Aux enseignants contestataires qui brandissaient devant lui le slogan « ir7al (pars) », Mohamed Hassad a rétorqué sur le ton du défi : « Je ne partirai pas (…) en tout cas, mon départ n’est pas entre leurs mains », lançait-il récemment dans l’émission Fi Qafass al Ittiham. Quatre jours plus tard, alors qu’il s’apprêtait à se rendre à la présentation du projet de loi de finance, il apprend, stupéfait, son limogeage, annoncé par un communiqué du cabinet royal. « Après son passage à la Chambre des conseillers, il est revenu à son bureau. Il ne se doutait de rien », nous confie ce membre du cabinet de l’ex-puissant ministre de l’Intérieur. Il lui est reproché, en substance, d’avoir failli à son rôle de pilote du projet Manarat Al Motawassit. « Au regard de l’importance de ce programme, du budget alloué, du nombre important de signataires et des délais de réalisation relativement courts, le pilotage devait se faire au niveau du Gouvernement et de la Commission ministérielle de suivi à l’initiative du Ministre de l’Intérieur, et non au niveau du gouverneur, surtout durant la phase de démarrage, pour traiter en particulier les contraintes se rapportant à la consistance des projets, à la mobilisation du foncier, au financement, et procéder aux arbitrages nécessaires en cas de difficultés », résume le rapport de la Cour des comptes à l’origine de ce qu’il est convenu d’appeler « un séisme politique ». Passage laconique qui sonne le glas d’une carrière de quarante ans au service de l’Etat. Selon plusieurs politologues, son congédiement sans autre forme de procès laisse entendre que « personne n’est intouchable ». Pas même un haut commis de l’Etat qui a servi Hassan II et Mohammed VI avec la loyauté et la discrétion d’un vrai « ouled dar el makhzen ». Retour sur le parcours d’un haut commis de l’Etat qui s’est forgé au fil du temps la réputation d’un technocrate ferme et efficace. « C’est une perte. Au-delà des conflits et les coups de l’Intérieur, c’était un de mes meilleurs ministres, avec une tête très bien faite. Il servait très bien son pays », nous confie Abdelilah Benkirane, connu pourtant pour avoir peu d’atomes crochus avec l’ancien ministre de l’Intérieur.
L’école, ce parent pauvre
A l’annonce de la nomination du gouvernement El Otmani, le 5 avril, un nom crée la surprise : Mohamed Hassad. Il vient de se faire confier un département unanimement décrié, celui de l’Education nationale et de l’enseignement supérieur. Classes surchargées, établissements délabrés, déperditions élevées, faible maîtrise des langues, pertes des valeurs enseignées à l’école, enseignants peu formés ou dépourvus de vocation… Il a à soigner un corps gangrené par des maladies chroniques, le tout en gérant 250.000 enseignants et 7 millions d’élèves. Ce n’est pas une promenade de santé. « Sur le papier, j’avais l’impression que tout était bien, que les indicateurs étaient bons. Je leur disais, maintenant on va voir le terrain. Et sur le terrain, on découvre autre chose », nous confiait-il en septembre dernier, citant à titre d’exemple un établissement à Khémisset. « Les bâtiments étaient délabrés, les vestiaires cassés, les allées dans un état lamentable, comme le mobilier. Côté matériel de sport, il n’y avait même pas de ballon. Quand vous êtes en présence de cette situation, vous perdez 50 % de la volonté de l’élève », regrettait-il. A peine nommé, il tranche avec les méthodes de ses prédécesseurs en annonçant une série de mesures urgentes : recrutement de 24.000 nouveaux enseignants, enseignement du français dès la première année, changement de méthode de l’enseignement de l’arabe, constructions de nouvelles écoles, révision des manuels scolaires… « La bataille de la quantité a été gagnée, reste celle de la qualité », nous résumait Mohamed Hassad pour illustrer sa réforme.
