Tout comme le samedi précédent, ce vendredi 19 janvier a été annoncé « jour de grève générale » par les comités des quartiers de Jerada, auxquels se sont joints les habitants des localités rurales avoisinantes. Une grande marche, conclue par un sit-in devant le siège de la commune de la ville ont eu lieu cette après-midi, avec la fermeture des boutiques et des commerces.
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Ce nouveau rebondissement intervient suite à la réunion extraordinaire tenue le lundi 15 janvier par le Conseil régional de l’Oriental en présence du wali de la région, Mouad Jamai. Les manifestants ont jugé que les solutions proposées lors de cette réunion « ne répondent pas aux attentes de la population », actées dans le cahier revendicatif qui comporte désormais trois axes principaux : la révision à la baisse des factures de l’eau et de l’électricité, une alternative économique pour la ville et sa province et finalement la demande de reddition des comptes.
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Chacun de ces axes regroupent un ensemble de solutions « pour faire sortir la ville et sa province du marasme socio-économique qu’elle vit depuis la fermeture des mines de charbon en 1998″, nous déclare le représentant de l’un des comités de quartiers formant le Hirak de Jerada.
De la trentaine de quartiers que compte la ville de Jerada, tous ont contribué à mettre en place ce cahier revendicatif que les leaders du mouvement de contestation local souhaitent remettre à une délégation ministérielle.
Après la visite de la délégation conduite par le ministère de l’Energie et des mines Aziz Rebbah le 3 janvier, les manifestants réclamaient également la venue de responsables des ministères de l’Industrie, de l’Agriculture mais aussi celui du Tourisme.
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C’est ainsi que le ministre de l’Agriculture Aziz Akhennouch s’est rendu cette après-midi à Jerada pour tenir une réunion avec les élus locaux, les représentants syndicaux ainsi que les agriculteurs, toujours en cours à l’heure où nous mettons en ligne.
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Premier axe du cahier revendicatif, la révision à la baisse de la tarification de l’eau et de l’électricité.
C’est l’une des demandes les plus urgentes réclamées par la population de Jerada. Sur ce point, les manifestants dénoncent la hausse des factures d’eau et d’électricité atteignant une moyenne de 300 DH par mois d’après l’un des leaders.
Les manifestants préconisent un retour au procédé de facturation du temps où la société des Charbonnages du Maroc (CDM) gérait la distribution de l’eau et de l’électricité dans la ville. Passée aux mains de la commune après la liquidation de CDM en 1998, la gestion a été reprise par l’ONEP aujourd’hui ONEE. « CDM ne facturait qu’à partir du franchissement de la première tranche de 30 kw/h. De plus que le paiement s’effectuait trimestriellement », estime le leader.
Les manifestants avancent qu’avec une station thermique dans la ville et l’abondance des ressources hydriques souterraines (la province dispose de la deuxième plus importante nappe phréatique du Maroc selon eux), la population devrait profiter d’un coût de production plus bas que dans le reste du pays.
Dans ce cadre, les membres des comités des quartiers considèrent que la solution formulée par le wali de la région de l’Oriental et par le ministre de l’Energie et des mines de réduire le taux de la TVA de 10 à 7% n’est pas suffisante« .
Les contestataires justifient également la réduction de cette facture par un fait toujours lié à l’activité minière des habitants. En effet, l’importante proportion de personnes atteintes de silicose utilise dans son traitement une machine de respiration artificielle. Cette dernière agirait de façon significative sur la hausse de la facture d’électricité.
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Deuxième axe, une alternative économique.
L’autre demande phare revendiquée par le mouvement social de la ville minière comporte quatre propositions touchant à différents secteurs d’activité, dont « une condition préalable ».
1. La levée du « blocus économique sur la ville » comme préalable.
Les manifestants expliquent ceci par « un état de méfiance faisant obstacle aux investissements dans la ville ». Ledit blocus remonterait aux émeutes antijuives survenues à Jerada en juin 1948 et qui auraient été « provoquées par les autorités du Protectorat français de l’époque ».
Depuis, les manifestants présument que leur ville, berceau du syndicalisme au Maroc, n’a pu bénéficier des investissements publics ou privés « à cause de l’intense activité syndicale » des miniers locaux.
