération nationale de l’enseignement (FNE).

Le ministère devait se réunir avec les syndicats représentatifs le 23 avril dernier. « La réunion ne s’est finalement pas tenue », explique le syndicaliste qui a toujours exprimé son désaccord avec le recrutement des contractuels. « Il y a des directeurs centraux et un SG au sein du ministère. Alors, s’il y a une volonté politique de faire avancer les choses, on a les moyens humains de le faire…« , s’agace-t-il.

Un autre syndicaliste accuse lui le ministère de dialoguer avec les universités, mais pas suffisamment avec les syndicats. « Non seulement il n’y a pas de réponse à nos différentes revendications, mais en plus le ministère de l’Éducation nationale a préparé le projet de statut des fonctionnaires des académies, qui a été voté du 16 au 19 avril dans les conseils d’administration, sans nous consulter« , peste notre interlocuteur qui a souhaité rester anonyme.

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