Et pour secouer le cocotier, il n’hésite pas à frapper du poing sur la table, en suspendant des cadres soupçonnés d’irrégularités financières, en publiant la liste des enseignants absentéistes ou encore celle des établissements privés qui « gonflent » les notes de leurs élèves. Une méthode qui ne lui vaut pas que des amis. « Sa Majesté m’a donné des orientations claires, qui constituent pour moi des références (…) Je suis très à l’aise maintenant. C’est pour moi la référence principale, le reste ça doit s’y adapter. C’est cela qui me donne la force pour travailler », nous expliquait l’ex-ministre de l’Education nationale, qui, après sa nomination, avait reçu un appel de Mohammed VI lui dictant les principaux piliers de la réforme : les conditions de travail des enseignants et la qualité de l’enseignement. « Honnêtement, j’étais content qu’on lui ait confié le département de l’Education », reconnaît Abdelilah Benkirane. L’intellectuel Driss Khrouz ne dit pas autre chose : « Hassad est un ingénieur compétent (…) Et je trouve que nommer un non-partisan à la tête du ministère de l’Education est une très bonne chose (…) l’Enseignement a besoin de durée, de cohérence et de continuité », estimait l’ex-directeur de la Bibliothèque Nationale du Royaume du Maroc. « Ce n’est pas un séisme, c’est un raz-de-marée« , réagit un grand constitutionnaliste, surpris de voir Hassad délogé à la suite du « séisme politique ». « En gros, on a beau avoir servi l’Etat toute sa vie, un erreur peut signifier la fin de votre carrière« . Hassad est ainsi le premier à en payer le prix dans le dossier d’Al Hoceima.
Le technocrate aux dossiers difficiles
Ancien conseiller de Hassan II au G14, Mohamed Hassad a l’habitude de se voir confier des dossiers « difficiles ». Sous l’ancien règne déjà, un épisode marque sa carrière : le redressement de Royal Air Maroc. On est en 1995 lorsqu’un scandale financier éclate à la tête de la compagnie aérienne. Des enquêtes du ministère de l’Intérieur, de celui des Finances et de la Cour des comptes avaient établi l’existence d’irrégularités financières, reprochant au PDG de la compagnie Mohamed Mekouar d’avoir engagé des dépenses qu’il était incapable de justifier. Mohamed Mekouar débarqué, c’est Mohamed Hassad qui se voit confier les commandes pour faire prendre de l’altitude à la compagnie aérienne. « Tournons la page des affaires, parlons du redressement et de l’échéance 1997 de la libéralisation du trafic aérien », proposait le nouveau PDG lors d’une conférence de presse en 1995, refusant d’alimenter davantage la polémique, car disait-il « nous pourrions perdre plus d’argent en remuant le passé ». Il promet transparence et respect des règles d’appel à la concurrence et recherche « du meilleur rapport qualité-prix ». Le résultat ne s’est pas fait attendre. En l’espace de trois ans, le chiffre d’affaires a bondi de 10 %, atteignant 5,55 milliards de dirhams et le trafic a progressé de 50 % culminant à 3,4 millions de passagers. « A la RAM nous n’avons pas réinventé le monde. Nous avions juste procédé au lifting des expériences de ce qui se pratique chez les majors du transport aérien mondial», disait-il aux étudiants de l’ISCAE en janvier 1998, les invitant à suivre le chemin de l’innovation. « Les structures des entreprises marocaines sont de type militaire, avec une cascade de niveaux hiérarchiques. Ce qui limite d’autant la marge de manœuvre des cadres», critiquait le PDG de Royal Air Maroc. Mais le polytechnicien doit bientôt rendre les clés de la compagnie, une nouvelle mission a été dessinée pour lui.