2. Des emplois sûrs et stables
Le cahier revendicatif met l’accent sur l’emploi des chômeurs diplômés de la formation professionnelle et des détenteurs de licences et de masters. « L’Etat a des experts économiques qui peuvent évaluer le potentiel de notre ville et province. Nous sommes prêts à discuter autour de la reconversion de Jerada vers de nouveaux secteurs jusque-là inexistants », nous déclare l’un des leaders locaux.
Les comités des quartiers restent sceptiques quant aux solutions proposées par le ministre de l’Energie et des mines et par le wali de l’Oriental dans le domaine de l’emploi. Il s’agit d’abord de l’opération de débouchage des mines non opérationnelles et qui constituent un danger pour les habitants. Des emplois jugés « limités dans le temps ».
De plus, les manifestants contestent le projet de construction de la 5ème tranche de la station thermique de la ville, « vu que son emplacement au centre de la ville provoquerait une hausse de la pollution de l’air ». Tout comme dans la 4ème tranche, ils arguent que ladite station propose essentiellement des postes liés à l’entretien et à la maintenance, et qui restent « provisoires et non étalés sur l’ensemble de l’année ».
Pour ce qui est du recrutement préférentiel des jeunes de la province dans les zones industrielles de Tanger et de Kénitra promis par le wali, ou encore la mesure prise par l’ANAPEC de proposer 500 contrats de travail pour les femmes dans des serres agricoles dans le sud de l’Espagne, les leaders du Hirak répondent qu’il s’agit là d’une tentative de « vider la ville de sa jeunesse ».
3. Soutien de l’agriculture dans la province
Sur ce volet qui concerne particulièrement l’arrière-pays de Jerada, le cahier revendicatif évoque le problèmes des terres collectives (soulaliyate) restées en suspens depuis l’indépendance du Maroc, l’approvisionnement en eau d’irrigation pour la zone d’Akkaya et l’indemnisation des expropriations pour intérêt public dans la localité oasienne de Gafayet.
10 ans depuis son lancement, ils se demandent aussi pourquoi la province n’a pas bénéficié d’un appui dans le cadre du Plan Maroc Vert (PMV). En ville, le cahier revendicatif demande la création d’une école d’agriculture et de vétérinaires.
4. Valorisation du secteur touristique
Cela consiste à développer le tourisme rural d’après les manifestants qui évoquent des sites touristiques comme Tissouriyine, Oued Elhay ou Laaouinate. En outre, les leaders du Hirak de Jerada parlent de « tentative d’extirpation du passé et de l’héritage minier de la ville ». Pour y remédier, ils demandent l’ouverture d’un musée de la mine ainsi que la récupération du centre d’estivage de Saâidia, propriété de la défunte CDM « construit et mis en place par nos pères », nous déclare l’un d’eux.
Troisième et dernier axe, l’application de la reddition des comptes.
Dernier grand axe soulevé dans le cahier revendicatif, il exige la consécration des mécanismes de bonne gouvernance. Cela concerne principalement les biens immobiliers de CDM qui, lors de sa liquidation le 20 février 1998, sont devenus propriété du ministère de l’Economie et des finances. Le même ministère a confié leur gestion à la commune.
Parmi ces biens, on trouve 320 maisons à Jerada que CDM avait légué aux salariés après la fermeture de la mine. « Quand les ayants droits demandent à la commune le titre de propriété de leur maisons, on leur suggère de s’acquitter d’une taxe foncière », nous déclare le leader d’un comité de quartier. Il explique que les familles doivent être exonérées de ces charges de titrisation car « CDM avait prélevé le montant des maisons sur les indemnités perçues par les miniers en 1998″.
De surcroit, le mouvement de contestation demande des éclaircissements sur les 12,3 milliards de DH que l’Etat a investi dans la province de Jerada depuis 2003. Cette enveloppe concerne l’infrastructure, les secteurs productifs liés notamment à la station thermique ainsi que des projets à portée sociale.
Finalement, le cahier revendicatif demande de faire le bilan sur les projets lancés en juin 2013, en présence du roi, dans le cadre de l’Initiative national de développement humain (INDH). Des projets restés « sans impact sur la ville et sur la province« , selon les manifestants.
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