Le wali et le tourisme
Le 10 janvier 2001 au Palais royal de Marrakech, gotha du monde du tourisme, membres du gouvernement d’Abderrahmane Youssoufi, autorités militaires et civiles boivent religieusement les paroles de Mohammed VI. « Nous avons le plaisir de rencontrer les promoteurs du tourisme, vu l’intérêt particulier que nous accordons au secteur touristique pour triompher dans le Jihad économique et social et créer des emplois », annonçait le jeune roi pour illustrer les missions de la Vision 2010. Six mois plus tard, Mohamed Hassad est nommé wali de la Région de Marrakech-Tensift-El Haouz, appelée à devenir le moteur du tourisme au Maroc. « Il a réussi tant bien que mal à changer le visage de la ville. Aujourd’hui, si Marrakech est la vitrine du tourisme, c’est aussi, en partie, grâce à lui« , témoigne un opérateur de la ville ocre. En 2005, des rumeurs le donnaient en disgrâce en haut lieu à cause de bâtiments jouxtant le Palais royal. Il n’en est rien, puisque le haut commis de l’Etat est nommé la même année wali de Tanger-Tétouan. « En 2005, M6 a nommé (…) le wali de Marrakech, Mohamed Hassad, qui avait su transformer avec brio la perle touristique du royaume », avait même écrit le journal suisse le Temps. Le visage de la ville du Détroit sera relifté à son tour, jusqu’à ce qu’il soit nommé, en 2012, président du Conseil de surveillance de l’Agence Spéciale Tanger-Méditerranée. Mais là encore, il ne tarde pas à répondre, en 2013, à l’appel de Mohammed VI qui lui réserve le département de l’Intérieur. La consécration pour ce serviteur de l’Etat que rien au départ ne le prédestinait à une telle carrière.
L’enfant qui ne parlait qu’amazigh
C’est à Tafraout, dans un patelin perdu, que Hassad voit le jour en 1952. Issu d’une famille modeste, il doit lutter pour ne pas abandonner sa scolarité. « J’ai fait l’école publique, le public dur », nous disait en septembre celui qui parcourait des kilomètres à pieds pour arriver à l’école. Des efforts qui le propulsent parmi la trentaine d’élèves qui réussissaient alors la « chahada », le précieux sésame qui donnait accès aux études secondaires. Mais ce n’est pas à Tafraout que l’on pouvait alors faire des études secondaires. A dix ans, il ne parle que la langue amazighe mais il doit quitter son village pour la métropole. « Avec mon cousin, je me suis fixé le défi de maîtriser l’arabe. Et on a fini par y parvenir », se souvient-il dans l’émission Fi Qafass Al Ittiham. Mieux encore, il est parmi les rares élèves à pouvoir jeter son dévolu sur la section des sciences mathématiques. Un tournant dans la vie de l’enfant amazigh, qui décroche une bourse pour poursuivre ses études dans la ville des Lumières. Ecole polytechnique des Ingénieurs de Paris, école Nationale des Ponts et Chaussées de Paris… En 1976, Mohamed Hassad est bien armé pour occuper le poste de directeur régional des Travaux publics dans les provinces de Fès, Taounate et Boulemane. « A cette époque, il ne fallait pas attendre plusieurs années pour avoir un tel poste », nous expliquait l’ex-ministre de l’Education. Dix-sept ans plus tard, il est bombardé ministre des Travaux publics de la Formation Professionnelle et de la Formation des Cadres dans le gouvernement Filali I. Pendant ce temps, il continue à snober les partis qui faisaient du pied au polytechnicien. « J’avais été approché par plusieurs partis, mais je n’ai jamais accepté. Parce que votre parcours ne dépend pas de vous-même mais du chemin que parcourt votre formation politique, ce que je refusais », nous précisait l’ancien ministre de l’Intérieur. A 66 ans, il change d’avis et enfile la casquette politique du parti de l’épi, car l’engagement « devient nécessaire ». « Il y a un parti qui dénonce tahakoum et qui est, lui, dans l’hégémonie », dénonçait celui que l’on donnait pour successeur de Laenser, faisant allusion au parti de la lampe. Son limogeage signe ainsi la fin d’une jeune ambition partisane.
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